Dans une étude intitulée « La Polynésie française dans le tohu-bohu du monde », publiée par l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Jean-Marc Regnault, maître de conférence émérite et chercheur associé à l’Université de la Polynésie française, analyse les multiples dynamiques à l’œuvre dans cette collectivité. Aspirations identitaires, question de l’indépendance, place dans l’Indopacifique, enjeux statutaires, position de la France, l’auteur effectue une synthèse de toutes ces problématiques.
Les territoires français du Pacifique ne font pas exception au climat tendu qui affecte l’ensemble des régions d’Outre-Mer : tensions internes, rapports compliqués avec l’État central, et une position délicate dans les dynamiques géopolitiques et géostratégiques, qu’elles soient perçues depuis Paris ou depuis les différentes administrations locales. Située aux confins de l’Hexagone, l’Océanie n’est désormais plus considérée comme un « continent oublié ». Elle suscite même un intérêt croissant, notamment de la part de la Chine.
« La Polynésie française comporte 118 îles et atolls sur plus de 5 millions de km2. Les îles sont fragiles (surtout les atolls) et menacées par la montée et la salinité des eaux, l’érosion et les changements climatiques. La gestion de cette immense étendue est une difficulté majeure pour la France et les autorités locales, surtout quand on considère que la population totale d’environ 280 000 habitants est fortement dispersée », rappelle Jean-Marc Regnault.
Revendication identitaire
Ce dernier ajoute également que les habitants de la Polynésie, majoritairement très métissés, constituent une large majorité de la population (contrairement à la Nouvelle-Calédonie par exemple). Une précision importante concerne leur désignation : le terme Mā’ohi tend à remplacer celui de Polynésien au sein d’une partie croissante de la population.
Ce mot, d’origine autochtone, présente l’avantage de refléter une identité locale. Initialement porté par les mouvements indépendantistes, il s’est progressivement diffusé au-delà des clivages politiques. Aujourd’hui, la revendication identitaire associée au terme Mā’ohi dépasse de plus en plus les frontières idéologiques. « On touche là à la réalité. Qu’on les appelle Polynésiens ou Mā’ohi, les habitants ont le sentiment d’être un peuple », observe l’auteur.
Pourtant, selon lui, la question de l’indépendance n’est pas à l’ordre du jour, même si le gouvernement local (indépendantiste) essaie d’y préparer la population. « Le plus étonnant dans la classe politique locale, c’est son absence de prise de conscience que le monde a changé et que tout rocher qui émerge un tant soit peu de l’océan devient un enjeu mondial », souligne Jean-Marc Regnault.
En outre, les enjeux essentiels relevant des compétences locales (répartition des richesses, santé, logement, cherté de la vie…) -sur lesquels l’État n’a plus de prise- tendent à être relégués au second plan, tant l’énergie est absorbée par les débats statutaires, y compris au sein des courants autonomistes.
L’Indopacifique
L’auteur aborde ensuite la question de l’Indopacifique. Il s’interroge sur le fait que cette situation pourrait constituer une nouvelle forme de « raison d’État », utilisée comme prétexte pour retarder l’achèvement du processus de décolonisation.
La France dispose-t-elle réellement des moyens militaires nécessaires pour soutenir sa diplomatie dans la région ? Les mises en garde formulées par les commandants des Forces françaises dans le Pacifique -qui anticipent un conflit majeur dans un avenir proche, notamment autour de la question de Taïwan- sont-elles prises au sérieux par les autorités ?
Dans tous les cas, « le concept d’Indopacifique est fragilisé à la fois par l’affaiblissement du président de la République et des gouvernements et par la situation en Nouvelle-Calédonie », déplore-t-il.
Par ailleurs, Jean-Marc Regnault constate que depuis l’Accord de Nouméa signé en 1998, les autorités centrales distinguent clairement les statuts respectifs des territoires d’Outre-Mer, considérant que celui de la Nouvelle-Calédonie s’inscrit dans une démarche de décolonisation, jugée inappropriée pour la Polynésie. « Le nouveau Haut-commissaire Alexandre Rochatte vient de rappeler que, pour l’État, la Polynésie n’est plus une colonie. À l’appui, il avance que la COM a un gouvernement et une assemblée à dominante indépendantiste », précise-t-il.
Enjeux statutaires
D’après l’auteur, cela donne l’occasion à une partie des indépendantistes polynésiens de réaffirmer leur conviction que seule l’Organisation des Nations unies serait en mesure d’apporter une solution aux enjeux statutaires des deux collectivités. De son côté, le président polynésien Moetai Brotherson adopte une position qui affirme que la France pourrait « se réinventer grâce à la décolonisation en Nouvelle-Calédonie », une dynamique qu’il propose d’élargir à la Polynésie.
L’instabilité politique à Paris rend l’avenir de la Nouvelle-Calédonie incertain et affecte également la Polynésie. À titre d’exemple, le 27 août 2025, l’assemblée locale a voté la création d’une aire marine protégée couvrant un million de kilomètres carrés. Le président Brotherson, tout en affirmant ne pas éprouver « de sympathie particulière » pour le président Macron, s’est néanmoins réjoui de sa position affirmée contre « l’exploitation des minerais sub-océaniques ».
« Malgré les problèmes que nous avons soulevés, la France continue à adopter des budgets significatifs pour les Outre-mer et à renforcer la flotte en Polynésie pour une meilleure surveillance de la ZEE (zone économique exclusive, ndlr), des possibilités d’interventions plus rapides et améliorer ses capacités de projection dans la région », conclut Jean-Marc Regnault.
PM























