Le chercheur polynésien Tamatoa Bambridge, unique français membre du conseil scientifique chargé de préparer le One Ocean Science

Le chercheur polynésien Tamatoa Bambridge, unique français membre du conseil scientifique chargé de préparer le One Ocean Science

Le chercheur du CNRS Tamatoa Bambridge est l’unique Polynésien, et d’ailleurs l’unique Français, parmi les 19 membres du conseil scientifique chargé depuis deux ans de sélectionner les thèmes et recommandations du congrès One Ocean Science qui se tient à Nice du 3 au 6 juin, et qui servira de base scientifique à la 3e Conférence des Nations unies sur les océans. Tour d’horizon avec notre partenaire Radio 1 Tahiti des sujets qui seront abordés, des raisons d’espérer et des motifs d’inquiétude.

Anthropologue et sociologue, chercheur au CNRS et autorité sur les pratiques de rahui, Tamatoa Bambridge est le seul Polynésien et Français membre du conseil scientifique, chargé depuis deux ans de la sélection des thèmes et recommandations du congrès One Ocean Science qui servira de socle aux échanges de l’UNOC-3, la conférence des Nations unies sur l’Océan qui se tient à Nice début juin.

Deux ans à lire les 1 800 abstracts et les innombrables propositions, à faire un tri en prenant soin d’inclure des jeunes, des femmes, des chercheurs de pays moins entendus sur la scène internationale, à organiser les présentations et le dispositif de communication, mais aussi à décerner une centaine de bourses et même à préparer un spectacle à l’Opéra de Nice qui mettra en scène les recommandations. Plus de 2 100 scientifiques du monde entier sont attendus à Nice, et c’est un peu grâce à lui.

Dix grands thèmes ont été retenus, dont la protection et la gestion durable des écosystèmes marins et littoraux, la connaissance des grands fonds marins et leur utilisation durable, l’accès équitable aux ressources génétiques marines et aux ressources alimentaires, la transparence du secteur des pêches, la pollution plastique des océans, ou encore la réduction de l’empreinte carbone du transport maritime qui progresse rapidement mais supposera des investissements colossaux dans les infrastructures. Et, pour la première fois dans un congrès de ce type, les droits de la nature, dit Tamatoa Bambridge.

L’occasion d’apprendre ou de se remémorer des faits et ces chiffres marquants : « 43 états, assemblées ou organisations autochtones ont mis en place des systèmes de droits donnés à la nature, jusqu’à des reconnaissances constitutionnelles ». Sur la pollution plastique, « il n’y a aucune solution sauf produire moins, parce que le recyclage est encore plus polluant. » Quant à la pêche, « quatre États représentent à peu près 70% de la pêche mondiale (…), des États qui subventionnent à outrance les pêcheries, à tel point que le montant des subventions est supérieur à la valeur des captures », dit Tamatoa Bambridge, et depuis l’année dernière, l’aquaculture apporte au monde davantage de protéines que la pêche.

Et pourtant, dit-il, « la France n’est pas suffisamment consciente que l’importance des Outre-mer en général. Le schéma directeur national ne parle ni de la pêche ni de l’aquaculture tropicale. C’est gênant quand on est présent sur trois océans et qu’on se dit être la deuxième puissance maritime mondiale. »

La recherche et la prévention dans le Pacifique victime de Trump

Les coupes budgétaires du gouvernement américain privent les scientifiques de nombreuses données, alerteront aussi les scientifiques à Nice. C’est particulièrement vrai dans le Pacifique, où de nombreux pays sont dépendants de la NOAA (l’administration nationale océanique et atmosphérique) mais n’ont plus accès à ses observations, alors qu’aucun autre système n’est encore en mesure de prendre le relais. Le système de surveillance des espèces animales et de l’environnement Argos, dont les États-Unis sont le principal financeur, est également source d’inquiétude, complète Tamatoa Bambridge.

Exploitation minière sous-marine : une « idéologie de pays riches » ?

Quant à la délégation polynésienne, ses deux grands sujets devraient être les aires marines gérées et l’exploitation minière des grands fonds marins. Sur le premier sujet, il affirme : « L’efficacité des aires marines gérées françaises n’est que de 6%. » Sur le second, il prévient : « Il y a trois pays qui veulent exploiter les ressources minières sous-marines : Nauru, Tonga et les îles Cook. À titre personnel, je crois qu’il faut regarder en détail comment ils pourraient le faire ou pas. Ce qu’il ne faudrait pas, c’est que le moratoire soit associé avec une idéologie de pays riches (…). Il faut trouver un juste milieu. »

Un bilan mitigé de l’Accord de Paris

Le congrès va aussi tirer le bilan de la COP21 (2015) qui avait fixé l’objectif de limiter avant 2050 le réchauffement climatique à 1,5° au-dessus du chiffre de la période pré-industrielle. Et il est mauvais : ce sera +2,8°, dit Tamatoa Bambridge. Mais il y aussi de bonnes nouvelles : grâce à la politique volontariste de la Chine, l’objectif de 30% d’énergies renouvelables à 2030 sera dépassé.

Dans le domaine de la préservation des océans le besoin de financement annuel pour se conformer aux objectifs de développement durable définis par l’ONU est à présent évalué à 130 milliards de dollars : « on voit bien que les états à eux seuls n’y parviendront pas, il faudra aussi embarquer les entreprises. »

Les recommandations du congrès sont sous embargo jusqu’à début juin, libre aux états participant à la conférence de les rendre publics avant. Mais le congrès scientifique le fera dès que possible, « parce que c’est un travail pour tout le monde, c’est un commun », dit Tamatoa Bambridge. En conclusion, il rappelle un autre chiffre : « 80% des terres et des océans conservés aujourd’hui, c’est grâce à 4% de la population, tous des populations dites indigènes ou locales. Et c’est grâce à eux, en fait, qu’on a encore des environnements non perturbés. »

Caroline Perdrix pour Radio 1 Tahiti