Améliorer la prise en charge du cancer dans les Outre-mer : les réponses de l’Institut Gustave Roussy face aux défis territoriaux

©  Institut Gustave Roussy

Améliorer la prise en charge du cancer dans les Outre-mer : les réponses de l’Institut Gustave Roussy face aux défis territoriaux

Face aux difficultés sanitaires persistantes dans les territoires ultramarins, l’Institut Gustave Roussy impulse une dynamique collective pour renforcer l’équité dans la lutte contre le cancer. Mutualisation des expertises, formations adaptées, innovations en télémédecine : autant de leviers mobilisés pour garantir une cancérologie de qualité, accessible à tous. Le docteur Charles Honoré, chef du comité Sarcomes et chef du service de chirurgie viscérale oncologique à l’Institut Gustave Roussy, revient  pour Outremers 360 sur les avancées concrètes engagées dans cette démarche.

 

Créer un collectif pour mutualiser les expertises : le pari du réseau UCOM

L’un des moteurs de cette transformation s’appelle UCOM, pour « Coordonnateurs Unicancer Outre-mer ». Ce collectif, né en 2022 d’une initiative conjointe entre professionnels ultramarins et hexagonaux, fédère médecins, pharmaciens, chercheurs de tous les territoires. Ensemble, ils travaillent à mieux coordonner l’organisation des soins, faire circuler les bonnes pratiques, et surtout identifier les besoins réels du terrain. « Les problématiques sont nombreuses, mais il existe aussi une vraie volonté locale de faire avancer les choses. Le problème, c’était le silotage entre les territoires : chacun avançait de son côté, sans toujours pouvoir partager son expérience. » explique le docteur Charles Honoré. Pour y répondre, une dizaine de groupes de travail ont été mis en place favorisant ainsi les échanges d’information.

Un module outre-mer dans le DU de Gustave Roussy

Encore fallait-il accompagner cette dynamique par une formation spécifique aux réalités ultramarines. C’est ce qu’a entrepris Gustave Roussy, en intégrant en 2023 un module entièrement dédié à la cancérologie en Outre-mer dans son Diplôme Universitaire de Carcinologie Clinique (DUCC). Ce module 10 intitulé « Cancérologie dans la vraie vie » est destiné aux médecins en exercice ou en formation. Il donne des clés pour comprendre et anticiper les réalités du terrain : isolement géographique, infrastructures incomplètes, fracture numérique, pénurie de spécialistes ou contraintes culturelles. À travers l’étude de cas cliniques issus des territoires ultramarins, les participants sont confrontés à des situations complexes qui bousculent les standards habituels. « L’objectif est de montrer que l’exercice en Outre-mer demande un haut niveau d’adaptabilité », souligne le docteur Honoré.

Innover pour rapprocher les soins : l’impact de la télémédecine

Mais la plus grande rupture organisationnelle est peut-être venue de la télémédecine. Lancée en 2019, la RCP Pacifique, Réunion de Concertation Pluridisciplinaire à distance, a permis de traiter en cinq ans plus de 2 535 dossiers de patients atteints de cancer, avec seulement 337 évacuations sanitaires vers l'Hexagone. Ce dispositif, qui réunit oncologues, radiologues, chirurgiens et anatomopathologistes, répond à une exigence simple mais essentielle : garantir à chaque patient un avis expert sans avoir à parcourir la planète : « Faire voyager un patient sur 17 000 km uniquement pour un avis médical, c’est presque inhumain », déplore le docteur Honoré. Au-delà de la fatigue physique, il évoque également un choc culturel pour les patients qui arrivent à Paris. Face à ce déracinement, la télémédecine est apparue comme une solution évidente.

Les RCP Pacifique se tiennent en visioconférence tous les 15 jours réunissant les équipes de métropole, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie. Grâce à une plateforme sécurisée, ces échanges permettent d’assurer un niveau d’expertise équivalent à celui que les patients obtiendraient s’ils étaient physiquement présents à Paris. Aujourd’hui le modèle est bien ancré.

Mais sa transposition dans d’autres territoires s’avère plus complexe, et appelle des solutions personnalisées. Aux Antilles, par exemple, la densité médicale est plus forte, les évacuations sont moins coûteuses, et le lien avec la métropole plus fluide. À La Réunion, c’est encore un autre cas : l’île dispose d’un centre hospitalier universitaire (CHU) et d’une autonomie hospitalière quasi complète, rendant les évacuations sanitaires marginales.

C’est donc une télémédecine « sur mesure » qui se profile, avec des déclinaisons en téléchirurgie et télépathologie à distance, selon les plateaux techniques disponibles.

La prise en charge des sarcomes à l’institut Gustave Roussy

Au cœur des territoires, une cancérologie à réinventer

Ces innovations ne masquent pas la complexité du contexte. Les disparités épidémiologiques restent fortes : certains cancers sont surreprésentés localement, parfois en lien avec des facteurs environnementaux mal documentés. « Malheureusement, il existe encore peu d'études concernant certains territoires d’Outre-mer, en grande partie parce que tous ne disposent pas de registres de cancers aussi complets que ceux de la France hexagonale. Par exemple, la Nouvelle-Calédonie ne possède pas encore de registre, et la Polynésie française vient tout juste d’en créer un. Pourtant, il semble y avoir une incidence plus élevée de certains cancers dans certaines zones. Mais les causes exactes de ces disparités ne sont pas encore clairement établies. Il serait tentant d’invoquer des facteurs environnementaux connus, comme le chlordécone aux Antilles ou les essais nucléaires dans le Pacifique, et ils ont peut-être effectivement un impact. Mais ce ne sont probablement pas les seuls éléments en jeu. Il est aussi possible que des facteurs de risque spécifiques à certaines populations, mélanésiennes, caribéennes ou autres, soient à l'œuvre, sans qu’il y ait nécessairement de lien direct avec des événements extérieurs. C’est un axe de recherche qui mérite d’être approfondi. Il est essentiel de mieux comprendre si certaines populations présentent un risque accru de développer certains cancers, afin d’adapter la prévention, le dépistage et les traitements. C’est donc un enjeu majeur, mais pour l’instant, nous n’avons pas encore toutes les réponses. » souligne le docteur Charles Honoré.

La prévention se heurte aussi à des barrières culturelles caractérisées par la coexistence de deux médecines : moderne et traditionnelle, rendant la notion même de prévention parfois difficile à appréhender. Comprendre ces réalités est indispensable pour construire une politique de santé publique efficace.

Renforcer l’accessibilité et la qualité de la prise en charge du cancer dans les territoires ultramarins est une priorité affirmée pour l’équipe du docteur Charles Honoré. Qu’il s’agisse de la montée en compétences des professionnels sur place, de l’optimisation des ressources existantes ou encore du déploiement d’outils innovants de télémédecine, chaque initiative poursuit un objectif commun : réduire les inégalités de prise en charge en outre-mer. L’enjeu est d’accompagner les équipes locales, souvent très compétentes, pour leur permettre d’agir avec davantage d’autonomie, sans jamais compromettre la sécurité des patients. Si l’avenir se dessine vers une médecine plus connectée c’est pour qu’elle soit aussi plus équitable et mieux adaptée aux réalités et aux besoins des territoires ultramarins.

 

EG