Interview. Safia Ibrahim, nouvelle directrice régionale Océan Pacifique de l’AFD : « Nous avons des entreprises, des savoir-faire, une présence historique : il faut en faire un levier de rayonnement »

© DR

Interview. Safia Ibrahim, nouvelle directrice régionale Océan Pacifique de l’AFD : « Nous avons des entreprises, des savoir-faire, une présence historique : il faut en faire un levier de rayonnement »

Installée depuis peu à Nouméa, Safia Ibrahim a pris la tête de la direction régionale Océan Pacifique de l’Agence française de développement (AFD). Présente depuis près de 80 ans dans le Pacifique via ses agences de Nouméa et Papeete, l’AFD a récemment renforcé sa présence régionale en ouvrant de nouvelles antennes à Suva (Fidji), Port-Moresby (Papouasie-Nouvelle-Guinée) et Port-Vila (Vanuatu). Dans une région particulièrement exposée aux effets du changement climatique et aux défis de développement durable, la mission est claire : accompagner les transitions écologiques, renforcer les coopérations régionales et réduire les vulnérabilités. Pour sa nouvelle directrice, Safia Ibrahim, ancienne cheffe d’agence de l’AFD en République démocratique du Congo et femme engagée pour l’égalité, ce nouveau chapitre dans le Pacifique s’annonce à la fois exigeant et porteur d’espoir. Pour Outremers 360, elle nous en dit plus sur les priorités et les ambitions de l’AFD dans cette zone stratégique.


Un poste à la croisée des mondes

La direction régionale Pacifique de l’AFD couvre pas moins de 18 pays et territoires dont trois territoires français, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française et Wallis-et-Futuna, ainsi que plusieurs États indépendants de la région, de la Papouasie-Nouvelle-Guinée à Vanuatu en passant par Fidji. Un périmètre aussi vaste qu’exigeant, où la coopération régionale et les enjeux climatiques s’entrecroisent. « C’est ma première affectation en Outre-mer, mais pas ma première expérience à l’étranger », confie Safia Ibrahim. Après avoir dirigé des équipes en République démocratique du Congo et en Guinée, cette femme engagée connaît la complexité des terrains où développement économique, cohésion sociale et stabilité politique s’entremêlent. 

Avec Alexandre Rochatte, Haut-Commissaire en Polynésie

Une émotion et une mission

« L’Outre-mer, notamment le Pacifique, a nourri mon imaginaire et mon ADN politique », dit-elle avec émotion. Elle évoque tour à tour Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, figures emblématiques de l’histoire calédonienne. Pour celle qui a suivi de près les Accords de Nouméa, ces territoires portent un pan essentiel de l’histoire française contemporaine. « Travailler ici, c’est renouer avec un passé politique fort, celui d’un dialogue entre peuples et d’une construction collective. » Professionnellement, elle mesure l’honneur et la responsabilité de compter parmi les 17 responsables régionaux du groupe AFD dans le monde : « C’est une reconnaissance de parcours, mais aussi une obligation : celle de laisser une marque utile ».

Des ponts entre Afrique et Pacifique

Forte de son expérience africaine, Safia Ibrahim retrouve dans le Pacifique des défis familiers : gouvernance perfectible, besoin de renforcer les maîtrises d’ouvrage locales, et surtout, inégalités de genre persistantes. « Partout, ce sont les femmes et les filles qui subissent les inégalités économiques et climatiques. Pourtant, ce sont elles qui portent la solidité des sociétés. » Elle cite, avec admiration, la Maison des Femmes de Papeete qu’elle a visitée à son arrivée : « Un lieu exemplaire, qui ne se contente pas d’accueillir les victimes de violences, mais leur offre la possibilité de se reconstruire et de retrouver une autonomie ».

Safia Ibrahim-  reçoit  le  21 mai 2025 le  titre de Commandeur dans l’Ordre national « Héros nationaux Kabila-Lumumba »

Trois priorités : éducation, climat et développement économique

Sur le terrain, l’AFD accompagne les politiques publiques locales à travers le financement de projets structurants, de la formation à la transition énergétique. Parmi les priorités : l’adaptation au changement climatique, la réduction des inégalités et le soutien au secteur privé, moteur de l’emploi. « Les politiques publiques créent un environnement, mais ce sont les entreprises qui créent les emplois », rappelle-t-elle.

Avec un portefeuille de 5 milliards d’euros d’engagements dans le Pacifique, l’AFD se positionne comme un partenaire majeur du développement régional auprès des collectivités et des acteurs économiques.

Une ambition régionale

Safia Ibrahim souhaite renforcer la stratégie Indopacifique de la France, en valorisant l’expertise des territoires français au service de leurs voisins insulaires. « Nous avons des entreprises, des savoir-faire, une présence historique : il faut en faire un levier de rayonnement. » Elle salue aussi les initiatives locales qui, selon elle, incarnent « l’esprit de résilience du Pacifique ,» ou encore, les associations sportives et féminines qui « bâtissent la paix sociale ».

Construire le destin commun

Safia Ibrahim  voit dans la diversité calédonienne une richesse : « Ici, j’ai rencontré des Kanak, des Caldoches, des Zoreilles, tous fiers de leur identité. La diversité n’est pas un obstacle, c’est une chance, si elle s’inscrit dans un destin commun ».  Et ce destin commun passe par la jeunesse : « Il faut offrir l’excellence aux plus vulnérables. C’est le devoir d’une communauté envers sa jeunesse. Et cette jeunesse, à son tour, a le devoir de contribuer au destin commun ».

Dans un Pacifique en quête d’équilibre entre développement, justice sociale et résilience climatique, Safia Ibrahim avance avec la conviction de celles qui croient à la force du collectif et au pouvoir du dialogue.

EG