Arrivée chez CBo Territoria en août 2020, Géraldine Neyret Gleizes a bénéficié de trois années de passation aux côtés de l’ancien PDG, Éric Wuillai, avant d’en assurer la succession en mai 2023. Aujourd’hui, face à un marché immobilier réunionnais en net ralentissement, elle défend un modèle d’urbanisme résilient, aujourd’hui confronté de plein fouet à une crise du financement de l’immobilier par la suppression de certains dispositifs de soutien de l’Etat. Loin de subir la conjoncture, CBo Territoria, à la fois aménageur, promoteur et foncière tertiaire, s’appuie sur une vision stratégique à long terme pour l’aménagement du territoire, conciliant croissance démographique, environnement, préservation du foncier et qualité de vie. Une approche qualitative dont la pérennité est aujourd’hui menacée.Pour Outremers 360, Géraldine Neyret Gleizes dresse un état des lieux sans concession : fin du dispositif Pinel, explosion des coûts de production, ralentissement brutal du marché privé et choix politiques nationaux qui, selon elle, fragilisent durablement le financement du logement sur l’île.
La « ville du quart d’heure » comme modèle économique
A La Réunion, la rareté du foncier impose des arbitrages. Pour Géraldine Neyret Gleizes, la réponse passe par une densification raisonnée « dans des zones qui sont déjà orientées pour cet usage et de ne pas disséminer un peu partout ». Cette vision repose sur un travail à une autre échelle que celle de la parcelle. « On a toujours eu cette vision de travailler à l’échelle du quartier, de déterminer un usage et d’y adjoindre les services associés », explique-t-elle. Cette logique de concentration est au cœur de la stratégie du groupe. Regrouper lieux de travail, lieux de vie et de services permet de créer une dynamique locale. Une approche qui rejoint le concept de « ville du quart d’heure », où la proximité devient un levier de qualité de vie… mais aussi de soutenabilité économique.
Beauséjour, laboratoire d’une ville durable
Projet urbain d’envergure, Beauséjour s’impose aujourd’hui comme l’opération la plus aboutie du territoire. Déployé sur près de 80 hectares, il a été conçu dès l’origine selon une approche environnementale de l’urbanisme : « L’idée a été de partir du terrain naturel, de comprendre les reliefs, les lignes de crête et le fonctionnement des écoulements d’eau, puis de superposer la trame « bleue » ( = trame hydaulique) , la trame verte et le bâti », explique Géraldine Neyret Gleizes. Dans un contexte réunionnais fortement contraint par les épisodes pluvieux, la gestion de l’eau a structuré l’aménagement, avec des bassins de rétention, des ouvrages d’écoulement et des dispositifs d’absorption intégrés au paysage. Cette trame hydraulique supporte aujourd’hui un réseau de cheminements piétons ombragés, plantés d’espèces endémiques et accessibles à tous. Les circulations automobiles, volontairement dissociées, s’inscrivent dans des voies généreuses et paysagées, qui illustrent une autre manière de faire la ville à La Réunion.

Préserver le foncier par la verticalité
Dans un territoire contraint, la préservation du foncier passe par un choix assumé. « La densification par la verticalité ». Mais cette densité ne peut fonctionner qu’à certaines conditions. Ainsi, à Beauséjour, cette exigence se traduit par une attention portée à la qualité de l’habitat avec des surfaces généreuses, des volumes aérés, des espaces extérieurs importants, des varangues et une forte présence du végétal, afin de concilier verticalité urbaine et qualité de vie. Autour de ces lieux de vie, le groupe intègre également des services : « un centre médical, des commerces, des services et des loisirs », sortant du schéma des villes dortoirs. Cette ambition se traduit également par des investissements structurants. « Par exemple, nous avons financé, et nous finançons encore, l’exploitation d’un parking public gratuit de 200 places », explique-t-elle. Un équipement lourd, sans rentabilité directe, mais essentiel pour permettre l’accessibilité et encourager les déplacements à pied. Un modèle difficilement transposable dans des villes déjà constituées, où le foncier est rare et les marges de financement limitées.

