Budget Outre-mer 2026. Réforme de la LODEOM : Hervé Mariton, président de la FEDOM dénonce « un rabot sans discernement, une faute économique et politique » et appelle à un sursaut collectif

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Budget Outre-mer 2026. Réforme de la LODEOM : Hervé Mariton, président de la FEDOM dénonce « un rabot sans discernement, une faute économique et politique » et appelle à un sursaut collectif

Alors que le projet de loi de finances 2026 prévoit une réduction de 800 millions d’euros de la Lodeom et du dispositif d’aides fiscales à l’investissement destinées aux entreprises ultramarines, Hervé Mariton, président de la Fedom (Fédération des entreprises d’Outre-mer), dénonce dans un entretien accordé à Outremers 360 un « coup de rabot sans discernement ». Il alerte sur les conséquences économiques et sociales d’une telle décision et sur le risque qu’elle fait peser sur la cohésion nationale.

 

Un rapport resté au placard et un effort « dix fois supérieur » à celui de l’Hexagone

Pour Hervé Mariton, derrière ce qui pourrait sembler n’être qu’un « coup de rabot » budgétaire, c’est en réalité la suppression en profondeur de dispositifs entiers qui se profile. Rien n’est formulé clairement, mais les diminutions annoncées ne sont pas de simples ajustements : elles remettent en cause la logique même des mécanismes existants. « Lorsqu’on réduit un dispositif de quelques points, on peut encore en préserver l’esprit, mais lorsqu’on le diminue de moitié, on en détruit la structure, on en nie la raison d’être. C’est exactement ce qui se joue aujourd’hui ».

Le gouvernement envisage en effet de réduire de 50 % plusieurs mesures essentielles comme les exonérations de charges sociales et les aides fiscales à l’investissement, sans alternative crédible pour soutenir l’emploi. Or, dans les territoires ultramarins, le chômage reste élevé, notamment chez les jeunes, et l’investissement demeure la clé du développement. Pour l’ancien ministre, « la méthode interroge autant que la décision elle-même ». En effet, le rapport social commandé en 2024 par le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, censé éclairer la réforme de la Lodeom (la loi pour le développement économique des Outre-mer), « est resté au placard pendant six mois, malgré les demandes répétées des parlementaires », explique-t-il. « Ce silence est d’autant plus incompréhensible que les conclusions du rapport confirmaient la pertinence des dispositifs existants et leur rôle essentiel dans la préservation de l’emploi ultramarin. »

Hervé Mariton va plus loin et tire la sonnette d’alarme : « Les entreprises ultramarines se voient imposer un effort dix fois supérieur à celui des entreprises de l’Hexagone. Ce n’est plus de la rigueur, c’est une punition. Alors même que le gouvernement reconnaît la fragilité de nos économies, il choisit de prélever là où les marges sont les plus faibles », dénonce-t-il.

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Un projet de loi « vie chère » à contre-sens

La FEDOM s’inquiète également du projet de loi « vie chère », dont le premier article prévoit la possibilité pour la grande distribution de vendre à perte certains produits de première nécessité, via un mécanisme d’absorption des prix.

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Pour Hervé Mariton, cette mesure illustre les contradictions de la politique gouvernementale : « On prétend défendre le pouvoir d’achat, mais en réalité, on menace les producteurs et les distributeurs locaux déjà fragiles. Cette idée de vente à perte sur les produits de première nécessité est une fausse bonne idée. Oui, elle peut provoquer une légère baisse des prix sur quelques semaines, mais à quel prix pour l’économie locale ? »

L’ancien ministre met en garde contre les effets pervers d’une telle disposition : « Les grandes enseignes pourront encaisser la perte sur certains produits grâce à leurs volumes et à la diversification de leurs activités. Mais les petits commerces, eux, n’ont ni la surface ni la capacité à absorber les coûts. On va assister à la disparition progressive des petits métiers de marché, à une concentration accrue du secteur, alors même qu’on prétend défendre la concurrence. »

Les conséquences risquent d’être lourdes : concentration du marché, fermeture d’entreprises locales, pertes d’emplois et recul de la souveraineté économique des territoires. À ce sujet, Hervé Mariton insiste : « Ce mécanisme d’absorption des frais d’approche favorise les importations et pénalise la production locale. En réalité, on affaiblit tout l’écosystème productif ultramarin. C’est une mesure séduisante à court terme, mais conjoncturellement et structurellement désastreuse. »
Il rappelle également que « les exonérations sociales et les aides fiscales ultramarines ne sont pas des privilèges, mais des outils de rééquilibrage » destinés à compenser les surcoûts structurels (frais de fret, énergie, transport ou encore faible densité de marché) qui grèvent la compétitivité des entreprises locales.

Une faute économique et politique

Pour Hervé Mariton, la logique budgétaire qui prévaut dans le projet de loi de finances est « purement comptable » et ne tient pas compte des réalités économiques ultramarines : « Ce n’est pas une réforme, c’est un rabot sans discernement, déplore-t-il. On taille indistinctement dans des dispositifs qui ne sont pas des avantages, mais des compensations. On efface d’un trait de plume des mécanismes qui ont été construits pour corriger les handicaps structurels liés à l’insularité, à l’éloignement, à la petite taille des marchés. C’est une faute économique et une faute politique. »

Bâtir un projet de développement économique « depuis les territoires »

Face à cette logique descendante, la FEDOM propose une autre voie : celle d’un projet de développement économique des Outre-mer construit depuis les territoires.
Cette démarche, dite « bottom-up », vise à associer les acteurs économiques, les élus et la société civile à la définition d’un modèle de croissance propre à chaque territoire.

« Puisque les gouvernements successifs n’ont pas su le faire, faisons-le nous-mêmes », déclare Hervé Mariton. Il ne cache pas l’ambition d’élaborer d’ici 2027 un projet de loi du développement économique des Outre-mer, « élaboré avec les acteurs de terrain, les organisations économiques, les élus locaux et les parlementaires ».
« La FEDOM fera un travail de synthèse et de rassemblement, pour inscrire cette démarche dans une vision globale du développement économique et social des territoires », précise Hervé Mariton.

S’il ne cache pas son inquiétude, l’ancien ministre veut croire à la capacité des Outre-mer à se mobiliser : « Quand on est lucide, on est évidemment inquiets. Mais la perspective dans laquelle on s’inscrit, c’est de développer les projets locaux. Il y a des dynamiques potentielles dans les territoires », souligne-t-il, citant « le développement touristique et les stratégies hôtelières, aussi bien aux Antilles qu’à La Réunion, où l’on parle aujourd’hui de montée en gamme ».
Autant de projets « porteurs d’espoir en termes de création d’entreprises, d’emplois et d’élévation du niveau d’activité », même s’ils « risquent d’être freinés par l’augmentation des charges sociales, des impôts et l’arrêt des aides à l’investissement ».

Une bataille parlementaire décisive

Alors que le Premier ministre Sébastien Lecornu a récemment déclaré que « la copie actuelle du budget n’est pas la copie finale », Hervé Mariton eut croire qu’un sursaut collectif finira par prévaloir.

Dans cet esprit, les présidents des Medef des Outre-mer ont récemment lancé une pétition appelant à la mobilisation. Et plusieurs élus, dont le député Christian Baptiste, plaident pour une discussion ouverte. Hervé Mariton avertit : « Nous ne cherchons pas le conflit, mais la cohérence. Il ne s’agit pas de défendre des rentes, mais d’éviter une rupture économique et sociale. Ce débat dépasse la technique budgétaire : il touche à la cohésion nationale. »

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EG