Reconstruire les habitats pour les espèces, nettoyer les plages, reboiser les forêts, restaurer la barrière de corail ou les mangroves… Les défis sont nombreux pour les associations de Mayotte. Pourtant, l’environnement reste le grand absent de la Loi de programmation pour la refondation de Mayotte, voté en août dernier. Pour éviter que la reconstruction de l’île se fasse au détriment de la biodiversité et des milieux naturels, les associations se battent depuis dix mois pour faire entendre leurs voix. Quatrième épisode de notre dossier spécial consacré à la reconstruction environnementale de Mayotte.
Reconstruire Mayotte après le passage du cyclone dévastateur Chido est une urgence. Mais cette reconstruction ne peut pas et ne doit pas se faire sans prendre en compte l’environnement. C’est le message martelé par les associations locales depuis plusieurs mois. Après une loi d'urgence adoptée en février 2025 pour faire face aux conséquences immédiates du cyclone, un nouveau texte a été promulgué en août 2025 pour refonder Mayotte en « corrigeant durablement les difficultés du territoire ».
Cette loi de programmation contient trois points essentiels : la lutte contre l’immigration, la lutte contre l’insécurité et le développement économique et social. L’environnement n’apparaît pas comme une priorité dans ce texte. « Le mot biodiversité est mentionné une seule fois dans tout le document, annexes comprises. Le mot forêt apparaît à deux reprises », se désole Théau Despeyroux, chargé de mission scientifique au sein de l’association Mayotte nature environnement (MNE). Inquiètes que l’environnement soit le grand oublié de la reconstruction post-chido, plusieurs associations ont rédigé une note à l’intention des élus politiques pour attirer l’attention sur ce manquement. Dans un plaidoyer publié en février, 15 acteurs de la protection de l’environnement sur l’archipel rappellent que « l’urgence humanitaire ne doit pas masquer l’importance de sauvegarder les milieux naturels de l’île, garants de sa viabilité à long terme ».

Conserver le patrimoine exceptionnel
Dans ce document, les signataires regrettent que « la conservation de ce patrimoine naturel exceptionnel (soit) absente des discours officiels et des projets de reconstruction qui risquent de se faire au détriment de celui-ci ». Ils demandent à l’État de mettre en place différentes mesures. Parmi elles, les associations proposent par exemple de réaliser un diagnostic de l’impact écologique du cyclone, de dépolluer et gérer les déchets et les eaux usées, de mettre en place des plans d’urgence pour les espèces en danger ou de lutter contre les espèces exotiques envahissantes.
Malgré la pertinence de ce texte, la Loi a été promulguée mais les associations n’ont pas baissé les bras. Plusieurs rendez-vous ont été organisés entre les associations environnementales locales et les représentants de l’État. « On nous promet que des choses seront faites et que l’environnement ne sera pas laissé de côté », confie l’ingénieur écologue Théau Despeyroux. Il ajoute : « On a quand même l’impression de tourner en rond. C’est très difficile de se faire entendre en étant une structure associative et encore plus venant d’un territoire ultramarin ».
Émilien Dautrey, directeur du Gepomay (Groupe d'études et de protection des oiseaux de Mayotte) et signataire de ce plaidoyer regrette lui aussi l’absence de mesures en faveur de l’environnement dans le texte de loi mais reste optimiste : « les milieux naturels seront normalement pris en compte dans la stratégie quinquennale de l'État pour la refondation de Mayotte ». Les associations ont rencontré la mission interministérielle portée par le général Pascal Facon. « La prochaine étape reste de savoir si des moyens suffisants seront alloués pour la reconstruction environnementale de l’île », poursuit Émilien Dautrey qui attend des réponses d’ici le mois de novembre.
« Toutes les actions sont prioritaires »
Tous les milieux naturels ont été fortement endomagés par Chido : les récifs coralliens, les zones humides, les forêts. Leur destruction a entraîné la mort ou la fuite des espèces qui y vivaient. « Toutes les actions sont prioritaires, je ne suis pas en mesure de dire que tel ou tel écosystème nécessite une intervention en urgence car les priorités sont multiples », ajoute le chargé de mission scientifique au sein de Mayotte nature environnement.
Les moyens financiers et humains manquent pour que les associations puissent mettre en place des projets concrets. « On manque d’effectif pour surveiller nos massifs forestiers afin d’éviter davantage de dégradation, les braconnages, ou lutter contre la destruction des espèces protégées. Les bénévoles ont déjà un boulot monumental ! », observe Théau Despeyroux.
Aussi, les démarches administratives sont parfois un frein à une mise en place rapide des projets. « L’action de terrain se relance depuis deux mois avec des projets post-chido très intéressants mais on aimerait que ça aille plus vite. »

