INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : Pour Manuel Valls, « le FLNKS peut encore s’inscrire dans la voie de l’accord »

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INTERVIEW. Nouvelle-Calédonie : Pour Manuel Valls, « le FLNKS peut encore s’inscrire dans la voie de l’accord »

Alors que l’Union calédonienne a rejeté l’accord de Bougival et que Christian Tein, le président du FLNKS, a annoncé ce mercredi 30 juillet, se prononcer contre le document, Manuel Valls reste convaincu qu’un chemin peut être trouvé. Le ministre des Outre-mer veut convaincre et rappelle qu’un « vide institutionnel serait un désastre » pour la Nouvelle-Calédonie. Notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes s’est entretenu avec le ministre des Outre-mer.

Les Nouvelles Calédoniennes : Comment réagissez-vous au fait que l’Union Calédonienne rejette l’accord de Bougival ?

Manuel Valls : L’Union calédonienne a choisi de rejeter, en l’état, le projet d’accord de Bougival. J’en prends acte, mais je regrette profondément cette position. Trois figures de l’UC ont participé à chaque étape des négociations depuis plusieurs mois. Les représentants du FLNKS ont tous signé ce texte au terme des discussions longues et approfondies.

Je salue d’ailleurs le courage et la sincérité de la délégation du FLNKS qui a pris part à ces négociations. Elle a assumé pleinement sa responsabilité. Et je veux rendre tout particulièrement hommage à Emmanuel Tjibaou, qui a défendu ses convictions et a cherché à chaque fois le chemin de l’accord, à Paris, à Nouméa, à Deva ou à Bougival. Les mots qu’il a prononcés à l’Élysée quelques heures après l’accord témoignent de sa hauteur de vue. Voilà pourquoi je ne me résigne pas, le FLNKS peut encore s’inscrire dans la voie de l’accord.

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Cet accord est le fruit d’échanges intenses, et il intègre pleinement les conséquences des violences du 13-Mai et notre volonté commune de ne pas les répéter. C’est un compromis qui permet des avancées majeures : la création d’un État de la Nouvelle-Calédonie pouvant être reconnu par la communauté internationale, l’instauration d’une nationalité calédonienne sans perdre la nationalité française, une Loi fondamentale propre à la Nouvelle-Calédonie, le transfert de la compétence en matière de relations internationales dans son champ, la possibilité enfin, à travers un mécanisme précis, de transfert des autres compétences régaliennes : défense, justice, sécurité, monnaie.

C’est un cadre institutionnel souple et structurant. Il ne peut satisfaire pleinement chacun, mais il trace une voie commune. La responsabilité collective, désormais, est de faire aboutir cet accord et de lui donner vie.

Quelles sont les perspectives sur le plan politique et institutionnel si le FLNKS, à la suite de son congrès, refuse l’accord ? 

Les autres délégations signataires, indépendantistes comme non-indépendantistes, qui ont fait preuve du même courage et de la même sincérité, sont déterminées à avancer. Elles savent qu’un vide institutionnel serait un désastre pour le territoire. Chacun doit mesurer les conséquences d’un non-accord : ce serait l’incertitude prolongée, le risque d’instabilité, le retour de la violence et la remise en cause des efforts de reconstruction déjà engagés. 

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Cet accord est une vraie solution, soutenue par les plus hautes autorités de l’État, le président de la République, le Premier ministre, le président du Sénat et la présidente de l’Assemblée nationale. Chacun doit avoir conscience qu’ouvrir une nouvelle séquence de négociations serait hasardeux. Repartir de zéro ? Avec quel calendrier ? Quel mandat ? Et surtout, avec quelles concessions, alors que tant d’efforts ont déjà été consentis ? Jamais les partenaires politiques n’étaient allés aussi loin dans les concessions réciproques. Cependant, ma porte n’est pas fermée et je reste disponible à tout moment pour dialoguer. L’impasse n’est pas une option. Les Calédoniens ont leur destin entre leurs mains. Ils devront s’exprimer sur l’accord.

Cela signifie-t-il que l’accord de Bougival est caduc et qu’il s’agit d’un échec ?

Absolument pas. Bougival a soulevé un immense espoir. Un accord de cette ampleur, le premier depuis 1998, qui invite les Calédoniens à changer de paradigme institutionnel, appelle naturellement des compléments et des précisions. C’est le propre de toute négociation historique. C’est précisément le rôle du comité de rédaction, qui pourrait se réunir dès que possible en août à Nouméa, afin d'affiner et de consolider les textes de lois constitutionnelle et organique. Ce travail permettra de lever les ambiguïtés et de clarifier l’esprit de l’accord pour tous les Calédoniens. Je m’engage à un travail étroit avec toutes les délégations, en bilatérales ou en plénière, sur ces textes.

