Alors que le projet de loi de finances pour 2026 poursuit son parcours parlementaire, la voix des Outre-mer s’élève. Au nom des onze territoires ultramarins, Patrick Vial-Collet président de la CCI Guadeloupe récemment élu à la tête de l’Association des Chambres de Commerce et d’Industrie de l’Outre-mer (ACCIOM), met en garde contre les effets délétères d’un budget qu’il juge « trop brutal » pour les entreprises locales. Dans une interview accordée à Outremers 360 il revient sur les trois menaces qui pèsent sur l'avenir économique des territoires : la réforme de la LODEOM, la réduction des exonérations de charges et la future taxe carbone européenne.
Un choc fiscal dévastateur
« Si le budget est voté en l’état, il s’appliquera dès le 1er janvier 2026 », prévient Patrick Vial-Collet. La réforme de la LODEOM, actuellement en discussion et qui touche l’ensemble des territoires ultramarins, s’accompagnerait d’une refonte du crédit d’impôt et des dispositifs de défiscalisation, prévue dans le projet de loi de finances (PLF) et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). « Selon les estimations transmises par Bercy, ces changements pourraient représenter jusqu’à 800 millions d’euros d’impacts pour les Outre-mer : environ 350 millions d’euros liés à la fin progressive des exonérations de charges sociales, et près de 450 millions d’euros concernant la réduction du crédit d’impôt et des aides à la défiscalisation. »
Concrètement, les entreprises devront alors s’acquitter de 350 millions d’euros de charges sociales dont elles étaient jusqu’ici exonérées, un choc financier majeur pour des économies déjà fragiles. « C’est colossal », souligne Patrick Vial-Collet. « Pour une petite entreprise, l’impact serait considérable : entre 15 000 et 20 000 euros de charges supplémentaires par an. Concrètement, cela représente entre 100 et 250 euros de plus par salarié et par mois, selon le secteur d’activité et le niveau de rémunération. Un surcoût difficilement absorbable pour des structures déjà fragiles. » insiste le président de l’ACCIOM.
Une situation d’autant plus préoccupante que les entreprises locales, souvent dépendantes de la commande publique (jusqu’à 80% dans le BTP), redoutent un double effet négatif qui risque de geler de nombreux projets : « Parmi les secteurs les plus touchés figurent d’abord le BTP, puis l’hôtellerie, notamment celle qui nécessite des travaux de rénovation ou de modernisation. La réforme prévoit une baisse de dix points des aides à l’investissement, passant de 35 % à 25 %, ainsi qu’un plafonnement des subventions à 7 000 euros par mètre carré pour les établissements haut de gamme. » précise Patrick Vial-Collet
Une étude d’impact pour appuyer le dialogue avec l’État
Face à ces menaces, l’ACCIOM a choisi la voie de la démonstration. En partenariat avec la FEDOM (Fédération des entreprises d’Outre-mer), elle a cofinancé une étude d’impact avec pour objectif de quantifier les répercussions concrètes de la réforme sur l’emploi, la compétitivité et les investissements dans les onze territoires ultramarins. « Nous voulons parler chiffres en main. Sans évaluation, on nous répond toujours que nos inquiétudes ne sont pas mesurées », explique M. Vial-Collet.
Cette étude, déjà lancée, servira de base aux députés et sénateurs d’Outre-mer dans le débat parlementaire. « Elle leur donnera des arguments concrets pour amender le texte et obtenir, au minimum, un report d’un an de la réforme, le temps d’adapter les mesures aux réalités locales », plaide-t-il.
La taxe carbone, une nouvelle menace sur la connectivité
Autre sujet d’inquiétude, le projet de taxe carbone européenne (EU ETS) sur le transport aérien. Un véritable cas d'école de mesure contre-productive pour l'Outre-mer. Conçu pour favoriser des alternatives de transport comme le train ou le bateau, ce dispositif semble ignorer la réalité géographique : « C’est une aberration pour des territoires insulaires qui n’ont ni train, ni ferry pour se relier au continent », s’indigne le président de l’ACCIOM.
Si elle est adoptée, cette taxe pourrait renchérir le prix des billets de 250 à 300 euros pour les voyageurs entre l’Europe et les Antilles ou la Réunion. « C’est un véritable déséquilibre concurrentiel », estime Patrick Vial-Collet. « En Guadeloupe, les effets se font déjà sentir : une compagnie de croisière a retiré son bateau basé sur place (ce qu’on appelle un port base) pour le transférer à Miami, afin d’éviter les surcoûts liés à la taxe. »
11 territoires, 1 seule voix
Patrick Vial-Collet le répète : la démarche des chambres de commerce n’est pas protestataire, mais pédagogique : « Notre rôle est d’expliquer aux décideurs les conséquences de leurs choix. Si les entreprises s’effondrent, il n’y aura plus ni emploi, ni recettes fiscales. » Les onze chambres ultramarines, regroupées au sein de l’ACCIOM, travaillent en réseau pour parler d’une seule voix face au gouvernement.
Pour l’heure, l’espoir repose sur le débat parlementaire. : « Nous demandons un report et une adaptation des mesures, pas un statu quo. La trajectoire budgétaire doit être réaliste, progressive et soutenable pour nos territoires », conclut M. Vial-Collet.
Un appel à la raison, alors que les entreprises d’Outre-mer redoutent que le budget 2026 ne vienne aggraver une reprise économique encore fragile depuis la crise sanitaire de 2020.























