DOCUMENTAIRE. «Hortense, la reine de l'île des pins», un portrait inédit de la cheffe coutumière Kanedjo Vendégou

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DOCUMENTAIRE. «Hortense, la reine de l'île des pins», un portrait inédit de la cheffe coutumière Kanedjo Vendégou

Un portrait inédit de la reine Hortense sera diffusé ce mardi 9 septembre sur la télévision publique calédonienne. Il met en lumière Kanedjo Vendégou, surnommée « la reine Hortense », cheffe coutumière de l’île des Pins de 1856 à 1883. Des personnalités reconnues sur l’île des Pins, plus largement en Nouvelle-Calédonie et même à l’international,
interviennent pour livrer des anecdotes et souvenirs personnels, des précisions historiques
et culturelles. Réalisé par Fabrice Gardel, avec Alexia Klingler, il est coécrit par Alexandre Juster, que nous avons rencontré. Il est par ailleurs ethnolinguiste, spécialisé dans le Pacifique Sud.
 

Qui était la reine Hortense ?

Hortense, Kanedjo Vendégou de son nom de naissance, est née en 1856 à Kwényïï – l’île
des Pins. Elle était la fille du grand chef Kaoua, qui dirigeait la chefferie lors de la prise de
possession de l’île par la France le 29 septembre 1853, cinq jours après celle de la Grande
Terre. Son père, dont le pouvoir était par ailleurs contesté par une partie des clans de l’île,
est mort alors qu’elle n’avait que 7 ans. La succession a donné lieu à une crise dynastique.
Les clans opposés à Kaoua ont voulu chasser Kanedjo, qui s’est réfugiée dans une grotte au
nord de cette île de 150 km².

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Qu’est-ce qui vous a d’abord attiré dans le destin de la « reine Hortense » et vous a
poussé à coécrire ce film ?

En terminant le film consacré à la reine polynésienne Pōmare IV, le réalisateur Fabrice
Gardel m’avait demandé quelle autre femme du Pacifique j’avais envie de mettre en lumière.
J’ai tout naturellement pensé à la reine Hortense – Kanedjo Vendégou. Elle a vécu à une
époque charnière de la Nouvelle-Calédonie : la prise de possession française,
l’évangélisation et l’arrivée de l’écriture, le débarquement des déportés politiques et donc la
création d’une colonie pénitentiaire sur son île.

Le film met en avant l’injonction faite par Paris de transformer l’île tout entière en
bagne. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le rôle joué par Hortense à ce
moment-là ?

Après la fermeture de la colonie pénitentiaire aux îles Marquises, la France chercha un lieu
pour y envoyer les condamnés politiques. Ce lieu, selon la loi, devait être hors du territoire
européen. L’urgence était d’autant plus grande qu’après la Commune de Paris, ce type de
condamnés allait être nombreux. En avril 1872, la Chambre des députés vota une loi
prévoyant que l’île des Pins servirait de lieu de déportation simple, pour les condamnés à la
déportation libre, tandis que le bagne de la presqu’île de Ducos, à côté de Nouméa, qui
accueillait déjà les forçats depuis 1864, recevrait ceux condamnés à la déportation en
enceinte fortifiée.

À Nouméa, le gouverneur de la colonie, Louis Eugène Gaultier de La Richerie, apprend la
future destinée de l’île des Pins alors que le navire emmenant les condamnés a déjà quitté la
France. Il annonce la mesure à la reine Hortense, qui va devoir faire évacuer son île. Elle
s’oppose fermement à cette décision. Elle écrit une lettre au gouverneur pour lui signifier
qu’elle refuse que son peuple quitte sa terre. Il faut alors imaginer la scène : un gouverneur,
militaire, officier de marine, face à une femme, de trente ans sa cadette, « indigène », qui va
lui mettre des bâtons dans les roues alors qu’il doit appliquer la loi.

Hortense, par la négociation, la diplomatie et la recherche du compromis – des éléments
forts dans la culture kanak – réussit à faire en sorte que seule la moitié de l’île devienne un
bagne. Hortense a infléchi le cours de l’histoire imposé par Paris.

Comment expliquez-vous que son histoire soit tombée dans l’oubli alors qu’elle joua
un rôle central à l’île des Pins ?

Il est vrai que son époux, Samuel, également chef coutumier, est bien plus resté dans
l’histoire qu’Hortense. Il faut se replonger dans le contexte : à l’époque, le gendarme, les
militaires, le gouverneur, l’évêque – bref, tous ceux qui appartiennent à l’administration
coloniale ou qui y sont liés – sont des hommes. Ils arrivent de France, où les femmes
n’occupent alors aucune fonction politique – contrairement au Royaume-Uni, gouverné par la
reine Victoria. Personne ne pouvait imaginer que cette jeune femme, et comme on disait à
l’époque « indigène » de surcroît, puisse détenir quelque pouvoir.

Il faut également prendre en compte qu’il était convenu à l’époque de présenter la Nouvelle-
Calédonie comme un territoire peuplé de dangereux cannibales, une vision mystifiée peu
compatible avec le fait que des femmes puissent être cheffes.
Certains contemporains ont même écrit que le terme « reine Hortense » était un sobriquet,
utilisé pour se moquer d’elle.
Pourtant, à Paris, une décision ministérielle lui octroie une rente – pas toujours payée en
temps et en heure, d’ailleurs – comme cela était prévu dans le traité de prise de possession.

