Guadeloupe: précarité et santé mentale, terreaux d'une insécurité endémique

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Guadeloupe: précarité et santé mentale, terreaux d'une insécurité endémique

Alors que la Guadeloupe a enregistré 41 homicides depuis janvier, acteurs sociaux, soignants et magistrats alertent sur un phénomène inquiétant: l'alliance de la grande précarité et des troubles psychiatriques, dans un territoire où les moyens publics sont jugés insuffisants.


Il n'y a pas que le narcotrafic dans les Antilles françaises. Ces derniers mois, plusieurs affaires ont choqué la population: un automobiliste tué lors d'une altercation début novembre, un homme frappé à mort à coups de pierre par un individu souffrant de troubles psychiatriques, ou encore une femme très âgée violée par son cambrioleur.

Plus tôt dans l'année, un homme "présentant des troubles psychiatriques" avait tué sa grand-mère et un voisin. En 2024, un marginal instable avait déjà tué deux jeunes gens, tandis qu'une femme avait attaqué des passants à coups de tesson de bouteille dans le centre de Pointe-à-Pitre, le centre économique de l'archipel.
Autant d'affaires qui, pour les professionnels, révèlent l'évolution d'un public en rupture de plus en plus plus fragile et imprévisible. "Avec le public qu'on accueille, on a l'habitude de ces pathologies et des comportements inadaptés", explique à l'AFP Isabelle Rouin, directrice de la Maison Saint-Vincent, un centre d'hébergement et de réinsertion sociale des Abymes, près de Pointe-à-Pitre."Mais depuis quelque temps (...), les règles de la rue franchissent de plus en plus souvent nos portes", ajoute-t-elle.

Début octobre, une agression physique a visé le personnel de son établissement. "Les passages à l'acte violents augmentent et on est régulièrement confrontés à des menaces de morts ou des agressions physiques", ajoute-t-elle.
Au centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) de Basse-Terre, le chef-lieu de la Guadeloupe, le constat est identique. "On demande plus de moyens sur la sécurité, mais les budgets diminuent", regrette Béatrice Jean-François, cheffe de service.
Dans l'archipel de 380.000 habitants, une enquête réalisée en 2024 pour la préfecture estimait à un peu plus de 300 le nombre de personnes vivant en "situation de rue", dont près de la moitié en situation de "grande marginalité".
Parmi ces personnes aux parcours de vie relevant du chaos, beaucoup souffrent également des troubles de santé mentale. "C'est le public le plus éloigné de tous les dispositifs de prise en charge", soulignait en octobre Arnaud Duranthon, sous-préfet de Guadeloupe à la cohésion sociale.

Duranthon, sous-préfet de Guadeloupe à la cohésion sociale.

Plan "grande marginalité" 

Pour venir à bout du problème, M. Duranthon a piloté la mise en place d'un plan "grande marginalité" signé en avril, qui coordonne 25 acteurs sociaux, médicaux, judiciaires et associatifs.
Très attendue, une structure d'accueil dédiée aux personnes en très grande précarité doit notamment ouvrir en 2026, mais les besoins dépassent largement les capacités actuelles.
 

L'établissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe a déjà tiré la sonnette d'alarme. Son rapport 2024 fait état d'une hausse de 22% du nombre de patients depuis 2019, avec 12.378 personnes prises en charge par ses différents services en 2024, soit plus de 3% de la population guadeloupéenne.
Parmi elles, près de 1.300 ont été hospitalisées dont les deux tiers sans consentement, un taux près de trois fois supérieur à la métropole selon la directrice de l'EPSM, Ida Jhigai, qui pointe elle aussi le manque de moyens et de personnel de son établissement.

"Un autre problème majeur est que nous n'avons pas d'unité pour malades difficiles", ajoute Éric Maurel, procureur général près la cour d'appel de Basse-Terre, alors que le projet d'unité hospitalière spécialement aménagée (UHSA) en Guadeloupe réservée aux détenus nécessitant des soins psychiatriques est en projet depuis plusieurs années.
Le magistrat évoque plus largement des défaillances systémiques dans "l'accompagnement à la parentalité ou la lutte contre l'illettrisme, sur fond de consommation accrue d'alcool et de psychotropes".

Autant de facteurs qui nourrissent, selon lui, "un état d'anomie" de la société guadeloupéenne. L'archipel figure régulièrement en tête des départements les plus violents de France, avec un taux d'homicides de 7,5 pour 100.000 habitants contre 1,2 en moyenne en France, selon le service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).