Hausse des impayés, logements vacants, expulsions : la crise économique en Nouvelle-Calédonie fragilise le modèle du logement social, dans un territoire privé de RSA et où les filets de sécurité sont réduits à peau de chagrin.
À 54 ans, Sabine dort aujourd'hui sous une bâche dans un squat (nom donné aux bidonvilles en Nouvelle-Calédonie) de Nouville, à Nouméa. Aide-soignante en CDI, elle subvient seule aux besoins de ses trois enfants, mais aussi d'une sœur et de sa mère et n'arrivait plus à payer son loyer. Elle a été expulsée mi-septembre, après des années de contentieux avec son bailleur.
Sa dette, qui s'élève à environ 200 000 francs Pacifique (1 600 euros), était devenue une impasse et Sabine ne voit pas comment elle pourrait relever la tête alors que la Nouvelle-Calédonie traverse une crise économique sans précédent -11 000 emplois détruits depuis mai 2024. « Mes deux grands n'ont pas de travail et dans le contexte actuel, je ne vois pas comment ils pourraient en trouver », soupire la quinquagénaire.
Comme elle, Denise a sombré dans la précarité. Mère célibataire d'une trentaine d'années, elle a perdu son emploi « du jour au lendemain en mai 2024 », lors des violences déclenchées par la réforme du corps électoral. Elle vient de retrouver du travail, mais redoute de ne pouvoir rembourser les plus de 3 000 euros qu'elle doit à son bailleur.
Ces histoires se multiplient en Nouvelle-Calédonie où faute de minima sociaux, les foyers les plus fragiles basculent rapidement dans l'exclusion. L'allocation chômage, plafonnée à 1 200 euros et limitée à neuf mois, ne suffit pas à compenser la perte d'un emploi, dans un territoire où la vie est 31% plus chère que dans l’Hexagone.
Des bailleurs pris à la gorge
« Pour éviter de se retrouver avec des dettes, certaines familles ont préféré quitter leur logement », observe Maud Peirano, directrice de Sud Habitat, un des bailleurs sociaux du territoire, et présidente de l'Armos-NC, qui regroupe l'ensemble des maîtres d’œuvre sociaux calédoniens. Sud Habitat affiche aujourd'hui un taux de vacance de 14%, contre 5% avant la crise insurrectionnelle de mai 2024.
À la Société immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC), le principal bailleur du territoire, un logement sur six est désormais inoccupé. Dans les résidences, les appartements inoccupés sont désormais scellés par de plaques de métal pour éviter toute occupation illégale, ce qui « ne rend pas l'environnement très accueillant », regrette Denise.
Le cercle est vicieux : moins de loyers perçus, c'est moins de moyens pour l'entretien et la rénovation. Certains logements deviennent inhabitables, d'autres rebutent les familles qui remplissent pourtant les critères. « On a aussi des familles qui se battent tous les jours pour continuer à payer leurs loyers », insiste Maud Peirano, qui s'inquiète de l'exclusion des plus précaires.
Paradoxe du système : pour accéder au logement social, il faut disposer d'un revenu. Les personnes durablement exclues du marché du travail ne peuvent y prétendre, dans un territoire sans RSA ni filet de sécurité durable.
Aux Côteaux des Oliviers, vaste ensemble de résidences sociales de Nouméa, Daniel Hama dit avoir été sollicité par plus de 300 familles en détresse. Ce militant indépendantiste, président de l'association Unité CDO, plaide pour un gel des expulsions. « On ne peut pas continuer de rajouter de la crise à la crise. Ce sont des familles qui, pour beaucoup, ne connaissent pas leurs droits. Elles ont besoin d'un soutien, pas de se retrouver à la rue avec une épée de Damoclès », alerte-t-il.
Selon l'Armos, les impayés ont explosé. « Ils atteignent 50% à Sud Habitat. Et la situation est similaire chez les autres adhérents », souligne Maud Peirano. En réponse, les bailleurs ont dû ralentir, voire geler plusieurs projets de construction. « Or, nous sommes un des principaux leviers pour relancer l'activité du BTP », rappelle Maud Peirano. De quoi aggraver un peu plus un secteur déjà sinistré par la crise.
Avec AFP