[TÉMOIGNAGES] À La Réunion et aux Terres australes et antarctiques françaises, les scientifiques surveillent la couche d’ozone

Pour étudier la composition de la stratosphère, les ingénieurs utilisent un laser LiDAR. Crédit : Valentin Guillet - Institut polaire français - TA73

[TÉMOIGNAGES] À La Réunion et aux Terres australes et antarctiques françaises, les scientifiques surveillent la couche d’ozone

À travers le monde, un réseau de surveillance internationale contrôle quasi quotidiennement l’état de la couche d’ozone. Dans les Outre-mer, deux stations participent au recueil des données de terrain : la base Dumont d’Urville dans les Terres australes et antarctiques françaises et l’Observatoire de physique et de l’atmosphère de La Réunion.

Article rédigé par Marion Durand.

Dans les Terres australes et antarctiques françaises, une vingtaine de chercheurs posent chaque hiver leurs valises sur l’île des Pétrels, située sur la cote de terre Adélie. C’est dans cette région de l’Antarctique de l’Est, faisant face à la Tasmanie, que la base Dumont D’Urville fut inaugurée en 1956. Près de 70 ans après, la station polaire est toujours un véritable campus scientifique où se relaient les spécialistes pour étudier l’atmosphère, les phénomènes géophysiques, la calotte glaciaire ou l’extraordinaire biodiversité qui peuple ce territoire français.

Le 9 janvier dernier, l’Organisation des Nations Unies annonçait une bonne nouvelle : le trou dans la couche d’ozone se résorbe. Elle devrait même se reconstituer dans les quatre décennies à venir. Si l’ONU détient ces informations, c’est notamment grâce aux données récoltées sur le terrain par des scientifiques du réseau international de surveillance de la stratosphère (le NDACC : Network for the Detection of Atmospheric composition Change).

En France, trois stations fournissent ces précieuses informations, dont deux dans les Outre-mer : la base Dumont d’Urville dans les TAAF et l’Observatoire de physique et de l’atmosphère de La Réunion (Opar). « L’objectif est de fournir des informations pertinentes et de qualité pour mieux comprendre ce qu’il se passe dans l’atmosphère et ainsi prévoir l’évolution du climat dans 50, 100 ou 200 ans », rappelle Valentin Duflot, responsable scientifique de l’Opar.

« Le premier maillon d’une longue chaîne »

Si la station réunionnaise emploie une vingtaine de personnes localement, c’est une tout autre logistique dans la base de l’Antarctique. Les occupants de la station polaire Dumont d’Urville sont, pour la plupart, de passage. « Pendant la campagne d’été se déroule la passation entre les hivernants sortants et les hivernants entrants », décrit l’Institut polaire. Du fait du climat et de l’expansion de la surface de la glace de mer bordant la côte de terre Adélie durant l’hiver austral, Dumont d’Urville n’est accessible qu’entre les mois d’octobre et de mars. L’hiver, il faut donc s’armer de patience.

Erwan Negre, Etienne Meffre ou Valentin Guillet ont tous les trois passé un an à Dumont d’Urville. Ils sont ce qu’on appelle dans le jargon « des lidaristes », du nom de l’instrument de mesure dont ils ont la responsabilité. Ces ingénieurs français, qui se relaient chaque année, sont « le premier maillon d’une longue chaîne », comme le décrit Valentin Guillet, actuel hivernant de la station.

Leur travail consiste à étudier la composition en aérosol de la stratosphère (entre 10 et 30 km d’altitude) pour connaître l’état de la couche d’ozone, celle qui nous protège contre les rayonnements ultraviolets du soleil, nocifs pour les êtres vivants.

Pour cela ils utilisent un « LiDAR » atmosphérique (Light Detection and Ranging, détection et estimation de la distance par la lumière). Ce laser émet des impulsions lumineuses vers le ciel et éclaire les différentes couches de l’atmosphère. « En fait, on recherche des aérosols qui vont ensuite être impliqués, avec les CFC (Chlorofluorocarbures) dans le cycle de destruction de l’ozone. On détermine le nombre de particules présentes, leurs tailles… On donne alors des indications du taux de concentration en aérosol, dont certains sont polluants d’autres naturels », vulgarise Etienne Meffre, ingénieur en physique de la lumière, hivernant à Dumont D’Urville jusqu’en novembre 2022.

