PORTRAIT. Denis Hameau, Réunionnais et adjoint au maire de Dijon, la première « Smart City » de France

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PORTRAIT. Denis Hameau, Réunionnais et adjoint au maire de Dijon, la première « Smart City » de France

Le Réunionnais Denis Hameau, adjoint au maire de Dijon en charge notamment des services publics, relations usagers et innovation, est également à la manœuvre de la Smart City de Dijon, OnDijon, première Smart City de France. Ce mercredi soir à l’Assemblée nationale, il reçoit, au nom de sa ville, le Prix de l'Innovation dans le cadre de la 32ème édition des Trophées Eco-Actions.

Natif de La Réunion, Denis Hameau, 56 ans, grandit sur l’île jusqu’à l’âge de 5 ans, avant de quitter l’île dans le cadre du BUMIDOM, « avec mon petit frère et ma mère enceinte de 5 mois ». « À notre arrivée dans le froid hiver de la Métropole elle sera dans l’obligation de nous placer avec mon petit frère pendant 2 ans à la DDASS, le temps de trouver un travail comme agent de service hospitalier à l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon et un logement à La Muletière puis Vénissieux ». 

Bon élève, « de la primaire au baccalauréat série B », Denis Hameau commence à travailler dès l’âge de 13 ans, au marché des Minguettes, « pour me faire un peu d’argent de poche ». « J’ai travaillé sur des chantiers en maçonnerie et puis j’ai passé mon BAFA pour devenir animateur avec la ville de Vénissieux puis d’autres structures ». De là, Denis Hameau enchaîne les expériences professionnelles et formatrices : études de Sciences Politiques (IEP) Lyon puis Maîtrise de Droit Public, tout en étant surveillant de collège.

« Ayant réussi le concours d’Inspecteur des Postes et Télécom, j’ai intégré La Poste après mon service militaire dans le 4ème Régiment du Génie. Je suis passé en 30 ans de cadre à Asnières, à cadre supérieur en tant que Directeur du bureau de poste de Neuville-sur-Saône puis directeur des Ventes à Bresse et Revermont, puis Directeur Départemental de Haute-Saône, Directeur Territorial Enseigne en Bourgogne Nord et au Val d’Oise, puis au Siège du groupe à Paris comme Adjoint du Dircom du Groupe, membre du Comex puis Délégué à l’Innovation Territoriale du Groupe La Poste », détaille le natif de Saint-Denis.

En 2022, Dijon est la 3ème 3ème ville où il fait bon étudier selon le classement de L’Étudiant ©DR

En 2007, Denis Hameau rencontre François Rebsamen, l’actuel maire de Dijon. Une rencontre qui lança l’engagement politique du Réunionnais. « Quand il m’a proposé d’être sur sa liste en 2014, j’ai dit oui d’abord comme Conseiller Délégué pour le quartier Montchapet puis à la Métropole sur l’Enseignement Supérieur », raconte-t-il. « En 2016 après les élections régionales, je suis devenu Vice-président à l’Économie sociale et solidaire (ESS) et la Communauté urbaine de Dijon est devenue Dijon Métropole grâce à un investissement de 1 milliard d’euros en 15 ans. J’ai donc participé à un moment historique avec la fusion des Régions Bourgogne et Franche Comté et à la montée en puissance de la Métropole ».

Aujourd’hui, Denis Hameau est Adjoint au Maire de Dijon pour les services publics, relations usagers et innovation, mais aussi Conseiller Délégué Dijon Métropole ESR, Université, Smart City et Conseiller Régional Délégué aux Nouvelles Mobilités. « Nous sommes dans un moment où la connaissance est une des clés des défis écologie, climat, cohésion social, développement durable, projet démocratique, que nous devons surmonter » explique celui qui « croit que l’éducation est la clé pour une meilleure société, plus solidaire du petit âge au grand âge ». Aujourd’hui, Dijon est la 3ème ville où il fait bon étudier selon le classement de L’Étudiant. 

D’où sa volonté de « faire venir ou agrandir des écoles qui manquaient sur le territoire ». « Depuis 2014 nous avons gagné 6000 étudiants de plus et la perspective pour ce nouveau mandat est de 5000 étudiants supplémentaires avec 2000 ingénieurs de plus sur le territoire d’ici 2030 ». Dijon Métropole et le réseau de l’Université de Bourgogne représentent 40 000 étudiants sur les 65 000 de la Région, « c’est donc un enjeu de taille », assure-t-il. Au-delà de toutes ces casquettes, illustrant un large éventail de compétences et d’expériences, c’est surtout pour son rôle dans la transformation de Dijon en Smart City qu’Outremers360 a contacté et interviewé l’élu réunionnais dans l’Hexagone. Il répond à nos questions…

Vous êtes chargé de la Smart City OnDijon. Déjà, qu'est-ce qu'une Smart City ?

