EXPERTISE. Covid-19 : Les Variants de la Covid-19, leur présence en Outre-mer et l’efficacité des vaccins, par Mirdad Kazanji, Directeur de l’Institut Pasteur en Guyane

EXPERTISE. Covid-19 : Les Variants de la Covid-19, leur présence en Outre-mer et l’efficacité des vaccins, par Mirdad Kazanji, Directeur de l’Institut Pasteur en Guyane

Des nouveaux variants de la Covid-19 menacent aujourd’hui le monde d’une nouvelle vague plus contagieuse. Afin d’éviter la propagation des nouveaux variants dans les Outre-mer, les conditions d’entrée et de sortie des voyageurs sont durcies à partir de lundi 18 janvier avec des tests RT-PCR obligatoires.

Sur une partie de la Guyane, des mesures de couvre-feu ont aussi été mises en place les week-ends pour limiter la propagation du virus. Les motifs impérieux sont en outre obligatoires pour les voyages entre La Réunion et l’Hexagone, pour limiter la circulation des variants de part et d’autre. 

Mirdad Kazanji, Directeur de l’Institut Pasteur et membre du Comité Scientifique Territorial de la Guyane, fait le point sur l’état de connaissance de ces variants et leurs circulations dans les territoires ultramarins.

Le variant Anglais (nommé VOC 202012/01)

Il a été détecté pour la première fois en septembre 2020 au Royaume Uni. Ce variant comporte plusieurs mutations et une délétion dans la position 69-70 qui a comme conséquence d’induire des résultats RT-PCR discordants par rapport de la souche d’origine. La proportion de cette souche a fortement augmenté depuis sa découverte pour atteindre 98 % des souches circulantes en Angleterre en décembre 2020. Ce variant semble être entre 40 % à 70 % plus transmissible que la souche d’origine car il comporte aussi d’autres mutations dans la protéine Spike (la clé du virus pour rentrer dans la cellule humaine). Ces mutations se situent dans le motif de fixation du virus au récepteur sur la cellule cible. C’est pourquoi sa capacité à pénétrer plus facilement et plus rapidement dans la cellule est augmentée. Récemment, de nouvelles informations communiquées par le gouvernement Britannique semblent indiquer que ce variant est 30% plus mortel que la souche d’origine.

Aujourd’hui, 51 pays ont déclaré la présence de ce variant anglais sur leur territoire. Début janvier, une étude de recherche sur ce variant a montré sa présence à hauteur de 3,8 % parmi les souches circulant dans l’hexagone. Nous n’avons pas de données épidémiologiques sur la circulation de ce variant Anglais dans les Outre-mer, mais sa présence est possible car jeudi 21 janvier, l’Agence Régionale de Santé en Martinique a signalé la possibilité de contamination d’une personne par un des variants de la Covid-19. Le séquençage de cette souche est actuellement en cours. Concernant l’efficacité de la vaccination contre ce variant, selon les résultats de deux études, il semble que le vaccin Pfizer/BioNTech soit efficace contre la souche anglaise.

Le variant d’Afrique de Sud (nommé 501Y.V2)

Le 28 décembre 2020, un autre variant a été décrit en Afrique du Sud. Ce variant comporte aussi un ensemble complexe de mutations dans la protéine Spike. Les études d’épidémiologie moléculaire ont montré que ce variant a émergé en juillet/août 2020 probablement la première fois chez des individus infectés de façon prolongée, notamment chez des personnes immunodéprimées. Les données actuelles indiquent que ce variant serait 50 % plus transmissible que les souches virales d’origine circulantes en Afrique du Sud, cependant, il semble ne pas provoquer de formes plus sévères de la Covid-19. Nous n’avons pas encore de données sur l’efficacité des vaccins actuels sur ce variant. C’est pourquoi plusieurs pays ont interdit l’entrée de voyageurs venant d’Afrique du Sud.

