Indépendance dissimulée pour les uns, innovation juridique nécessaire pour les autres, le principe d’inscrire dans la Constitution française une loi fondamentale qui consacrerait le nouveau statut calédonien divise. Mais que renferme exactement cette notion juridique, inscrite dans le projet d’accord de Manuel Valls ? Éléments de réponse avec nos partenaires des Nouvelles Calédoniennes.
Le terme a fait son apparition à la reprise des discussions entre indépendantistes et non-indépendantistes, posé sur la table par les représentants de l’État. Le principe est clairement assumé par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls : « une loi fondamentale de la Nouvelle-Calédonie serait adoptée pour consacrer son nouveau statut » et constituerait « son socle institutionnel, normatif et politique », est-il indiqué dans le projet d’accord remis aux délégations politiques calédoniennes lors de son précédent séjour.
Ce principe juridique, qui définit l’ensemble des règles régissant un État, serait le reflet de la « singularité politique et juridique » de la Nouvelle-Calédonie, qui rend nécessaire l’imagination d’un statut sans égal dans les relations entre la France et ses territoires ultramarins. Elle serait inscrite au titre XIII de la Constitution française, là où sont actuellement rédigées les dispositions transitoires de l’accord de Nouméa, et auquel elle succéderait.
« Elle pourrait comprendre une charte des valeurs, un code de citoyenneté calédonienne, les symboles (nom, drapeau, etc.), les modalités d’exercice de la souveraineté, la répartition des compétences entre la Nouvelle-Calédonie, les provinces et l’État, l’organisation institutionnelle, les conditions d’exercice du droit à l’autodétermination », énumère le projet d’accord, reprenant en partie ce qui est encadré par l’actuelle loi organique de 1999.
Une reconnaissance de souveraineté ?
Mais là où la loi fondamentale va plus loin, c’est qu’elle conférerait à la Nouvelle-Calédonie « la compétence de la compétence ». Une notion qui consiste à offrir la possibilité de modifier, sans concertation avec l’État, les règles relatives à son organisation politique et institutionnelle. Actuellement, le moindre changement de la loi organique implique un passage devant les deux chambres parlementaires françaises, Assemblée nationale et Sénat.
Certains voient donc dans cette loi fondamentale une manière d’achever le transfert de compétences amorcé par l’accord de Nouméa. Pour ses détracteurs, c’est surtout un saut dans l’indépendance. « Une loi fondamentale est une Constitution qui ne dit pas son nom », fustige Philippe Blaise, deuxième vice-président de la province Sud et membre du groupe Les Loyalistes au Congrès. L’élu l’affirme : cette proposition de Manuel Valls « vise à nous amener sournoisement à accepter de devenir un État associé », en opposition avec l’idée d’une « République une et indivisible » consacrée par l’article 1 de la Constitution française.
Partisane, l’analyse est néanmoins partagée par un certain nombre d’experts du droit. « L’acte le plus important en termes de souveraineté, c’est l’établissement d’une constitution propre au territoire considéré. Dire qu’il va y avoir une loi fondamentale, c’est finalement reconnaître la souveraineté, qui est le terme juridique exact du territoire en question », estime le Constitutionnaliste Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public et constitutionnaliste, dans une interview donnée Outremers360.
Carine David, professeure de droit public et fine connaisseuse du dossier calédonien, ne dit pas autre chose. « La loi fondamentale est un synonyme de constitution, mais ça permet de ne pas dire le mot pour éviter de braquer la sensibilité des négociateurs qui pourraient y voir un pas dans une indépendance non consentie. »
Des exemples dans la région
À l’inverse de la loi organique, qui régit le fonctionnement de la Nouvelle-Calédonie depuis 35 ans, la loi fondamentale « est un acte d’autodétermination » qui acterait le nouveau statut du pays à travers « une loi locale et non nationale » comme c’était le cas de l’accord de Nouméa.
« La Constitution de 1958 contient déjà en son sein ce qui est une « petite Constitution », à savoir l'accord de Nouméa, puisqu’il a une valeur constitutionnelle » rappelle Ferdinand Mélin-Soucramanien, co-auteur d’un rapport sur l’avenir institutionnel calédonien publié en 2014. « Ce dont il s'agit, ce serait de clairement d’enchâsser dans la Constitution de 1958 une nouvelle « petite Constitution » pour la Nouvelle-Calédonie ».
Fervent défenseur de ce qu’il qualifie « d’innovation juridique », Philippe Dunoyer, du groupe Calédonie ensemble, veut couper court aux accusations d’indépendance déguisée. « C’est certes une constitution, mais inscrite dans la Constitution française », précise l’ancien député calédonien. Il y voit avant tout « une méthode » à adopter pour permettre à la Nouvelle-Calédonie de choisir un statut « qui ne corresponde à rien de ce qu’on connaît, qui est débarrassé de tout pré-requis ou référence ». Une façon de s’écarter du débat houleux autour de l’accord de Nouméa, « plancher de négociations » pour les indépendantistes, mais dont Les Loyalistes ne veulent plus entendre parler.
En vérité, l’intégration d’une loi fondamentale dans une constitution préexistante n’a rien d’inédit. « Cela existe dans tous les États fédéraux » affirme Carine David. Un exemple repris aussi par Ferdinand Mélin-Soucramanien qui citait les États-Unis d’Amérique, où « il y a une Constitution fédérale, la Constitution de 1787, et il y a dans chacun des cinquante États fédérés une Constitution propre à cet État fédéré ».
Plus éloquent encore, « beaucoup de territoires insulaires autonomes mais non indépendants bénéficient de ce type de construction. On peut citer les îles Cook et Niue par rapport à la Nouvelle-Zélande, même si cela est peu formalisé dans les textes. Un autre exemple est celui des Pays-Bas dans ses relations avec Curaçao, Aruba et Sint-Marteen, ou encore les Bermudes avec le Royaume-Uni et Porto Rico avec les États-Unis. »
Une interrogation devra toutefois être levée : comment et surtout par qui cette loi fondamentale sera-t-elle adoptée ? « Par le Congrès ? Une assemblée ad hoc ? Tout cela reste à définir », souligne Carine David. Quoi qu’il en soit, « il faudra modifier la Constitution française pour donner le pouvoir d’adopter localement la loi fondamentale », et donc réunir les parlementaires français à l’occasion d’un congrès de Versailles. Le sujet devrait immanquablement être abordé lors de la nouvelle phase de discussions entre l’État et les délégations calédoniennes, qui s’est ouverte ce mercredi 30 avril.
Baptiste Gouret pour Les Nouvelles Calédoniennes