Regards d’Actu-Davy Rimane, député de Guyane: «Le salut de nos territoires ne passera que par notre capacité à faire entendre nos voix»

Outremers 360 vous propose «Regards d’actu avec …». Une série dans laquelle nos invités livrent leurs regards, leurs analyses sur des faits d’actualités ou des thématiques qui marquent leur territoire. Ce dimanche, nous donnons la parole à Davy Rimane, député de la deuxième circonscription de Guyane. Il aborde dans cette interview sa vision sur sa fonction d'élu, la réforme des retraites pour les Ultramarins, l'évolution statutaire en Guyane, l'examen de la loi sur l'immigration, les objectifs de la mission d'information sur l'autonomie énergétique en Outre-mer dont il est l'un des rapporteurs.


Outremers 360 : Vous êtes devenu député de la 2ème circonscription de Guyane en juin dernier. Est-il plus difficile d'être entendu, écouté comme militant ou en tant que député ?

Davy Rimane: Ce sont deux choses différentes, deux approches différentes, même si dans les deux, en tant qu'ancien militant comme député, la volonté et la finalité sont les mêmes : faire les choses avancer et progresser pour le territoire et sa population. Il n'en est moins vrai que le travail n'est pas le même. J'essaie toujours de garder encore une part de militantisme dans ce que je fais, car il n'y a que ça de vrai. Pour moi, être vrai correspond à être proche des gens, relayer leurs réalités et se battre pour que ça avance concrètement.
En tant que député, j'essaie de garder cette volonté. Ce n’est pas chose facile mais en tout cas je mets l'énergie et l'abnégation nécessaire à cela.

Outremers 360 : Le projet de loi sur la réforme des retraites est actuellement débattu au Parlement. Vous avez interpellé à plusieurs reprises le Gouvernement sur le sort des retraités guyanais et ultramarins. Comment analysez-vous cela ? 

Davy Rimane: Le Gouvernement a démontré sa capacité à ne pas nous voir. Ce qui est dramatique pour eux, en réalité!
Dans cette réforme des retraites, le sort des retraités ultramarins n’est pris en compte à aucun moment. Lorsque je pose la question au ministre Dussopt. Il répond qu’il y a effectivement un souci, que les partenaires sociaux vont devoir s’en emparer. Ils sont dans une impréparation, il n’y a pas de précision selon les cas particuliers.
Beaucoup de contre-vérités sont dites de leur part : par exemple, au sujet des 1200 euros bruts ou nets, qui concerne tout le monde puis une partie des retraités. Ils sont dans le dur, dans une grande difficulté.
Lorsque nous sommes dans l’hémicycle, que l’on questionne durant les débats sur ce projet, il n’y a pas forcément de réponses. Cela est inquiétant, il n’y a rien de rassurant. Cela reste pour moi scabreux à beaucoup de niveaux. Ce sont pour toutes ces raisons, que nous nous inscrivons en négation totale à ce projet de loi. Il n’est pas question de cautionner, de demander aux gens de travailler deux ans supplémentaires aujourd'hui au regard du contexte actuel.

Outremers 360 :  Dans un territoire où le coût de la vie et le taux de chômage sont élévés en Guyane. La question de la réforme des retraites interpelle-t-elle les Guyanais, ou le contexte de l'inflation éclipse-t-il ce sujet auprès des Guyanais de votre circonscription?

Davy Rimane: La réforme des retraites ou gérer le quotidien restent des sujets majeurs. D’un côté, lorsque vous parlez avec des jeunes, le sujet majeur n’est certes pas la problématique de la réforme des retraites mais de faire face aux difficultés du quotidien pour loger, se nourrir, trouver un emploi. D’un autre côté, il y a les travailleurs, proches de la retraite, à quelques années de leur fin de carrières où la question de la réforme des retraites est prégnant.
Nous sommes sur des enjeux différents avec des populations différentes, même si pour les personnes proches de rentrer dans l’inactivité,le quotidien est une préoccupation très présente également.
Pour ma part,on n’occulte pas ces problématiques. En ce qui me concerne, c’est mon fil rouge, le quotidien des uns et des autres et comment y répondre, je l’espère, très rapidement.

