Le laboratoire de recherche privé guadeloupéen KaruSphère déploie CARIAN, un réseau pour surveiller la pollution de l’air et renforcer la résilience face aux événements extrêmes dans la Caraïbe

©NASA/NOAA/Colin Seftor

Le laboratoire de recherche privé guadeloupéen KaruSphère déploie CARIAN, un réseau pour surveiller la pollution de l’air et renforcer la résilience face aux événements extrêmes dans la Caraïbe

Face à la multiplication des épisodes extrêmes liés au changement climatique, la zone Caraïbe s’organise. En effet, dès septembre 2025, un réseau régional de surveillance de la pollution de l’air, des conditions climatiques et des propriétés des sols sera déployé en Guadeloupe, en République dominicaine et à Trinidad-et-Tobago. Porté par le laboratoire guadeloupéen KaruSphère, le projet CARIAN (CARIbbean Atmospheric Network) prévoit l’installation de 12 stations solaires connectées, capables de mesurer en continu les particules fines, les gaz, l’humidité, l’ensoleillement et même la qualité des sols. Objectif : produire des données locales pour mieux prévenir les risques sanitaires, adapter les politiques agricoles et renforcer la résilience des territoires face aux aléas climatiques.

Ce qui n’était, il y a quelques années encore, que des épisodes ponctuels devient  désormais, de plus en plus fréquent : chaque année, des nuages de poussière venus d’Afrique traversent l’Atlantique et enveloppent les territoires caribéens. En plus d’altérer la qualité de l’air, ces événements aggravent les troubles respiratoires, impactent les cultures et fragilisent les infrastructures. C’est pour faire face à ces risques, et tenter de pallier l’absence de données environnementales que le projet CARIbbean Atmospheric Network a vu le jour. CARIAN doit aider à documenter de manière ciblée, fiable et en continu sur cette situation. 

Cofinancé par l’Union européenne à travers le programme Interreg Caraïbes 2021-2027, ce projet marque une étape dans la construction d’une souveraineté scientifique caribéenne. Ainsi, dès septembre 2025, un réseau de 12 stations de surveillance sera déployé dans trois territoires pilotes : en Guadeloupe, en République dominicaine et à Trinidad-et-Tobago. Objectif : mesurer en temps réel la pollution de l’air, les conditions météorologiques et la qualité des sols tropicaux, pour mieux protéger les populations et renforcer la résilience des territoires face aux événements extrêmes. Porté par le laboratoire guadeloupéen KaruSphère, CARIAN ambitionne de créer une nouvelle infrastructure scientifique au service des politiques publiques, des acteurs économiques et des citoyens caribéens. 

Un outil au service de la santé, de l’agriculture et des politiques publiques

Cofinancé par le programme Interreg Caraïbes à hauteur de 1,14 million d’euros sur un budget global de 1,34 million, CARIAN va permettre, « pour la première fois dans la région, le déploiement d’un réseau de surveillance environnementale intelligent », indiquent les porteurs du projet. « Chaque station sera équipée de capteurs de dernière génération, autonomes, fonctionnant à l’énergie solaire. Elles permettront une collecte de données en continu. » 

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Les capteurs, co-développés par KaruSphère et Myditek, entreprise spécialisée dans les objets connectés agricoles et climatiques, permettront de mesurer un large éventail de données : des particules fines aux gaz atmosphériques, en passant par des indicateurs météorologiques. 

À cela s’ajoute un volet inédit : l’analyse des propriétés des sols tropicaux…  Les usages envisagés autour de ce dispositif vont bien au-delà du simple diagnostic environnemental. En santé publique d’abord, CARIAN doit permettre d’anticiper les pics de pollution de l’air responsables d’exacerbations de maladies respiratoires, particulièrement chez les enfants, les personnes âgées ou les patients souffrant d’asthme. Grâce aux alertes en temps réel, les autorités sanitaires pourront adapter leurs messages de prévention, voire leurs politiques d’intervention. « Ce type d’outil permet de mieux cibler les campagnes d’information ou d’ajuster les protocoles hospitaliers dans les périodes critiques », nous explique-t-on du côté du laboratoire KaruSphère. 

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En agriculture, la surveillance de la qualité des sols, couplée à celle de l’atmosphère, pourrait également guider les pratiques agricoles. Enfin, sur le plan institutionnel, les données produites par CARIAN doivent servir à améliorer la conception des politiques publiques. Derrière ce projet, l’ambition est de mettre en place des stratégies ancrées dans les réalités locales. 

CARIAN veut aussi avoir une portée citoyenne et éducative. En effet, dès 2026, des actions de vulgarisation seront mises en œuvre avec l’organisation de séminaires pour les élus et agents territoriaux ou encore des interventions dans les établissements scolaires. « L’accès à la donnée environnementale doit devenir un droit commun. Il est essentiel que les citoyens puissent comprendre ce qu’ils respirent, ce que contiennent leurs sols, ce qui menace ou renforce leur territoire », indique le laboratoire KaruSphère. 

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En Guadeloupe, des enseignants et associations ont déjà été approchés pour imaginer des modules pédagogiques adaptés aux élèves du secondaire. Une démarche qui vise également à faire émerger une culture scientifique régionale, fondée sur la connaissance de l’environnement local. Une manière de renforcer l’implication des citoyens dans les décisions publiques et de tisser des passerelles entre recherche, territoire et population.

Une nouvelle étape vers une coopération scientifique caribéenne

CARIAN n’est pas un projet isolé. Pensé comme une expérimentation pilote, ce projet d’envergure rassemble parmi ses partenaires l’Institut Technologique de Saint-Domingue (INTEC, République Dominicaine) et l’Université des West Indies (UWI, Trinidad et Tobago). Conçu pour être répliqué dans d’autres territoires de la zone Caraïbe et au-delà, des discussions sont en cours avec des acteurs à Sainte-Lucie, en Jamaïque ou encore à Saint-Martin. 

« Nous voulons poser les bases d’un réseau caribéen de veille environnementale, interopérable, résilient et piloté par des institutions locales. Il s’agit de reprendre la main sur nos propres outils de mesure et de prévision », soutient encore KaruSphère. Le projet mise sur un modèle technologique sobre, open source et énergétiquement autonome, capable de s’adapter aux réalités techniques et économiques de territoires insulaires souvent éloignés des grandes infrastructures. En valorisant les compétences scientifiques caribéennes, CARIAN espère aussi renforcer la souveraineté régionale face aux enjeux globaux.

Abby Said Adinani