Littérature : publication des «Manifestes» d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau

Littérature : publication des «Manifestes» d’Édouard Glissant et de Patrick Chamoiseau

Les «Manifestes» des écrivains martiniquais Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau paraîtront le 4 février en librairie, à l’occasion du 10ème anniversaire du décès d’Edouard Glissant, survenu le 3 février 2011. Il s’agit des divers textes théoriques et critiques, publiés entre 2000 et 2009 et édités en un seul volume, rassemblant les réflexions des auteurs sur des thèmes sociétaux comme l’identité nationale, «les produits de haute nécessité», le passage du cyclone Dean ou l’importance d’un projet global pour refonder les départements d’Outre-mer.

La sortie de «Manifestes» le 4 février résonne comme un hommage à Edouard Glissant, décédé il y a dix ans à Paris, le 3 février 2011, à l’âge de 82 ans. Poète, romancier, essayiste, prix Renaudot en 1958, l’auteur a résolument marqué son époque par ses écrits visionnaires et la densité de sa réflexion. C’est à lui notamment que l’on doit les concepts de «relation» et de «Tout-monde », qui ont inspiré nombre d’écrivains et de chercheurs au plan international. Son ami de longue date Patrick Chamoiseau, prix Goncourt en 1992, l’accompagnera dans son parcours intellectuel. Outre leurs multiples échanges, ils publieront à deux mains les célèbres «Manifestes» édités aujourd’hui.

Quand on relit ces textes, on est frappé par leur actualité. Reprenons par exemple celui consacré au passage du cyclone Dean en Martinique en août 2007, intitulé «Dean est passé, il faut renaître. Aprézan !», initialement publié par le quotidien Le Monde. Les signataires écrivent notamment que «les moments chaotiques sont souvent des lieux de renaissance» ; «Toute régénération surgit toujours d’une perturbation. Plus la perturbation est sévère, plus le renouvellement qui s’ensuit est profond, puissant, parfois jusqu’à la mutation». Comment ne pas penser aux «moments chaotiques» et à la «perturbation» que nous vivons, engendrés par une pandémie mondiale ? «En fait, le désastre ou la crise sont aussi, et surtout, des opportunités. Quand tout s’effondre ou se voit bousculé, ce sont aussi des rigidités et des impossibles qui se voient bousculés. Ce sont des improbables qui soudain se voient sculptés par de nouvelles clartés», poursuivent les auteurs.

Un autre manifeste, «Quand les murs tombent. L’identité nationale hors-la-loi ?», édité peu après la création d’un «ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Co-développement» en 2007, adhère encore singulièrement à notre époque. « Sapiens est par définition un migrant, émigrant, immigrant », disent Glissant et Chamoiseau. « Il a essaimé comme cela, pris le monde comme cela et, comme cela, il a traversé les sables et les neiges, les monts et les abîmes, déserté les famines pour suivre le boire et le manger. «Il n’est frontière qu’on n’outrepasse». Cela se vérifie sur des millions d’années. (…) Aucun de ces murs qui se dressent tout partout, sous des prétextes divers (…) ne saurait endiguer cette vérité simple : que le Tout-Monde devient de plus en plus la maison de tous – Kay tout moun -, qu’il appartient à tous et que son équilibre passe par l’équilibre de tous.»

Le livre comporte également le «Manifeste pour les ‘produits’ de haute nécessité» (co-écrit avec Ernest Breleur, Gérard Delver, Serge Domi, Bertène Juminer, Guillaume Pigeard de Gurbert, Olivier Portecop, Olivier Pulvar et Jean-Claude William), paru en février 2009 durant les grèves et les mouvements sociaux qui ont agité la Guadeloupe puis la Martinique contre la vie chère, la «pwofitasyon» (exploitation outrancière) et les hausses de prix. Douze ans plus tard, ce texte n’a pas pris une ride, et tous les territoires d’Outre-mer pourraient s’y retrouver. «Ce mouvement a mis en exergue le tragique émiettement institutionnel de nos pays, et l’absence de pouvoir qui lui sert d’ossature. (…) La compétence n’arrive que par des émissaires. La désinvolture et le mépris rôdent à tous les étages», écrivent les auteurs.

Ces derniers prônent notamment « une force politique de renouvellement et de projection apte à nous faire accéder à la responsabilité de nous-mêmes par nous-mêmes et au pouvoir de nous-mêmes sur nous-mêmes ». Les autres textes regroupés dans l’ouvrage («Manifeste pour un projet global», «De loin…», «L’intraitable beauté du monde») sont tout aussi passionnants. À vous de les découvrir…

Manifestes, par Édouard Glissant et Patrick Chamoiseau (avec une postface d’Edwy Plenel), Éditions La Découverte et les Éditions de l’Institut du Tout-Monde, 120 pages, 10 euros.

PM