Quel serait l’impact financier et économique d’un tel désaveu de l’accord ? 

Sans accord, c’est tout l’édifice économique et social prévu qui s’effondrerait. La confiance des investisseurs, l’amorce de reprise et les efforts de reconstruction : tout serait fragilisé. Le coût de l’absence d’accord est connu : il se chiffre en emplois détruits, en entreprises fermées et en confiance perdue. L’accord a été salué par de nombreux acteurs économiques. 

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Concrètement, cela signifierait la fermeture des trois usines de nickel, la perte de milliers d’emplois, une aide financière de l’État versée au compte-goutte, la prolongation de la crise économique et sociale, et même sanitaire, ainsi que l’abandon de tout projet ambitieux en faveur de la jeunesse, pourtant inscrit dans l’accord. Parlons vrai : c’est la jeunesse océanienne qui est la plus impactée.

Je veux être clair, il n’y a aucun chantage de ma part : l’État cherchera toujours à accompagner le territoire sur le plan économique et financier, mais cet accompagnement sera d’autant plus efficace et ambitieux qu’il s’appuiera sur la stabilité institutionnelle que garantit l’accord.

Cela veut-il dire que vous allez convoquer des élections provinciales dans la foulée ?

Les convoquer aujourd’hui ne réglerait rien sur le fond. Il faut respecter le calendrier de l’accord de Bougival et leur report.

N’avez-vous pas sous-estimé l’opposition indépendantiste en proposant cet accord ? Comment expliquez-vous ce rejet massif ?

Je n’ai jamais sous-estimé la difficulté de ce chemin, surtout après des années d’impasse politique et de défiance. L’accord de Bougival n’est ni la victoire de l’un sur l’autre, ni un texte imposé : il a été construit jour après jour, avec les partenaires autour de la table, au terme de longs mois de discussions.

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Je respecte et je connais l’histoire de l’UC et du FLNKS. Je sais, parfois, la méfiance vis-à-vis de l’État, et surtout les aspirations à l’émancipation et à l’achèvement du processus de décolonisation. J’entends les questions et les critiques qui s’expliquent aussi par des dynamiques internes au mouvement. Mais elles ne doivent pas faire dérailler l’essentiel : un accord reste indispensable. Chacun doit favoriser l’intérêt général et l’avenir de la Nouvelle-Calédonie plutôt que son organisation politique.

Le gouvernement est-il prêt à assumer une sortie de crise par la force si la situation sécuritaire se dégrade à nouveau ?

La sécurité des Calédoniens n’est pas négociable. L’État a d’ores et déjà anticipé les mesures nécessaires pour la garantir. Mais chacun sait que la paix durable naîtra du dialogue et de l’accord, et du développement économique et social du territoire. Il y a encore trop d’inégalités.

Quelles garanties pouvez-vous donner aux populations loyalistes qui craignent désormais un retour aux violences et à l’instabilité ?

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Les services de l’État, sous l’autorité du haut-commissaire, sont pleinement mobilisés. Je sais que les violences de mai 2024 ont laissé des blessures profondes. L’État ne permettra pas qu’un climat de peur s’installe.

Ne craignez-vous pas, en poussant cet accord, un passage en force, à l’image de ce qui a conduit au 13 mai 2024 ?

C’est exactement l’inverse, car le but de cet accord est de sortir de la logique d’affrontement. Pendant des mois, nous avons privilégié le dialogue en construisant jour après jour, avec tous les partenaires une solution choisie et pas imposée. Ne revenons pas à la logique d’affrontement, les Calédoniens en seront les premières victimes. Faisons vivre l’espoir, j’en appelle à la mobilisation de tous : forces économiques, maires, Sénat coutumier, société civile…

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La délégation du FLNKS est arrivée à Paris sans mandat pour signer, ce qu’elle a fini par faire au dernier jour des négociations. Comment expliquez-vous ce revirement ?

Je ne pense pas qu’il s’agisse d’un revirement, car c’est l’aboutissement de plusieurs mois de discussions sur le fond avec les représentants du FLNKS autour de la table. C’est bien la raison pour laquelle la signature apposée à Bougival consiste à s’engager à défendre en l’état le projet d’accord. Alors que nous traversons un moment décisif, rappelons-nous les mots de Michel Rocard : « La paix, c’est la négociation, c’est le courage de céder sur certains points au nom d’un objectif plus essentiel. »

Propos recueillis par Les Nouvelles Calédoniennes