Outremers 360 : L'Assemblée nationale a récemment adopté la proposition de résolution de la commission d'enquête sur la vie chère en Outre-mer. Quelles sont vos attentes de cette commission d'enquête pour la Guyane et pour les Outre-mer?

Davy Rimane: D’abord, nous avons félicité notre collègue Johnny Hajjar de la Martinique, pour la mise en place de cette commission.
Cependant, je relativise un peu. Cela reste qu’une commission d’enquête. Il y a déjà eu des commissions d'enquête sur le même sujet auparavant, pour nos territoires mais il y a eu peu d’effets. Il y a eu des lois telles que la loi EROM (Egalité réelle outre-mer), on cherche encore les impacts positifs, concrets pour les nôtres.
Cette commission d'enquête ne doit pas occulter ou empêcher le gouvernement de faire ce qu'il faut pour le territoire. Le gouvernement, donc l'État a la capacité, les moyens de le faire. C'est juste une question de volonté,et pour l'instant je ne l'ai pas encore vu.

Outremers 360 : Vous êtes à l'initiative de la première rencontre des députés 97 en Guyane. Quel bilan faites-vous de cette rencontre? Avez-vous eu des retours de la part de la Première ministre Elisabeth Borne?

Davy Rimane: C'était un moment extrêmement fructueux. Nous avons bien travaillé, nous avons sorti un document avec plusieurs résolutions justement à transmettre à la Première ministre. Volontairement, nous n’avons pas encore rendu public, nous voulons lui en faire la primauté. Force est de constater qu’il n’y a pas de réponse positive à ses doléances. Une nouvelle rencontre est prévue cette année à La Réunion, entre août et septembre. La date précise n’est pas encore fixée mais le rendez-vous est d’ores et déjà pris pour pour une prochaine rencontre.

Outremers 360 : La question de l'évolution statutaire est l'une des thématiques lors de la rencontre des députés 97. Selon vous, quelles sont les solutions pour que la Guyane connaisse un véritable développement ?

Davy Rimane: La Guyane est la capacité à prendre des décisions. C’est pour cela que l’on parle d'évolution statutaire pour avoir plus de pouvoir décisionnel sur le pays. Depuis 1946 et 76 ans après la départementalisation, nous voyons les carences. Nous sommes encore sur un système vertical centralisé à à 1000 lieues de connaître nos réalités.
Aujourd’hui, nous avons des pistes de réflexion pour améliorer cela. La Guyane a une richesse inexploitée pour son territoire. Je pense que la Guyane est l'un des territoires des Outre-mer qui a le plus de potentialités sur de nombreux sujets. C’est un territoire à construire, à construire avec les obligations du moment par rapport à l'environnement, au climat. On a le pouvoir de démontrer qu'on peut développer un territoire, le construire en prenant en compte un certain nombre de choses essentielles à notre subsistance et à notre avenir collectif. Personnellement, j’y crois foncièrement, nous n’avons pas d’autre choix que de réussir. Comme je l’ai déjà dit à certains ministres : avec ou sans l’Etat, on doit réussir! Je mise sur nous, dans nos capacités à faire, à démontrer et à réaliser.

Outremers 360 : A partir du mois de mars, le Parlement examine le projet de loi sur l'immigration. La Guyane est un territoire concerné par cette vague d'immigration. Qu'attendez vous d'abord de cette loi pour le territoire ?

Davy Rimane: Lorsqu'on regarde ce document, une fois encore, il n'y a rien de particulier pour la réalité des territoires d'outre mer.
La Guyane est le seul territoire français à avoir des frontières en dehors du continent européen. Nous avons un pays à l'Ouest qui est le Surinam, un pays à l'Est qui est le Brésil. Nos frontières, ce sont deux fleuves: La Guyane a une particularité, voire exacerbée sur le sujet.
Je travaille déjà avec ma collaboratrice sur le dossier, nous commençons nos auditions à partir du 20 février en Guyane. Le but est, au travers de cette loi, de faire ressortir la réalité où les réalités guyanaises avec une approche humaine du sujet et différemment de ce que l’on peut attendre dans l’Hexagone ou au niveau européen, en matière de quotas notamment. Il s’agit d’inverser la réflexion et voir comment y répondre.
De toutes manières, peut-on parler de fleuves comme des frontières. Quand vous êtes autour d’un point d’eau, ce sont des bassins de vie autour de ces fleuves. Dans ce contexte, je m’inscris dans cette approche différente. J'espère que les les amendements et les sujets que je ferai remonter par rapport à la réalité de la Guyane seront entendus.
Le but est de convaincre les uns et les autres qu'on ne peut avoir une approche numéraire ou idéologique sur un sujet tel que celui-ci.
A un moment, je pense que l’on doit apporter, proposer autre chose de ce qui a été fait aujourd’hui. C’est pour cela que je fais la distinction entre un immigré et un exilé. On parle de personnes qui viennent ici car elles fuient la guerre, la misère, et elles ont envie d’un avenir meilleur pour leur famille. Elles ne viennent pas par gaieté de coeur, elles sont en souffrance. On se doit d'apaiser ne serait-ce qu'un tant soit peu leurs souffrances, les aider, et même potentiellement par rapport à leur pays d'origine.