Nous avons lancé la première Smart City française le 11 avril 2019 avec la Présidente de la Région Bourgogne-Franche-Comté, François Rebsamen, Président de Dijon Métropole et les partenaires, les Présidents Martin Bouygues pour Bouygues Énergies et Services (BYES), Jean-Louis Chaussade pour Suez, Paul Hermelin pour Capgemini et Jean-Bernard Lévy pour EDF Citelum.

L’idée du projet date de quelques années auparavant. En 2014 la somme des contrats (exploitations, maintenance) le coût du pilotage dispersé sur plusieurs acteurs, des grandes fonctions urbaines pour notre territoire était de 6 millions d’euros par an soit 60 millions sur 10 ans. Aussi nous nous sommes posés les questions suivantes : comment piloter les grandes fonctions urbaines de la ville (éclairage public, sécurité, mobilité) et les étendre à une logique métropolitaine (23 communes, 260 000 habitants) et mieux gérer les crises ? Comment mettre les habitants au cœur du service public et leur permettre de mieux participer ? Comment faire de ce grand projet un levier d’innovation grâce à la data, le relier à l’ESR et un atout dans une logique de développement durable ?

Denis Hameau depuis le QG de la Smart City de Dijon, OnDijon ©DR

Puis avec une AMO, nous nous sommes inspirés des meilleures pratiques mondiales dans ce domaine des infrastructures (sécurité, éclairage public, mobilité, …). Après deux ans de dialogue compétitif sur les grandes fonctionnalités urbaines avec 4 consortiums dont les chefs de file étaient Engie, Bouygues Énergie et Services, Vinci et Eiffage, nous avons reçu et examiné les offres. Elles allaient de 105 millions à 150 millions d’euros sur 12 ans. Nous avons l’ambition par exemple de faire 65% d’économies d’énergie sur l’éclairage public. Nous avons rattaché et pilotons à distance plus de 200 bâtiments, 300 caméras, 20 bornes d’accès au centre-ville et à 300 véhicules géo-localisés.

Quelles ont été les étapes, les actions à mener, les politiques publiques pour faire de Dijon une Smart City ?

La première étape a été d’attribuer le marché de 105 millions d’euros dont 50% d’investissement au groupement porté par Bouygues Énergies et Services, et ensuite nous avons réaménagé le bâtiment qui accueille aujourd’hui la police municipale, le poste de pilotage de la mobilité avec Divia (groupe Keolis), le Groupement OnDijon (BYES, Suez, Capgemini, Citelum) le portail téléphonique OnDijon. Ensuite nous avons développé l’hyperviseur qui nous permet de piloter et de coordonner les équipements (vidéo-protection, éclairage, feux tricolores, bornes de centre-ville…) avec des cartographies disponibles (voilerie, travaux en cours) et adaptables selon les besoins et les situations (zones inondables, bâtiments disponibles pour abriter les habitants en cas de sinistre…).

Nous avons travaillé à avoir une gestion centralisée des interventions avec la co-construction de 450 procédures par les équipes de Dijon Métropole (espaces verts, propreté, voiries, mobilité, travaux…) et les ingénieurs qui ont développé les solutions. Grâce à ce travail nous avons récupéré des données dans le respect du RGPD et en lien avec la CNIL pour bien garantir le respect de la liberté des citoyens. Nous avons ainsi lancé lors de Vivatech 3 data challenge avec des start-ups. Les deux premiers portaient sur les mobilités, l’espace public et le dernier portait sur la végétalisation de la ville, son patrimoine arboré et un meilleur accès au service et l’inclusion des citoyens. Ce travail sur les data en open innovation nous a permis de tester une méthode et d’acquérir une expérience. Dans ce type de projets, la sécurité des infrastructures (data center) et la cyber-sécurité sont bien sûr incontournables.

©Dijon Métropole

Nous sommes passés des infrastructures aux usages grâce à la connexion des équipements et au traitement de la data. Nous pouvons à présent nous projeter dans une stratégie métropolitaine de la donnée sur l’open data et sur tous nos grands projets (alimentation, mobilité hydrogène, eau, biodiversité…) en lien avec le futur lieu totem situé dans les nouvelles écoles d’ingénieurs, tous les savoirs et recherche la disponibles sur le Campus de L’Université de Bourgogne. Cela implique aussi une confiance renforcée des citoyens qui se traduira par la mise en place prochainement d’un comité d’éthique métropolitain de la donnée.

Concrètement, avez-vous pu ressentir, ou même pu voir, des améliorations dans le quotidien des Dijonnais et des habitants des villes limitrophes de Dijon ?

D’abord en matière de gestion de crise, nous avons un dispositif très performant qui nous permet d’être reliés avec de nombreux acteurs (CHU, Poste, pompiers, FDO …), le Covid-19 a d’ailleurs été un crash test pour OnDijon et nous avons su faire face, d’abord grâce à la plateforme téléphonique (700 à 1 000 appels par jour) qui a aidé à rassurer les citoyens les plus isolés comme les personnes très âgées -plus d’un millier se retrouvées coupées des solidarités habituelles (avoir eu attestation aide pour les courses, aller à la pharmacie, voir le médecin)-, les personnes en fragilité ou handicapées. Notre force est d’avoir élaboré un langage commun et une forte capacité de coopération amplifiée par l’unité de lieu.

