Réunir les Outre-mer autour de leur ancrage régional pour faire émerger des solutions adaptées aux défis écologiques : telle était l’ambition portée par l’Agence Française de Développement (AFD) ce mardi 3 juin, en organisant à Paris la conférence « Un océan en commun : les Outre-mer dans leur bassin régional », au sein de ses locaux. Cette édition a permis à des chercheurs, décideurs, ONG et acteurs territoriaux d’échanger sur les enjeux maritimes. C’est à cette occasion qu’a été annoncée la future organisation de l’Indo Pacific Forum, une initiative inédite visant à connecter les communautés de l’océan Indien et du Pacifique autour des aires marines protégées gérées localement (LMMA) et d’une vision partagée de la résilience marine.
De la Polynésie à la Martinique, en passant par La Réunion ou encore la Nouvelle-Calédonie, les voix ultramarines se sont fait entendre ce mardi 3 juin à l’occasion de cette nouvelle édition de la conférence Perspectives Outre-mer (anciennement conférence AFD-CEROM), organisée par l’AFD. Toute la journée, c’est dans une salle comble que les grands défis maritimes des Outre-mer dans leur bassin régional ont été évoqués. L’événement était également à suivre en ligne et a réuni plus de 1 000 participants. De la prolifération des sargasses sur les côtes caribéennes, en passant par la sécurité maritime, les tables rondes ont permis aux élus, chercheurs et représentants d’institutions de débattre des freins juridiques, économiques et humains autour de cette question de la préservation des espaces maritimes. Plusieurs annonces sont attendues lors de la 3ème Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC 3), qui se tiendra à Nice dans quelques jours. En attendant, c’est lors d’une table ronde intitulée « Océan Indien : comment renforcer la connectivité et la résilience des aires marines protégées face aux défis globaux ? » qu’une annonce inédite a été faite par Vatosoa Rakotondrazafy, représentante de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) : la tenue prochaine de l’Indo Pacific Forum, une initiative inédite visant à renforcer les liens entre les acteurs de l’océan Indien et du Pacifique autour de la préservation des aires marines.
Madagascar, chef de file d’une conservation portée par les communautés
Sur la question de la nécessité ou non d’aires marines protégées, Madagascar a tranché depuis plusieurs années, préférant, à travers des réseaux très implantés localement, le modèle des LMMA (Locally-Managed Marine Areas), ces zones marines gérées de manière communautaire. « S’il est vrai qu’il n’y a pas encore de cadre juridique à ce dispositif, on voit clairement qu’impliquer les populations côtières dans ces processus de protection et de préservation change beaucoup de choses sur le terrain. Les gens s’approprient les règles, observent eux-mêmes les bénéfices, et deviennent les premiers défenseurs de leurs écosystèmes », souligne celle qui est engagée depuis de nombreuses années pour une meilleure gestion des ressources marines à Madagascar. Avec près de 300 LMMA réparties sur plus de 17 000 km², l’île possède aujourd’hui l’un des plus grands réseaux de gestion locale marine d’Afrique. Ces LMMA reposent sur des fermetures temporaires de pêche, des plans de gestion concertés, des comités villageois de surveillance et une mobilisation collective autour de pratiques de résilience écologique. « On s’est inspirés de ce qui se faisait dans le Pacifique au départ. On y a apporté nos propres connaissances. Ce modèle a été construit avec les pêcheurs, en partant de leurs observations, et il fonctionne parce qu’il est enraciné dans les dynamiques locales. » L’UICN travaille actuellement à l’élaboration d’un guide, pensé spécifiquement pour les réalités de l’Afrique de l’Est et des îles du Sud-Ouest de l’océan Indien. « Le Pacifique a déjà ses manuels. Nous voulons proposer un socle commun africain, qui pourra être traduit, simplifié, adapté juridiquement. » Au-delà de la gestion des ressources, l’objectif est aussi de renforcer la participation aux évènements internationaux des représentants des LMMA. « Aujourd’hui encore, ce sont trop souvent les ONG ou les experts qui parlent à leur place dans les grandes conférences internationales. Mais les leaders locaux doivent être présents et être formés pour prendre la parole dans ces instances », insiste Vatosoa Rakotondrazafy. « Les communautés savent ce qu’il faut faire, mais elles manquent de moyens pour patrouiller, suivre les effets écologiques, organiser des réunions. Le Forum Indo-Pacifique visera aussi à les rendre visibles auprès de financeurs également. »
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Renforcer les dispositifs existants malgré leurs limites
Si les LMMA ont trouvé un espace fertile à leur développement dans certaines régions du monde, pour Rodolphe Devillers, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement ( IRD) et contributeur clé sur les recherches autour des aires marines protégées dans la région du Sud-Ouest de l’océan Indien, les dispositifs déjà en place dans les territoires français ne doivent pas être mis de côté. « Les LMMA permettent une vraie implication locale, ce qui est intéressant, mais elles visent à gérer les ressources halieutiques localement, pas nécessairement à préserver la biodiversité dans son ensemble. De l’autre côté, les aires marines protégées (AMP), elles, prennent du temps à se mettre en place… Pendant ce temps, les écosystèmes se dégradent… Ce qui est important, je crois, c’est de diversifier les approches et de mieux soutenir celles qui ont déjà fait leurs preuves. On cherche parfois une solution parfaite, quand il vaudrait mieux démarrer plus simplement et s’adapter ensuite. »
S’adapter, c’est également le souhait d’Abdou Dahalani, président du Parc Naturel Marin de Mayotte, intervenu à l’occasion de cette table ronde. « Tout ce que nous faisons s'inscrit dans un cadre souvent réglementaire figé, avec des acteurs travaillants chacun dans leur périmètre. C’est ça, la difficulté. À Mayotte, par exemple, le Parc Marin fait 69 000 km². C’est l’un des plus grands de France avec une biodiversité exceptionnelle. Seulement la question des pêcheurs du territoire est : ‘comment comprendre qu’on laisse pêcher dans cet espace les thoniers senneurs ?’ C’est possible parce que la pêche relève de la réglementation européenne et on oublie que la réglementation française a créé quelque chose d’autre, qui s’appelle AMP, Parc Marin. » Outre une l’adaptation, c’est surtout un ancrage local qui est demandé dans les différentes approches qui pourraient être menées à l’avenir. « Beaucoup d’aires marines protégées souffrent d’un manque de moyens, de cohérence régionale et d’un empilement des gouvernances », confirme le chercheur Rodolphe Devillers. « Pour construire des synergies, il faut des moyens, des outils souples. Mais surtout, il faut que tout soit relié intelligemment. »
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Mutualiser les savoirs
Dans ces discussions, l’Indo Pacific Forum pourrait représenter cette convergence vers des actions collectives. L’événement, en cours de construction, aura ainsi pour objectif d’offrir un espace commun aux représentants des LMMA et d’autres modèles de gestion, afin d’échanger sur les différentes pratiques en place. Il sera également question de formuler des recommandations partagées, de mutualiser des outils et de se préparer à intervenir lors des grands rendez-vous internationaux. « On ne peut plus protéger les océans sans ceux qui y vivent et en dépendent », conclut Vatosoa Rakotondrazafy. « Ce forum va créer un pont entre nos deux régions, qui partagent les mêmes défis mais ne se parlent pas assez. »
La prochaine Conférence des Nations unies sur les océans (UNOC 3) devrait permettre à ces acteurs de se retrouver pour peaufiner les détails de ce futur rendez-vous international. Plusieurs pays étrangers ont déjà manifesté leur intérêt pour l’événement.
Abby Said Adinani