Covid-Polynésie : Huit patients polynésiens évasanés vers l'Hexagone, une opération inédite, complexe et nécessaire

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Covid-Polynésie : Huit patients polynésiens évasanés vers l'Hexagone, une opération inédite, complexe et nécessaire

Huit patients du service de réanimation Covid du Taaone ont été embarqués, vendredi soir, dans un avion spécialement équipé pour les évacuer vers l'Hexagone. Une opération inédite et complexe, qui a mobilisé des dizaines de spécialistes entre Paris à Papeete. Pour le CHPF, il s’agit d’accélérer le retour à une « activité normale ». Un reportage de notre partenaire Radio 1. 

 

« C’est la solidarité nationale en action ». Sur le tarmac de l’aéroport de Tahiti-Faa’a, le Haut-commissaire Dominique Sorain n’est pas le seul à se féliciter de l’opération Manuea ce vendredi. Financée par l’Etat, en coordination avec le Pays, et pilotée par des médecins spécialisés issus du Samu métropolitain, en liens étroits avec le CHPF, la mission a mobilisé des dizaines de personnes, entre Papeete et Paris. Dans l’avion d’Air Caraïbes affrété par sa compagnie sœur, French Bee, ils n’étaient pas moins de 35 soignants et secouristes métropolitains pour encadrer les huit Polynésiens évasanés. Des équipes expérimentées : avant cette opération, la métropole avait déjà équipé des TGV médicalisés pour désengorger certaines « réa » vers d’autres régions puis adapté ce système à l’aérien pour venir en aide à la Guadeloupe et la Martinique, depuis la mi-août.

Une douzaine d’opérations d’évacuation, baptisées « Hippocampe » ont eu lieu depuis les Antilles. La Polynésie a dû attendre son tour ? Certains auraient bien vu « l’avion-civière » atterrir au plus fort de la saturation, fin août, quand les places libérées en « réa » pouvaient être directement attribuées à des cas graves de Covid en attente. Mais les autorités l’assurent, il ne s’agit pas d’une question de priorité aux départements des Caraïbes sur la collectivité du Pacifique, mais de logistique. Manuea, avec son escale obligatoire, en Guadeloupe justement, pour recharger le fuel et les bouteilles d’oxygène, était « beaucoup plus complexe » à organiser. L’avion atterrit certes dans un contexte moins tendu qu’il y a une quinzaine de jours, mais les responsables du Taaone, eux aussi à l’aéroport aux côtés de plusieurs membres du gouvernement, sont unanimes pour saluer cet effort. « Transformer un avion comme ça en hôpital volant, c’est un exploit, insiste le Dr Ouarda Krid, responsable des urgences du centre hospitalier polynésien. Nous ça nous permet d’avoir un petit bol d’air pour prendre d’autres malades en charge et de s’en occuper encore mieux ». Baisse de pression, et retour à la normale accéléré : dans un établissement où l’essentiel des services ont dû être fermés par l’explosion des besoins de la filière Covid, cette évacuation collective va permettre de ré-accueillir plus rapidement les autres malades, victimes indirectes de l’épidémie. « C’est une mission très complexe, mais aujourd’hui elle était nécessaire », reprend Dominique Sorain, qui n’exclut pas d’autres vols de ce type si la situation ne s’améliore pas rapidement.

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« Hôpital volant »

L’arrière de l’avion a été aménagé pour les patients et séparé du reste de l’appareil par un sas sanitaire. Des espaces pour les lits ont été créés par dessus certains sièges rabattus, puis équipés de bouteilles d’oxygène, dont la quantité est limitée par les règles du transport aérien. Les patients, inconscients, sont amenés depuis le Taaone jusque sur le tarmac par une série d’ambulances, puis installés dans l’avion sans être déplacés de leur lit médicalisé. « Le but, c’est de limiter les interventions, et donc d’assurer un confort et une sécurité maximale pour les patients », explique le Dr François Braun, président de Samu-urgence de France. Huit patients de réanimation seront ainsi installés à bord dans la soirée sur une capacité maximale de 10 malades dans l’avion. Les équipes savaient d’avance qu’il serait difficile de remplir le convoi. « Il y a des critères médicaux, en termes de stabilité de la respiration, de l’état cardio-vasculaire, ce sont des patients qui doivent être stables en consommation d’oxygène, qui ne peuvent pas être dialysés, il y a un minimum de tension qui est requis… liste le Dr Braun, un des responsables de la mission. Mais le critère le plus important, c’est que les familles acceptent les transferts ».

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Et si beaucoup s’attendaient à de fortes réticences, les équipes du CHPF, qui ont assuré l’essentiel des discussions en amont, n’ont pas eu trop de peine à convaincre. Pas forcément parce que les soins prodigués dans l'Hexagone sont de plus haut-niveau. « Il y a peut-être quelques équipements supplémentaires, des soins de suite plus spécialisés, mais le Taaone est parfaitement compétent pour prendre en charge ces patients, rappelle un membre de l’équipe volante. Mais le fait est qu’il est toujours largement saturé par l’épidémie ». Plus qu’individuel, l’argument est donc collectif. « Les familles savent que ça va permettre à leur malade de continuer à être traité, que c’est celui qui est le plus éligible à partir, et ils savent qu’avec ça, ça va permettre au reste de la population d’être aussi à même de bénéficier de la réanimation, reprend le Dr Ouarda Krid. Les gens sont généreux malgré tout ». Edouard Fritch a d’ailleurs tenu à remercier ces « familles qui ont accepté de voir leur proche évacué» vers un des hôpitaux partenaires de la CPS en île de France. « Quelque part, ça me fait mal au cœur de voir que malgré l’investissement de nos corps médicaux polynésiens, on en arrive à faire cette expérience inédite, explique le président. Je croise les doigts pour que cette expérience soit positive et qu’on puisse récupérer ces Polynésiens en bonne santé. Mais on est arrivé à un point qui est terrible dans l’histoire de ce pays ».