Transition écologique : un investissement lourd mais stratégique
Le groupe a aussi fait des choix structurants en matière d’engagement environnemental. « Tous les immeubles collectifs de Beauséjour disposent de chauffe-eau solaires », rappelle-t-elle quand bien même ils ont été édifiés avant l’imposition de cette règle par la RTADOM. Autre parti pris : l’absence de climatisation en collectif. « Ce n’est que de la ventilation naturelle », ce qui implique des surcoûts mais limite la consommation énergétique et permet d’inscrire les bâtiments dans une logique de pérennité.

Un besoin de logements « très fort »
Car la demande ne faiblit pas. « Ce n’est pas une impression, c’est la réalité, il y a un besoin de logements qui est très fort », insiste Géraldine Neyret Gleizes. Pour y répondre, CBo Territoria mise sur une offre diversifiée : logement social, logement intermédiaire, ventes en bloc à des bailleurs institutionnels, mais aussi parcelles individuelles. « On essaye d’offrir la mixité la plus totale possible, parce que c’est pour nous la façon dont on construit la ville et la façon dont on en assure la pérennité », explique-t-elle.
Fin du Pinel : effondrement du marché privé de l’immobilier
La suppression du dispositif Pinel, effective fin 2024, constitue un tournant majeur pour le secteur immobilier. « Depuis la fin de la loi Pinel en décembre 2024, nous n’avons plus ces acquéreurs d’appartements et, mécaniquement, le marché du privé s’est effondré », constate Géraldine Neyret Gleizes. Jusqu’alors, l’investissement locatif représentait pour notre part l’essentiel des ventes : « Plus des trois quarts de nos acquéreurs étaient des investisseurs privés », principalement originaires de l’Hexagone. Un engouement largement porté par les avantages fiscaux spécifiques aux outre-mer. « Là où la défiscalisation atteignait 18 % dans l’Hexagone, elle montait à 29 % à La Réunion », rappelle-t-elle, soulignant le rôle déterminant de ces dispositifs dans l’attractivité du marché. Depuis leur disparition, le modèle économique est fragilisé. « Sans dispositifs fiscaux, il reste très peu de rentabilité sur ces produits immobiliers », observe-t-elle, dressant un constat sans appel pour le logement privé neuf.
Un angle mort pour le logement intermédiaire
La fin du Pinel laisse un vide préoccupant. « On a toute cette population qui n’est pas éligible au logement social et qui serait éligible au logement intermédiaire », mais « il n’y a plus le marché du privé », alerte la dirigeante.
Quant aux dispositifs évoqués pour remplacer le Pinel, elle se montre très sceptique. Au-delà des dispositifs, Géraldine Neyret Gleizes pointe une orientation politique de fond. Selon elle, l’exécutif privilégie d’autres usages de l’épargne : « Il considère que l’épargne doit être orientée vers les entreprises, vers les start-up », l’immobilier étant perçu comme « statique ». Une rupture avec des décennies de politiques publiques en faveur de l’investissement privé.
La « perma crise » et l’explosion des coûts
À cette incertitude s’ajoute une hausse continue des coûts. « Les prix de construction ont explosé », constate-t-elle, évoquant une succession de crises difficiles à anticiper. « C’est un système de perma crise qui est très compliqué à comprendre », lâche-t-elle, citant pêle-mêle la crise sanitaire, la guerre en Ukraine ou les perturbations logistiques. Avec un foncier de plus en plus cher, les logements atteignent des prix inabordables.
Logement, emploi et mobilité : un enjeu transversal
Malgré le ralentissement du marché, Géraldine Neyret-Gleizes se veut lucide et appelle à une action coordonnée : « J’espère qu’il y aura des dispositifs à l’échelle nationale pour relancer une partie du logement privé », tout en comptant sur la poursuite de l’engagement des bailleurs institutionnels.
Géraldine Neyret Gleizes précise toutefois que « La Réunion peut s’appuyer sur des acteurs institutionnels solides et expérimentés, capables de s’adapter, offrant des logements, soit en développant directement leurs propres opérations, soit en acquérant des programmes auprès de CBo Territoria. »