Pour le directeur du Gepomay, l’une des priorités aujourd’hui est de prendre en compte la biodiversité de proximité dans l’aménagement du territoire. Ce sont les oiseaux, les insectes, les reptiles, les amphibiens qu’on retrouve en ville ou à proximité des zones urbaines. « Cette biodiversité dite ‘ordinaire’ est menacée par l’urbanisation », prévient Émilien Dautrey. « On souhaite que la biodiversité ne soit pas oubliée dans la reconstruction des villes et des villages. » Pour cela, l’association a créé un guide à destination des constructeurs, architectes, urbanistes, aménageurs du territoire ou collectivités. L’ingénieur agronome propose par exemple « d’identifier des zones prioritaires à re-naturer car ce sont des corridors écologiques, c’est-à-dire des espaces verts qui permettent le déplacement de la faune entre deux réservoirs de biodiversité. »
Selon le document, des modifications simples et non contraignantes permettent de protéger la biodiversité. Par exemple, il est possible d’ajuster le chantier à la phénologie des espèces présentes (reproduction, nidification, floraison) pour limiter les perturbations ou encore de diminuer la pollution sonore et lumineuse d’un chantier. Il est aussi possible de réhabiliter des bâtiments existants ou de choisir des matériaux produits ou extraits localement, « ce qui réduit non seulement l’impact carbone lié au transport, mais soutient également les savoir-faire régionaux ».
Le document co-construit par le Gepomay et des architectes, urbanistes ou collectivités est disponible gratuitement et doit servir de support à tous les acteurs concernés. « Quand on fait des travaux sur un site, il faut laisser des grands arbres, ils servent de coins d’ombre, abritent de la micro et macrofaune et font office de gîte d’animaux », complète Émilien Dautrey.
Le lagon passe de bleu à marron
Les vents soufflant à plus de 200 km/heure lors du passage du cyclone ont laissé derrière eux une masse incalculable de déchets sur les littoraux et les plages. L’antenne mahoraise de l’ONG Surfrider a organisé de nombreuses actions de ramassage de déchets depuis le début de l’année. Les premières journées de collecte ont rassemblé de nombreux bénévoles, désireux de participer au nettoyage de leur île. « On a ramassé beaucoup de taule, de matériaux de construction, des toits de maisons », décrit Caroline Daumin, bénévole de l’association. « On retrouvait beaucoup de gros déchets. Aujourd’hui, les plages sont toujours jonchées de détritus mais on retrouve davantage de petits déchets : du plastique, des canettes, des vêtements, des emballages. » Surfrider Mayotte organise des opérations de collecte tous les mois. Les dates de ces initiatives Océane sont disponibles sur la page Facebook de l’ONG.
Manrifa Moustoifa Ali, chargé de mission et responsable de l’antenne Océan Indien du Comité français de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN), s’inquiète quant à lui de l’avenir des écosystèmes marins : « Des zones entières ont été mises à nu par le cyclone et la forêt continue d’être détruite par les incendies sur brûlis, il ne reste plus rien. Or la saison des pluies commence, les mangroves détruites ne vont plus jouer leur rôle de filtre et ça va créer un évasement du lagon ». Il poursuit : « les herbiers marins et les coraux vont être étouffés et finiront par mourir. Cela va créer d’importantes perturbations au niveau de la faune et de la flore du lagon ». En effet, les forêts de palétuviers, qui représentent plus de 600 hectares à Mayotte, jouent un rôle essentiel de tampon entre la terre et la mer. Elles agissent comme des filtres contre les pollutions humaines et protègent le littoral de l'érosion et des tempêtes.
Pour lui, l’urgence est de réfléchir à des programmes sur le long terme pour que l’île de l’océan indien ne soit pas aussi vulnérable face aux catastrophes naturelles. « Il faut stopper l’hémorragie ! Tant qu’on continue à détruire les forêts de Mayotte, à exploiter les terres sans prendre en compte les écosystèmes, à construire sans faire attention, les conséquences seront de plus en plus désastreuses. »
Selon Manrifa Moustoifa Ali il faut à présent repenser intégralement la manière de concevoir le territoire et les milieux naturels. « Il faut qu’on arrête de travailler dans l’urgence, c’est une folie que nous avons à Mayotte. On se doit d’avoir une approche a très long terme pour penser la restauration de ces écosystèmes ».

La construction d’un socle commun
Les associations environnementales sont toutes confrontées à un manque de données scientifiques antérieures au passage du cyclone. Il est ainsi difficile d’évaluer concrètement les dégâts causés par Chido ou de mettre place des actions de sauvetage des espèces les plus fragiles car leurs habitats sont mal connus.
Au lendemain du passage de Chido, les associations se sont rapidement réunies, à l’initiative de la Fédération mahoraise des associations environnementales (FMAE) pour échanger sur les actions prioritaires pour lutter contre les espèces exotiques envahissantes, préserver les herbiers marins, les mangroves et la forêt. Ce travail conjoint entre les acteurs associatifs du territoire a été bénéfique et inédit. « Le tissu associatif de Mayotte a été très impliqué, les bénévoles ont travaillé jour et nuit pour la reconstruction de l’île », se souvient Manrifa Moustoifa Ali, responsable de l’antenne Océan Indien due l’UICN. « On s’est tous retrouvé autour d’un socle commun, on a travaillé ensemble, c’est ce qu’on peut tirer de positif de cette période difficile ».
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