En Polynésie, un projet immobilier de luxe suscite l’opposition de la population

En Polynésie, un projet immobilier de luxe suscite l’opposition de la population

Le groupe City avait présenté il y a quelques semaines trois projets d’envergure en Polynésie : un hôtel 5 étoiles à Bora Bora, la rénovation de l’hôtel du Tahara’a à Tahiti et la construction d’un complexe résidentiel de luxe à Punaauia, toujours sur l’île de Tahiti. Et c’est ce dernier qui suscite une levée de bouclier de la population.

Cinq bâtiments, sur une superficie en bord de mer de 3,5 hectares, 406 logements sur une surface totale au sol de 15 000 m2, 775 places de parking, trois piscines, une salle de sport, un spa et un pool bar, le tout au bord d’une plage de sable blanc, face à l’île de Moorea. Sur le papier, le complexe immobilier Ocean Park sur la côte Ouest de Tahiti, porté par le groupe City, a tout pour vendre du rêve. Il est présenté comme « essentiellement proposés à la vente pour le marché local » mais un marché local très haut de gamme.

« Le plus gros projet immobilier jamais vu à Punaauia », commente d’ailleurs la mairie. Un « ensemble résidentiel qui n’existe pas à Tahiti », vantait quelques semaines plutôt le promoteur. Le groupe français, à la fois aménageur et promoteur immobilier de ce projet, porte également deux autres projets en Polynésie : un hôtel 5 étoiles à Bora Bora et la rénovation du mythique hôtel Tahara’a, au nord de Tahiti, rappellent nos partenaires de Radio 1 Tahiti. De quoi rappeler les ambitions d’implantation en Polynésie du groupe City. 

Mais sur le terrain, le projet suscite l’inquiétude de la commune concernée, voire l’opposition franche, de la population locale. En premier lieu, la commune de Punaauia a fait savoir son avis défavorable à la demande de permis de construire déposée par le groupe et en attente d’autorisation, ou pas, par le gouvernement local. « Nous accueillons tous les investisseurs dans la commune avec bienveillance, mais cela ne veut pas forcément dire qu’on donne un accord tacite pour faire tout et n’importe quoi », explique Nicolas Bertholon, 2ème adjoint au maire, chargé notamment du développement urbain.

Rappelant les « règles à respecter dans la commune » -PGA, PPR, PADD-, il insiste sur la position de la commune : « on a donné un avis défavorable. Mais en toute finalité, c’est le pays qui décidera ». « On ne dit pas que rien ne doit se faire, mais que cela se fasse à taille humaine et que ce soit acceptable par rapport à la population », poursuit-il, interrogé par TNTV. Il faut dire que, selon l’étude d’impact qui a été publiée par la commune en début de semaine, un tel projet n’est pas sans conséquences sur la vie de la population locale.

Concernant cette étude d’impact, elle pose, dès ses premières pages, les limites de l’exercice, commente encore Radio 1 Tahiti. Nos partenaires expliquent : « Les analystes n’ont pas pu accéder au terrain, qui appartient à la SCI Tahiti Village, contrôlée, aux dernières nouvelles, par le groupe Wane, mais qui serait aujourd’hui occupé par une famille qui revendique une partie de la propriété. Les auteurs de l’étude soulignent surtout « le manque de réponse aux questions posées » par les responsables du projet. Et les questions sont nombreuses : risque de pollution du lagon lors des terrassements – qui débuteraient, d’après le calendrier du promoteur, en pleine saison des pluies – impact des camions de déblais sur la circulation, déjà dense vers la Punaruu, aménagements paysagers qui pourraient être en contradiction avec le PGA… ».

« Trop gros et démesuré »

Du côté de la population, la levée de boucliers s’organise. Vaihi Charles, une résidente de la commune de Punaauia, a créé une pétition en ligne qui a rassemblé près de 400 signatures. « Ce projet immobilier est vraiment beaucoup trop gros et démesuré pour la population et la commune », estime-t-elle, « au niveau de l’aménagement du littoral, du lagon… tous ces travaux qui vont être faits vont sûrement chambouler l’écosystème qui existe déjà et je pense qu’il y a d’autres solutions pour loger la population ». Des panneaux de protestations ont été dressés sur la clôture du terrain et les résidents des alentours s’organisent en collectifs locaux. 

« Je ne pense pas que la population de Tahiti aille vraiment chercher ce genre de construction. On se demande vraiment si c’est pour la population locale. Cela ne correspond pas à la demande qu’il y a ici, et au pouvoir d’achat de la classe moyenne et populaire. On a d’autres besoins plus urgents, plus modestes et plus terre à terre pour Tahiti et pour la population de Punaauia », poursuit-elle. « On est inquiet pour nos générations futures. On est complètement contre ce projet pharaonique qui arrive encore chez nous. Ce sont des appartements de luxe et donc destinés à qui ? Pas forcément aux locaux », observe également Douglas Tuahine, membre d’un collectif de résidents.

TNTV

« On est aussi inquiet au niveau environnemental et pour les nuisances que cela va générer. On a déjà eu l’expérience avec l’hôtel Le Méridien, aujourd’hui à l’abandon. On ne pouvait plus se baigner, pêcher, et là ça va être pareil. C’est déplorable. Sans compter la circulation, je ne sais pas comment on va régler ce souci avec ce projet ». Car le projet pose aussi la question du trafic routier, dans une zone déjà dense, « un goulot d’étranglement aux heures de pointe » commente TNTV. L’étude d’impact prévoit d’ailleurs 800 voitures et un millier d’habitants de plus.  Autre problématique : les accès publics aux littoraux de l’île, déjà rares à Tahiti.

En bref, ce projet immobilier d’envergure et de luxe, destiné à un marché CPS+, a, au final, tout pour déplaire à une population locale déjà confrontée à un marché de l’immobilier sous tension, où les biens sont rares et difficilement accessibles aux portefeuilles des jeunes ménages locaux et autres primo-accédants. Une population confrontée également à un trafic routier infernal aux heures de pointe, et au manque de lieux publics de loisir en bord de mer. Et si la commune n’a pas les moyens d’acheter le terrain, elle lance la balle au gouvernement local : « Le Pays peut faire jouer son droit de préemption et pourrait en faire un parc public ». 

En attendant, la commune de Punaauia a décidé de récolter l’opinion de la population sur ce projet. Une façon de peser sur la décision du Pays concernant le permis de construire. « Les avis laissés en commentaire Facebook ne pourront pas être pris en compte », prend soin de préciser la collectivité dans la publication ci-dessous.

 Avec TNTV et Radio 1 Tahiti.