La couleur du laser change parfois selon les stations. A Dumont d’Urville, elle est verte car sa longueur d’onde est égale à un micromètre, ce qui optimise la réaction de la particule avec le signal. Crédit : Valentin Guillet - Institut polaire français - TA73

Trou dans la couche d’ozone : des mesures de protection strictes

Pendant un an, le lidariste étudie et relève les données sur ce qu’il se passe au-dessus de l’Antarctique. Ces informations sont essentielles car c’est justement à cet endroit de la planète que le trou dans la couche d’ozone se forme. Il apparaît à partir du mois d'août et atteint son point culminant vers octobre.

Pourquoi se forme-t-il à cet endroit précis ? Les gaz CFC, responsable du trou dans la couche d’ozone, sont inoffensifs pour la couche d’ozone lorsqu’ils sont au niveau du sol. Mais en montant dans la stratosphère, ils se répartissent autour de la Terre. «Lorsqu’ils arrivent dans les régions polaires, ces aérosols sont sous une forme chimique différente, une forme cristalline, car la température est très basse. C’est sous cette forme-là qu’il entraîne la destruction de la couche d’ozone et l’apparition du trou, poursuit Etienne Meffre. Lorsque le trou se forme, les indices UV affichent des valeurs de 15 ou 16, alors qu’on ne dépasse jamais 10 en métropole. Pour s’en protéger, nous devons suivre un protocole strict : éviter les sorties inutiles, se couvrir au maximum, renouveler régulièrement les crèmes avec un indice de protection très élevé. »

L’ozone dans la stratosphère est mesuré par plusieurs instruments qui peuvent être au sol, dans le ciel (embarqués sur des avions ou sur des ballons) et grâce aux satellites.

À La Réunion, une cinquantaine d’instruments récoltent des données au sein de trois sites de l’Opar. À l’Observatoire du Maïdo, l’une des stations située dans l’Ouest de l’île, des techniciens mesurent la température, le vent, la vapeur d’eau ou les propriétés optiques présentes dans les particules en suspension dans l’air grâce aux lasers LiDAR. Deux autres instruments sont utilisés pour mesurer l’ozone dans la stratosphère : le radiosondage (un ballon gonflé à l’helium, équipé d’instruments, récupère des données en s’envolant vers le ciel) et un spectromètre infrarouge.

La base antarctique Dumont D’Urville, située sur l’île des Pétrels, en terre Adelie. Crédit : Emmanuel Linden - Institut Polaire Français

Le protocole de Montréal, une victoire sans précédent

En 1985, lorsque le monde découvre l’existence d’un trou dans la couche d’ozone, grâce aux mesures effectuées en Antarctique, la mobilisation est générale. En septembre 1987, 24 pays et la communauté économique européenne signent le protocole de Montréal interdisant l'usage des substances qui détruisent la couche d’ozone, notamment le CFC (Chlorofluorocarbures), contenu dans les aérosols et réfrigérateurs. Aujourd’hui, tous les pays ont ratifié ce texte, considéré comme le premier protocole écologique international. 

« C’est un modèle ! C’est le seul et unique accord signé et appliqué par tous les pays et qui a porté ses fruits de manière inéluctable, félicite Valentin Duflot. Quand tout le monde joue le jeu, ça fonctionne. Depuis une trentaine d’années, ce genre de prise de conscience globale manque. » Selon l’ONU, le protocole de Montréal a permis d’éviter « au moins 10 millions de cas de cancer de la peau d’ici à la fin du siècle » et « des millions de cas de cataracte » (problème à l'œil responsable d’une baisse de la vision).

Malgré la diminution de la taille du trou dans la couche d’ozone, il est essentiel de maintenir des mesures régulières, rappelle Erwan Negre, lidariste hivernant entre 2017 et 2018 : « On ne connaît pas l’état des stocks de CFC qui demeurent dans certains pays, notamment en Inde et en Chine. Si ces stocks venaient à être rejetés dans l’atmosphère ce serait catastrophique ! » L’ingénieur met en garde : « Jusqu’à présent le phénomène d’augmentation de l’effet de serre et celui de la destruction de l’ozone n’étaient pas corrélés car ils proviennent de deux mécanismes atmosphériques différents. Or, des observations tendent à montrer une interaction ozone-climat ».

Il y a près de quarante ans, les ingénieurs français de Dumont D’Urville, tout comme les scientifiques du monde entier, ont été des lanceurs d’alerte. Face au changement climatique actuel, leur travail reste, encore aujourd’hui, fondamental.