Outremers 360 : Avec le député de La Réunion, vous êtes le rapporteur de la mission d'information sur l'autonomie énergétique des Outre-mer. Quels sont les objectifs de cette mission d'information.

Davy Rimane: Les objectifs de cette mission d’information sont simples. C’est surtout de démontrer que, territoire par territoire, s’il est en capacité d’arriver à l'autonomie énergétique dans sa globalité. Si oui, comment ? Sous combien de temps il peut y arriver, avec quels axes. Si non, pourquoi ? Quelles sont les questions et les raisons qui empêchent que ce territoire soit autonome énergétiquement? Le but est de démontrer ce qui doit être fait ou pas à différents niveaux, pourquoi et comment, et essayer de rendre cela concret.

Outremers 360 : Après plusieurs mois passés à l'hémicycle, quel constat faites-vous de l'exercice du jeu politique, de la relation entre l'Etat et les territoires ultramarins ?

Davy Rimane : Je vous ferai une réponse qui ne sera pas politique mais totalement humaine. Notre salut ne viendra que de nous-même ! Après 7 mois, je ne crois pas que l’Etat, le système, les personnes siégeant dans la majorité, veulent comprendre et veulent faire faits et causes de nos réalités. Il y a trop d'hypocrisie, de démagogie dans tout ça et il y a un manque de sincérité.

Lorsqu'on parle d'égalité et de fraternité dans la République, ces notions n'existent pas. Si je peux exprimer un certain regret personnel, c'est de voir que des personnalités comme Aimé Césaire, Frantz Fanon dénonçaient déjà ces faits dans leurs écrits. C'est sans doute lié à notre histoire, notre héritage mais nous reproduisons les mêmes comportements et  nous avons les mêmes résultats. Je souhaite aujourd'hui être en rupture car je veux honorer la mémoire de ces personnes. Je prends pour exemple la dernière apparition de Justin Catayée à l'hémicycle où il dénonçait ces choses-là déjà. L'histoire a fait qu'il n'a pas pu rentrer au pays et échanger avec la population.  Je veux m'inscrire dans cette même posture : rentrer et échanger avec les Guyanais sur ce qui se passe, les informer sur les  avancées obtenues.
Ça n'enlève aucunement ma volonté à ce que les choses évoluent positivement. Je ne sais pas de quoi demain est fait. Mais, je suis convaincu que le salut de nos territoires, de nos peuples, ne pourra passer que par notre capacité à faire entendre nos voix.

J'ai vraiment le souhait que les hommes et les femmes qui s'engagent en politique soient sincères. On ne peut s'engager en politique si on ne l'aime pas l'autre. Certains diront que c'est un théâtre, mais pour ma part  je pars du principe que lorsqu'on a décidé d'épouser cette fonction d'élu, cela signifie que l'on souhaite œuvrer pour l'autre. J'espère qu'un jour que l'on trouvera plus de vérité et de sincérité dans ces fonctions, car cela est nécessaire. Sans sincérité, comment réussir à trouver des solutions aux problèmes auxquels nous sommes confrontés? Nous devons trouver les solutions pour que les personnes ne souffrent plus. Comme disait Mandela, poser un genou à terre, ce n'est pas abandonner, c'est juste se reposer pour recommencer. Je peux comprendre la fatigue, la lassitude que peuvent exprimer certains, mais il ne faut pas perdre espoir ou abandonner !