Comment avez-vous préparé ce film ?

Le réalisateur Fabrice Gardel, seul ou avec Alexia Klingler, avait déjà tourné des films dans
l’Hexagone, en France ou dans les outre-mer – sur Yasser Arafat, Albert Camus, Aimé
Césaire, Joseph Zobel ou la reine Pōmare.
Mais cette fois, il s’agissait de faire un film en Nouvelle-Calédonie et sur une personnalité
kanak. Dès le début, il a fallu que j’explique aux réalisateurs qu’il serait nécessaire de
prendre en compte la coutume et les chemins coutumiers qui nous mèneraient jusqu’à
Hortense. La préparation, le tournage et le montage se sont faits dans le respect de la
coutume : non seulement faire un geste coutumier, mais aussi prendre conscience et
respecter le monde visible et le monde invisible qui façonnent la société kanak à l’île des
Pins.

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La préparation s’est faite avec de nombreuses conversations avec la Maison de la Nouvelle-
Calédonie à Paris, le service des archives calédoniennes à Nouméa, des universitaires. Des
échanges collectifs que nous avons menés avec Fabrice Gardel, Alexia Klingler et le
producteur Paolo Cence, qui s’est beaucoup investi dans ce film.
Je me suis également replongé dans les récits de la littérature orale, que j’avais étudiés à
l’université il y a plus de 20 ans.

Qui sont les intervenants qui apportent leur témoignage dans le film ?

Il y a tout d’abord les Kuniés, les habitants de l’île des Pins, comme Marie-Jeanne
Bourébaré, de l’association des femmes kuniées, le gardien de la grotte de la reine
Hortense, Antoine Cagnéwa, ou encore un guide culturel, Steve Koutchaoua. 

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Nous avons aussi interviewé la dramaturge calédonienne Jenny Briffa, le journaliste Lou Lurde, qui avait réalisé pour la chaîne Calédonia un film sur une sœur mariste ayant appris à Hortense à lire et à écrire. Enfin, il y a également Emmanuel Kasarhérou, directeur du musée du Quai
Branly, et le footballeur Antoine Kombouaré, originaire de l’île des Pins, qui nous confie ses
souvenirs, ses sentiments et de nombreuses précisions sur la société kuniée.

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Ce film arrive dans un contexte politique calédonien tendu : comment espérez-vous
qu’il contribue au débat ?

Dans le processus de rééquilibrage en cours depuis les accords de Matignon-Oudinot, il est
nécessaire par le dialogue des cultures des différentes communautés de rééquilibrer la
connaissance des grandes figures historiques. La reine Hortense fait partie de ces
personnalités dont le nom est connu dans l’archipel, mais dont l’histoire n’a pas été
démocratisée ni rendue accessible à tous. Ce film vient donc modestement combler un
manque.
Par ailleurs, la société est cristallisée autour de deux camps politiques. Nous avons voulu
faire un film qui présente quelqu’un qui se place au-dessus de la mêlée, en tendant le micro
aux personnes concernées, sans regard surplombant.

En quoi ce projet prolonge-t-il l’expérience de votre portrait de la reine Pōmare ?

Ce film met en avant le fait que, dans cette partie du Pacifique, une femme pouvait accéder
à la chefferie, comme ce fut le cas ailleurs dans d’autres îles du Pacifique : à Tahiti avec la
reine Pōmare IV, au royaume de Huahine, aux Marquises, à Wallis, à Fidji ou à Aotearoa-
Nouvelle-Zélande.

Envisagez-vous d’écrire d’autres films pour explorer d’autres figures oubliées ?
La production va continuer de travailler sur d’autres femmes de pouvoir. Quant à moi, j’ai un
projet de film documentaire qui réunira deux grandes figures littéraires, l’une venant des
Caraïbes et l’autre de l’Hexagone. Mais il est encore un peu tôt pour en parler !

A propos du film :
Il y a 170 ans, peu après que l’île des Pins est devenue française, Hortense Kanedjo
Vendégou accède à la chefferie de son île. Femme kanak au destin hors du commun, elle
consacre sa vie à défendre son peuple et son territoire, refusant le sort que d’autres avaient
choisi pour elle ou pour son île. Menacée de destitution dès l’enfance, elle trouve refuge
dans une grotte de l’île pour préserver sa vie et sa fonction. Plus tard, grâce à des
négociations acharnées avec le gouverneur de l’époque, elle parvient à empêcher que l’île
ne soit entièrement transformée en bagne pour les insurgés de la Commune de Paris et les
révoltés kabyles.

Dans ce documentaire inédit, de nombreuses voix calédoniennes rendent hommage à son
héritage : Antoine Kombouaré, natif de l’île des Pins, la dramaturge Jenny Briffa, ou encore
l’historien Emmanuel Kasarhérou.
Alors que la Nouvelle-Calédonie s’interroge aujourd’hui sur son avenir et sur la manière de
conjuguer des sensibilités et des légitimités différentes, ce film propose le portrait puissant et nuancé d’une femme opiniâtre, pacifiste et de conviction, dont l’influence résonne encore
dans la société contemporaine de l’archipel.

Réalisation : Fabrice Gardel & Alexia Klinger
Ecriture : Alexandre Juster
Image : Benjamin Lucas, Edward Beucler
Conseillère coutumière : Falai Huedrö
Montage : Edward Beucler
Production : Galaxie avec la participation de Nouvelle-Calédonie la 1ère