Défiscalisation nationale : Le projet de loi de Finances inquiète en Polynésie française

Défiscalisation nationale : Le projet de loi de Finances inquiète en Polynésie française

Le projet de loi de finances 2026 élaboré par le gouvernement Bayrou prévoit une « rabot » de 11 points sur les taux de défiscalisation pour les Outre-mer. La Fédération des entreprises d’Outre-mer et les cabinets de défiscalisation espèrent faire changer d’avis le gouvernement Lecornu avant le 7 octobre, date limite du dépôt du PLF à l’Assemblée nationale. Il est jugé particulièrement inquiétant pour la Polynésie et son hôtellerie haut de gamme, qui serait aussi limitée par de nouveaux critères d’éligibilité. Explications de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

En août dernier, la Fédération des entreprises d’Outre-mer (Fedom) ainsi que plusieurs acteurs économiques polynésiens partageaient leur « consternation » devant les intentions budgétaires du gouvernement Bayrou, et notamment l’idée de réduire de 10% les taux de la défiscalisation sur l’investissement outre-mer.

La maquette du projet de loi de finances 2026 a non seulement confirmé leurs craintes, mais elle les a amplifiées : c’est un « rabot » pouvant aller jusqu’à 11 points qui est prévu, dit la directrice générale du cabinet de défiscalisation et de financement I2F, Béatrice Beljouani : « 10%, ça restait dans la limite de l’acceptable. 11 points, c’est vraiment significatif. Donc il y aura une baisse pour tout le monde, investisseurs métropolitains et exploitants, mais très, très significative pour l’exploitant. Pour l’exploitant en Polynésie française, ça représente un rabot de 25%. Et ces 25%, qui représentent entre 8 et 10% du coût, il va falloir les trouver soit en fonds propres, soit en endettement bancaire supplémentaire. »

Plusieurs secteurs de l’économie polynésienne seraient touchés : on pense évidemment à l’hôtellerie, mais les transports aériens, terrestres et maritimes sont également concernés. La flotte de transport maritime interinsulaire de Polynésie, pour ne citer qu’elle, affiche une moyenne d’âge de 40 ans contre moins de 15 ans dans l’Hexagone.

Des mesures transitoires inquiétantes

Même si « certains dossiers pourront se restructurer avec plus d’aisance que d’autres », Béatrice Beljouani exprime aussi des craintes sur les mesures transitoires annoncées, qui vont toucher des dossiers déjà en montage mais qui n’obtiendront leur agrément que postérieurement au 31 décembre 2025, parce que, « en fonction de leur nature, ils n’auront pas versé 50% d’acompte ou n’auront pas déposé leur déclaration de chantier. Ils auront engagé des fonds, mais ils seront sous le nouveau dispositif. Donc là on parle de plan de financement qui se retrouve vraiment mis à mal. »

Sans compter que si les investisseurs métropolitains ont de moins en moins d’avantage à placer leurs fonds sur des projets en Polynésie, « on risque d’arriver à la limite de ce qui peut être intéressant et on tue le dispositif, en fait », ajoute Béatrice Beljouani.

« Le temps est compté » 

Une course contre la montre est engagée, avec la Fédération des entreprises d’Outre-mer en première ligne. Car le projet de loi de finances doit être déposé à l’Assemblée nationale au plus tard le 7 octobre. C’est court, très court, pour travailler le gouvernement -qui n’est pas encore nommé- et l’inciter à amender son texte avant ce dépôt.

Il faudrait alors compter sur des amendements pendant la discussion budgétaire, mais si le prochain gouvernement, que l’opposition a bien l’intention de bloquer à chaque tournant, ne parvient pas à convaincre et décide de déclencher l’article 49-3 de la Constitution, c’est le texte primitif qui sera adopté… Il faut donc « faire bouger le texte avant même le dépôt, la Fedom y travaille, mais le temps est compté. Mais 11 points, c’est vraiment une baisse historique, elle est vraiment brutale », dit Béatrice Beljouani.

La double peine : un plafonnement de la base éligible au mètre carré

Et en Polynésie, cette brutalité est particulièrement marquée dans le secteur de l’hôtellerie, qui est même « touchée à double titre », poursuit-elle, parce que le coup de rabot s’accompagne d’une mesure inédite de plafonnement au mètre carré pour calculer la base éligible à la défiscalisation. « Dans le texte, le plafond est fixé à 4 500 euros/m2, mais on a entendu dire que le plafond pourrait être remonté à 7 000 euros », dit la directrice d’I2F.

Pire encore, il s’agit de mètres carrés de « surface habitable », une notion qui exclut les espaces extérieurs non clos, que ce soit dans les parties communes ou dans les chambres, suites et bungalows. Or l’architecture des hôtels polynésiens fait la part belle aux espaces ouverts : « dans nos hôtels en Polynésie, on a des pontons, on n’a pas des couloirs… » Pour certains projets, la surface « habitable » selon Bercy ne représente « même pas la moitié » de la surface totale.

Double peine, donc, et pour les professionnels de la défiscalisation, c’est même une triple peine si l’on considère que le dispositif ne prend pas non plus en compte l’éloignement des centres d’approvisionnement en matériaux de construction, ni l’éloignement des îles par rapport à Tahiti : « Les travaux à Tahiti n’ont pas le même coût que des travaux à Rangiroa ou à Nuku Hiva, que ce soit en matériaux ou en main d’œuvre. »

« On comprend qu’il y ait une volonté de régler certains curseurs », dit Béatrice Beljouani, « mais la solution, ce serait plus une solution à la clé, au nombre de chambres, sans parler de surface, et ça avait d’ailleurs été l’usage de la Direction générale des finances publiques pendant un certain temps. »

« Ce n’est pas un luxe que d’avoir une hôtellerie de luxe en Polynésie »

Conclusion : « Clairement, c’est l’hôtellerie haut de gamme qui est visée. » Et ce ciblage va à contresens de la tendance en Polynésie : « On le voit, la demande est sur les catégories supérieures », rappelle Béatrice Beljouani. « Et un hôtel haut de gamme a besoin de beaucoup plus d’effectifs, c’est un gros employeur, il y a d’énormes retombées économiques. C’est aussi une clientèle qui est contracyclique, s’il y a des perturbations dans le tourisme international, c’est une clientèle qui a du pouvoir d’achat et qui continue à consommer du tourisme. Ce n’est pas un luxe que d’avoir une hôtellerie de luxe en Polynésie. »

Moerani Frébault prêt à voter contre le budget

Le député de Polynésie Moerani Frébault, le seul député polynésien qui siège dans la majorité, s’est ému de cette situation sur ses réseaux sociaux, et annonce qu’il doit rencontrer le Président de la République le 30 septembre prochain, ainsi que le Premier ministre et le prochain ministre des Outre-mer. « Et si le gouvernement ne revoit pas sa copie », dit le député qui siège dans le camp présidentiel, « je m’opposerai à ce budget en commission et en séance plénière. »

Caroline Perdrix pour Radio 1 Tahiti