Nous avons aussi lancé le 30 octobre 2021, lors de la Foire de Dijon, l’application citoyenne OnDijon. Nous l’avons développé avec les citoyens, plus de 1500 ont répondu à notre appel à volontaires pour cette démarche. L’app est le prolongement du portail téléphonique qui permet de signaler des désordres sur la voie publique (accident, mobilier abîmé, trou dans la chaussée, éclairage défectueux, véhicule abandonné, problème de propreté, branche d’arbre cassée, graffitis…) mais aussi d’avoir des informations sur les services des communes (cantine périscolaire piscine centre de loisirs bibliothèque renouvellement passeport). 

En 2018 lors du SCEWC de Barcelone ©DR

Nous avons donc à présent 700 appels par jour et 14 000 citoyens qui avec l’application sur leur Smartphone nous aident à améliorer le service public en temps réel. Nous travaillons actuellement à développer avec les Maires un service sur mesure pour leurs habitants des 22 autres communes de Dijon Métropole.

En 2018 lors du SCEWC de Barcelone, j’ai concouru pour le City Award avec la proposition d’une Human Smart and Sustainable City et nous avons été 2eme derrière Singapour. D’autres grandes villes y participaient comme Londres, Melbourne, Santiago du Chili, Haïfa et Florence. Je suis retourné à Barcelone en novembre 2022 pour faire le bilan de nos réalisations. Depuis Dijon a été sélectionné par l’Europe pour être parmi les 30 villes de la transition écologique « net zero cities » à horizon 2030. J’ai aussi eu l’occasion de me déplacer pour échanger avec des villes comme Montréal, ou Stockholm.

Vous êtes originaire de La Réunion, quelles sont vos impressions sur l'urbanisme, sur le développement urbain sur votre île natale ?

Je reste très attaché à mon île avec sa beauté à couper le souffle, sa spiritualité et son histoire qui parle de liberté des marrons avec les noms de ses pitons ou de ses cirques. L’urbanisme va très vite et il faudrait mieux l’organiser pour une meilleure qualité de vie et préserver les espaces naturels, la biodiversité (plantes médicinales et autres) sur terre et en mer. Il y a aussi un enjeu de gestion de crise (sécheresse, cyclone) avec les évolutions du climat.

Il y a aussi un vrai enjeu autour des mobilités actives (meilleure santé, lutte contre le diabète), collectives et décarbonnées (climat, émissions en CO2). Enfin, l'énergie solaire est un véritable atout pour l’île et la recherche devrait être encouragée. La proximité de l’Afrique devrait aussi être un axe de réflexion stratégique de développement pour les gouvernants en France.

Des villes comme Saint-Denis, Le Port, La Possession ou Saint-Paul et Saint-Pierre plus au sud peuvent-elles aussi devenir Smart City ?

J’ai reçu plus de 150 délégations de ville à OnDijon dont 50 internationales. J’aurai plaisir à accueillir des personnes de La Réunion ou de venir travailler avec elles sur leur projet ! Oui je pense que la Smart City devrait être poussée au niveau gouvernemental. C’est aussi possible au niveau local à condition d’avoir une logique de mutualisation de plusieurs communes, un projet commun, une vision stratégique, une gouvernance politique stable et une action administrative et technique plus transversale.

Peut-être que pour La Réunion, avec son caractère insulaire et sa topographie, l’échelle régionale est-elle la plus pertinente pour animer ce type de projet ? Mais les grandes villes pourraient être un premier terrain de jeu et d’expérimentation. Il faut aussi se doter des compétences avec une vraie direction des infrastructures, de la sécurité civile et une direction de la transformation numérique qui est beaucoup plus qu’un DSI. J’ai eu l’occasion d’échanger avec les acteurs de la French Tech de La Réunion car ils ont eu le label à Dijon et je sais que nous ne manquons pas de talents ! 

32ème édition des Trophées Eco-Actions :

Ce mercredi soir, la ville de Dijon recevra un Prix de l’Innovation pour sa Smart City OnDijon, dans le cadre des Trophées Eco-Actions. Ce Trophée est organisé par l'association des Eco-Maire et est émis sous le Haut patronage de la Présidente de l'Assemblée nationale et en partenariat avec l'Assemblée Nationale et le Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, l'ADEME ainsi que différents partenaires institutionnels.

Il vise à récompenser l'innovation et l'exemplarité des collectivités locales en matière de protection de l'environnement et de développement durable tout en affirmant leur rôle incontournable dans ces domaines. La cérémonie se déroulera ce mercredi soir à l’Assemblée nationale, en présence notamment de Bérangère Couillard, Secrétaire d'État chargée de l'Écologie, et de Yaël Braun-Pivet, Présidente de l'Assemblée nationale. Et c’est Denis Hameau qui, en tant que chargé de la Smart City OnDijon, recevra le prix.