Motifs impérieux et fermeture des frontières en Polynésie : Les acteurs du tourisme réagissent

Motifs impérieux et fermeture des frontières en Polynésie : Les acteurs du tourisme réagissent

Et naturellement, l’heure n’est pas à la fête dans cette Collectivité d’Outre-mer dont l’économie repose essentiellement sur le tourisme. Compagnies aériennes, hôteliers et prestataires ont réagi à la mise en place des motifs impérieux en Polynésie, entraînant de fait la fermeture des frontières du territoire. Le point avec notre partenaire Radio 1 Tahiti. 

« Si les gens ne viennent plus, on ne va pas voler à vide », disait déjà Michel Monvoisin, PDG d’Air Tahiti Nui (ATN), il y a quelques jours. Même s’il y aura toujours des besoins, y compris en fret, toutes les compagnies aériennes qui desservent Tahiti-Faa’a se donnent quelques jours pour s’adapter.

On constate d’ores et déjà que l’aéroport international n’a pas mis à jour la page des arrivées et départs internationaux, même si les vols prévus cette semaine devraient être maintenus, ne serait-ce que pour ramener chez eux les touristes encore présents en Polynésie. Dans un communiqué, Tahiti Tourisme prévient : « Les voyageurs actuellement en Polynésie française dont le retour est prévu cette semaine peuvent terminer leur séjour normalement ; au-delà, il est conseillé de prendre contact avec sa compagnie aérienne pour vérifier la programmation de leur vol ».

Les compagnies desservant la Polynésie devraient modifier leur programme de vol ©PYF Spotters

Les compagnies desservant la Polynésie devraient modifier leur programme de vol ©PYF Spotters

Une équation compliquée pour les compagnies aériennes qui ne savent pas combien de temps va durer cette fermeture des frontières, ni combien de passagers pourront embarquer, ni à quel tarif. « On n’est pas un jet privé, on est une compagnie régulière. Chaque vol a son coefficient d’équilibre », explique un responsable de l’une des compagnies. Plus que le remplissage, c’est la recette unitaire qui détermine la rentabilité d’un vol ; ainsi, il pourrait en théorie être maintenu si 30 passagers en classe affaires déboursent plus que 100 passagers en classe économique.

Les aides de l’État à ATN au cœur des préoccupations

Si Sébastien Lecornu, dans son discours diffusé dimanche soir, a assuré les entreprises polynésiennes que l’État continuerait à les soutenir, Air Tahiti Nui fait partie des entreprises qui attendent une aide plus directe qu’un PGE. En juin dernier, le Syndicat des compagnies aériennes autonomes, dont ATN fait partie, s’élevait contre l’absence d’aides spécifiques aux compagnies aériennes françaises en dehors d’Air France.

Annick Girardin, encore ministre des Outre-mer en juin 2020, assurait les parlementaires polynésiens et calédoniens que la France « accompagnerait les autres compagnies aériennes ».  En novembre, l’État accordait une panoplie d’aides à Corsair (pour un total de 141 millions d’euros selon La Tribune) qui était jusque-là détenue à 80% par deux groupes allemands, au motif que les repreneurs regroupés en consortium étaient « des entrepreneurs, notamment des secteurs du tourisme et de l’hôtellerie, basés aux Antilles, à La Réunion et en Guyane, ainsi que des collectivités territoriales ». Mais Air Tahiti Nui reste comme Sœur Anne. Elle ne voit rien venir.

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De la Fedom à Christian Vernaudon, l’idée de la mise en place d’un dispositif temporaire de chômage partiel revient régulièrement, sur la base de l’article 169 du statut : « À la demande de la Polynésie française et par conventions, l’État peut apporter, dans le cadre des lois de finances, son concours financier et technique à la Polynésie française dans l’ensemble de ses domaines de compétence ». L’argument invoqué par l’État, la compétence du Pays en matière de droit du travail, ne serait donc pas insurmontable.

« La responsabilité de l’État »

De son côté, le parti majoritaire en Polynésie, dirigé par le président Édouard Fritch, affiche la bonne entente du gouvernement local avec l’État. Dans un communiqué diffusé lundi soir, le parti rappelle le soutien de la France à la Polynésie et ses entreprises, comme Sébastien Lecornu l’avait fait la veille dans son allocution, et les aides du Pays, et conclut : « Nous ne pourrons pas faire sans l’aide de l’État, Nous saluons les engagements du ministre des Outre-mer dans ce sens et nous attendons leur mise en œuvre notamment en faveur des compagnies aériennes (…). Dire que les entreprises ne sont pas aidées relève de la mauvaise foi ».

Une dissonance toutefois du côté de la sénatrice Lana Tetuanui, elle-même membre du parti d’Édouard Fritch, mais qui siège au Sénat dans les rangs de l’Union centriste. « Il va falloir mobiliser tous les moyens du Pays pour venir soutenir parce que c’est un choc qu’on aura dans les semaines, dans les mois à venir. J’entends par ci par là, l’État parler des PGE, les Aides entreprises… J’en appelle à la responsabilité de l’État : il va falloir à un moment donné, venir apporter la solidarité nationale, mais clairement. Aujourd’hui, je suis désolée de le dire, il n’y a aucune lisibilité ».

« Nous réclamons depuis des mois un plus grand accompagnement de l’État à cette filière (du tourisme, ndlr), qui est notre premier employeur, principal moteur économique », commente de son côté la députée UDI Maina Sage, elle aussi membre du parti d’Édouard Fritch. « Les dispositifs (d’aides économiques de l’État) ne manquent pas et c’est une injure d’en bloquer l’accès sous prétexte de notre statut de l’autonomie qui n’est en rien un frein à la participation de l’État dans tous nos champs de compétences », assure-t-elle.

Salon du tourisme prolongé

Du côté des hôteliers, on se pose la question de la fermeture des établissements, malgré les efforts pour dynamiser le tourisme local. « J’aurai tendance à dire que les hôtels des îles (hors Tahiti, ndlr) qui ont des charges de personnel plus importantes que les nôtres n’ont aucune raison de rester ouverts », estime Thierry Brovelli, directeur général de l’Intercontinental Tahiti et co-président du conseil des professionnels de l’hôtellerie. « Le marché local a un prix moyen un peu trop faible pour pouvoir soutenir avec une occupation faible », a-t-il poursuivi, constatant un début des annulations de séjours.

« Nous sommes déjà en souffrance depuis l’année dernière, et voilà qu’on nous replonge dans cette souffrance. Ce ne sont pas uniquement les pensions de famille qui sont touchées, mais par ricochet, il y a de nombreux prestataires. Des pêcheurs, des agriculteurs, des artisans… Le préjudice concerne près de 500 entreprises. Chacune d’entre elles emploie 4 ou 5 personnes en moyenne. Les chiffres montent vite », a confié une propriétaire de pension de famille dans l’archipel des Gambier. Cette dernière s’est déplacée à Papeete dans le cadre du traditionnel Salon du tourisme, prolongé jusqu’au 14 février pour soutenir le tourisme local.

Le gouvernement de la Polynésie devrait annoncer de nouvelles aides et saisir l’Assemblée locale dans le courant de la semaine prochaine. Mais sur place, acteurs économiques, politiques et sociaux savent que la Collectivité ne pourra porter seule le poids de la crise.

Jean T. Faatau avec Radio 1 Tahiti