Le 15 janvier, les autorités de santé à Mayotte ont annoncé la présence de 4 cas de contamination par le variant sud-africain. Le 20 janvier 2021, la préfecture et l’Agence Régionale de Santé de l’Île de La Réunion annoncent aussi la présence de deux cas du variant sud-africain détectés sur l’île. Ce variant sud-africain pourrait diffuser fortement dans l’avenir à La Réunion, à Mayotte et aussi aux Comores. Ces données sont inquiétantes car plusieurs études scientifiques montrent que le variant sud-africain pourrait s’échapper au moins partiellement à la protection espérée des vaccins contre la Covid-19.

Le variant Brésilien de Manaus (nommé P.1)

Ces derniers temps, le nombre de contaminations a explosé au Brésil. Dans la ville de Manaus en Amazonie, qui avait déjà connu une première vague très sévère entre mars et mai 2020, un nouveau variant a été découvert pour la première fois en décembre 2020. Bien que certaines études scientifiques aient monté que cette ville avait atteint l’immunité collective lors de la première vague, Manaus fait face aujourd’hui à une nouvelle vague très agressive, en parallèle à l’apparition du nouveau variant dans cette région.

L’inquiétude aujourd’hui est la possibilité que ce variant, plus contagieux, échappe à l’immunité collective induite lors de la première vague, soit parce que cette immunité ne perdure pas dans le temps soit parce qu’elle n’est pas efficace contre ce nouveau variant. Lors d’études d’épidémiologie moléculaire d’identification du P1 circulant à Manaus, il a été détecté chez 13 personnes sur 31 échantillons analysés, il ne semble donc pas y être majoritaire. Des études de séquençage sur un volume d’échantillonnage plus large est nécessaire pour clarifier cette situation.

L’autre question, tout aussi importante aujourd’hui, est que si ce variant a la capacité d’échapper à la réponse immunitaire induite par la maladie ou par la vaccination, comment le vaccin peut être efficace ?

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Il est donc indispensable d’évaluer le pouvoir de la vaccination à induire une réponse immunitaire avec la présence des anticorps neutralisants contre ce variant mais aussi contre les autres variants circulant actuellement dans le monde. La réponse immunitaire induite par la vaccination est dirigée contre la totalité de la protéine Spike, c’est pourquoi il est probable que le vaccin soit efficace contre ces variants mais peut-être à un niveau moindre que celui annoncé actuellement par les fabricants (95%). Néanmoins, et c’est l’avantage de ces vaccins à ARN messager, il est possible de produire rapidement des vaccins adaptés pour protéger contre ces variants et il semble que la chaîne de production puisse être adaptée en six semaines pour produire de nouveaux vaccins ciblés.

Vu la proximité de la Guyane avec le Brésil, il n’est pas impossible que ce variant de Manaus circule déjà dans le département. A l’Institut Pasteur de la Guyane, nous allons mettre en place une surveillance moléculaire des souches présentes actuellement sur ce territoire mais aussi surveiller en permanence l’évolution et la circulation des différents variants chez les personnes nouvellement infectées. Les études de séroprévalence de l’Unité d’épidémiologie à l’Institut Pasteur de la Guyane ont décrit une immunité collective en Guyane avoisinant les 20-25%, mais la situation de Manaus met en question l’efficacité de l’immunité collective pour lutter efficacement contre la Covid.

C’est pourquoi il est important de rappeler que les mesures barrières sont toujours efficaces contre la souche historique mais aussi contre les variants et l’ensemble des souches circulant dans les différentes régions du monde. Il est donc indispensable de détecter et décrire ces variants avec leurs mutations pour pouvoir adapter les différents vaccins ou de produire des vaccins multi-souches permettant d’induire une immunité neutralisante du virus et une protection la plus large possible.

Mirdad Kazanji, Directeur de l’Institut Pasteur et membre du Comité Scientifique Territorial de la Guyane