À Mayotte, un an après le cyclone Chido, l'éleveur Abdallah Mhamadi se bat pour faire revivre son exploitation dévastée

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À Mayotte, un an après le cyclone Chido, l'éleveur Abdallah Mhamadi se bat pour faire revivre son exploitation dévastée

Il y a un an, jour pour jour, Abdallah Mhamadi, gérant de l'exploitation Fleury Coq à Vahibé dans la commune de Mamoudzou, perdait tout. Entre l'impossibilité de s'assurer, l'absence d'aides concrètes et un parcours administratif labyrinthique, cet éleveur de poules pondeuses dresse un constat amer : les producteurs agricoles mahorais peinent à se relever. Après une année sans activité, il tente aujourd'hui de se relancer avec une production de poulets de chair fermiers. Lassé d'attendre une hypothétique indemnisation, il se lance dans une course contre la montre pour obtenir un prêt et espérer reconstruire son exploitation en 2026.

Lorsque le cyclone Chido a frappé Mayotte le 14 décembre 2024, il y a un an, Abdallah Mhamadi était à la tête d'une exploitation agricole prospère, installée depuis 2009 dans le village de Vahibé, dans la commune chef-lieu de Mayotte : Mamoudzou. Ses quatre bâtiments d'une surface totale de 4 000 m² pouvaient abriter près de 30 000 poules pondeuses pour une production de près de 8 millions d'œufs annuels. 

L’homme travaillait depuis de longues années avec l’un des principaux acteurs de la grande surface à Mayotte et s’apprêtait, à la fin de l’année 2024, à signer un contrat avec un autre distributeur. Pourtant, en quelques heures, il ne restait plus rien de ces 15 années de travail. Sur les 11 000 animaux présents ce jour-là, 8 000 n’ont pas survécu au passage du cyclone Chido. Les autres ont été emportés par les habitants du secteur. « Pendant des années, j’ai réinvesti tout ce que je gagnais pour développer mon activité et j’en étais fier. Je l’ai fait sans aide. Plus de 3 millions d’euros d’investissement partis dans le vent », nous explique Abdallah Mhamadi. 

 Sans aides ni solutions proposées, l’homme n’a pas pu reconstruire pour le moment. « Cela faisait presque un an que je n'avais plus travaillé. C’est ma femme qui nous assurait un revenu dans le foyer. En octobre dernier, j’ai lancé une nouvelle activité d'élevage de poulets de chair fermiers dans le sud de l'île. J’ai reçu deux lots de poussins en provenance de l’Hexagone… Ça fait du bien de pouvoir retravailler mais j’espère pouvoir reprendre mon activité première… En 2026, si les financeurs veulent bien m’accompagner. »

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Entre assurances inexistantes et aides introuvables

Derrière cette tragédie se cache une autre problématique que dénonce Abdallah Mhamadi : lui et d’autres collègues du secteur agricole mahorais n'ont jamais pu s'assurer. « Dans notre secteur, nous n’avons pas la possibilité de s'assurer », rappelle-t-il avec amertume. « Depuis 2014, avec d’autres exploitants, on a fait des démarches auprès de la préfecture et du Conseil départemental. Pendant deux ans, on a travaillé sur ce dossier, et puis tout a été abandonné, sans suite. »

Aujourd’hui, les conséquences de cette impasse sont dramatiques. « Je ne demande pas qu'on me rembourse 3,5 millions, mais au moins que l’on m’indique les dispositifs qui existent permettant d'aller sur les infrastructures qui pourraient nous aider à nous relancer », plaide-t-il. « L’État reconnaît qu’on ne pouvait pas s’assurer, mais derrière, personne ne nous dit comment on fait pour repartir. On nous laisse là, sans solution, sans visibilité. »

Le fonds de secours pour l’outre-mer (FSOM), dispositif exceptionnel porté par le ministère des Outre-mer visant à indemniser les sinistrés ultramarins suite à un événement naturel d’une intensité exceptionnelle, avait été mis en avant comme une possible solution. « J’ai soumis un dossier détaillé avec tous les justificatifs… La proposition finale ? 8 000 euros pour compenser 3,5 millions de pertes… J’ai fait appel de cette décision ».

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À cela s'ajoutent des factures qui continuent de s'accumuler : 3 900 euros d'électricité pour l'exploitation aujourd'hui inexistante, et 14 000 euros de factures d’eau, celle-ci ayant été utilisée par des habitants se branchant illégalement sur son réseau après le passage du cyclone. « J’avais pourtant demandé que l’eau et l’électricité soient coupées. Ça n’a jamais été fait. Aujourd’hui, on me dit que tout ce qui se passe après le compteur, c’est à moi de payer. »

Acculé, Abdallah Mhamadi ne compte pas abandonner et s’est entouré de professionnels pour rechercher des financements qui pourraient l’aider à relancer son activité. « Il y a une demande sur ce territoire. Avant Chido, j’avais de très bons chiffres. Je sais que je peux le refaire. Je n’attends pas du gratuit. Je suis prêt à repartir sous forme de prêt, parce que je sais ce que mon exploitation générait. »

L'avenir en suspens

Si Abdallah Mhamadi est aussi déterminé aujourd’hui, ce n’était pas le cas en début d’année. « J’ai failli tout abandonner, faire mes valises et partir ». Une rencontre salvatrice changera la donne. « En février, je suis mis en contact avec le cabinet Baobab Partners Global Advisory. C’est le bureau d’études qui m’accompagne dans les démarches administratives et juridiques ». C’est dans ce contexte que le producteur espère être accompagné par l’Agence française de développement et d’autres financeurs dans le cadre d’un possible prêt qui permettrait la relance de l’exploitation. 

Le nouveau projet prévoit la reconstruction de deux des quatre bâtiments initiaux, pour un montant estimé à plus de 6 millions d'euros, incluant les matériels intérieurs, la douane et le transport jusqu'à Mayotte. Le début d’année 2026 sera tendu pour le producteur. « Si ça ne fonctionne pas, ce sera la fin de mon métier », déclare-t-il avec lucidité.

Malgré les mois qui se sont écoulés, les stigmates de la catastrophe qu’a représenté Chido sont encore là. « Avec d’autres collègues, on avait demandé quelque chose de simple : qu’on puisse voir un psychologue, être écoutés, parler de ce qu’on avait vécu. On a tout perdu, parfois le travail de toute une vie. On n’a jamais eu de retour. Personne. »

Et face aux nombreux hommages et commémorations évoqués en ce 14 décembre, Abdallah Mhamadi, lui, n’espère qu’une chose : avoir la garantie qu’il va enfin pouvoir être accompagné financièrement pour pouvoir enfin aller de l’avant.