Rencontré une première fois début décembre 2024, le dirigeant de la compagnie internationale de La Réunion espérait un exercice 2024/2025 à l’équilibre. Objectif atteint, Air Austral va poursuivre ses ambitions, non sans avoir été impactée par le cyclone Chido à Mayotte, ni sans surveiller de près la concrétisation d’une piste longue dans ce département ou encore, la crise que traverse actuellement le Proche-Orient. À l’aune des 50 ans de Réunion Air Services et des 35 ans d’Air Austral, Hugues Marchessaux a fait le point en exclusivité chez Outremers360.
Outremers360 : Vous espériez en décembre dernier un retour à l’équilibre pour l’exercice 2024/2025. Qu’en est-il aujourd’hui ? Êtes-vous arrivé à cet équilibre ?
Hugues Marchessaux : Nous sommes dans la phase de clôture des comptes et nous allons les présenter à notre conseil de surveillance la semaine prochaine. Mais je peux d'ores et déjà vous dire que nous allons avoir un résultat d'exploitation qui est à l'équilibre légèrement positif. L'objectif est atteint puisque lorsque j’ai fait ma prise de poste au mois d'octobre 2024, j'ai dit que sur l'exercice en cours 2024/2025, l'objectif était de se rapprocher de l'équilibre, de l'atteindre, voire d'être positif.
Sur le résultat d'exploitation, nous serons positifs aux alentours de 2 millions. C'est une bonne chose : ça veut dire qu'on suit notre plan de route, notre plan de redressement à base de développement de recettes et d'économies, et que les résultats sur l'exercice que l'on vient de clôturer, montrent que nous sommes dans la bonne trajectoire.
Donc une bonne trajectoire également pour 2026 et 2027 ?
On a bouclé le budget 2026. Ça a été un petit peu compliqué : on a eu beaucoup de modifications de programme liées à la situation à Mayotte. Mais notre budget 2026 est ambitieux parce qu’il y a du développement de recette et de chiffre d'affaires, avec une prévision de résultat d'exploitation positif. C’est-à-dire qu’on ne vise plus l'équilibre, on vise clairement d'être positif et si possible d'avoir aussi un résultat net qui soit à l'équilibre, voire positif.
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On continue également à développer nos recettes à moyens constants. On va aussi continuer à déployer notre plan de de performance, sur la partie coûts également, toujours en se basant sur la même flotte, et en travaillant mieux nos remplissages.
Nous visons la même chose pour l'année suivante, 2026/2027, mais avec peut être des évolutions, parce que nous travaillons sur un plan d'affaires, autrement dit une trajectoire à cinq ans qui, indépendamment des projections qu'on peut faire en termes de développement, de chiffre d'affaires et d'analyse de nos coûts, induit aussi des réflexions sur l'évolution du périmètre flotte.
Vous évoquez le périmètre flotte, mais il y a aussi le périmètre réseau. En décembre dernier, vous vous laissiez jusqu’à fin 2025 pour aborder soit le retour de lignes suspendues, soit de nouvelles lignes. À ce sujet, où en êtes-vous dans votre réflexion ?
On a beaucoup de sollicitations, bien évidemment, pour des ouvertures de lignes ou des réouvertures. Dans certains cas, le schéma pour l'année budgétaire 2025/2026 qui est en cours, c'est de rester sur un réseau à peu près équivalent à celui que l'on avait lors de l'exercice précédent, tout en travaillant sur les fréquences. À titre d’exemple, on va avoir une troisième fréquence, comme l'année dernière, sur Bangkok, mais qu'on va ouvrir sur une période plus importante.
Après, en termes de réflexion sur des nouvelles lignes, on a décidé pour l’heure de rester sur les lignes que l'on opère habituellement pour 2026. Mais on regarde toutes les possibilités qui pourraient s'offrir à nous, que ce soit en desserte propre, voire pourquoi pas au travers de coopérations.
Justement en termes de coopérations : le Salon du Bourget a ouvert ses portes cette semaine, vous vous y rendrez, avez-vous prévu des rapprochements, des partenariats, ou des discussions, que ce soit avec des compagnies ou des constructeurs ?
Nous allons effectivement rencontrer les mainteneurs avec qui nous avons des contrats, et surtout, nous allons signer ce mercredi un accord codeshare avec la compagnie Madagascar Airlines, qui va leur permettre d'imposer leur numéro de vol sur nos vols régionaux et nous, de faire la même chose. Ce qui nous permet par exemple, d'ouvrir une palette de destinations supplémentaires, notamment dans le cadre de notre réseau régional, même si pour certaines, évidemment, ce n’est pas nous qui allons tracter, mais Madagascar Airlines.
Je vais prendre un exemple concret parce qu'il est assez récent, c'est l'exemple de Sainte-Marie à Madagascar. On nous sollicite souvent pour opérer Sainte-Marie en direct. Mais nous allons faire les choses étape par étape. Dans un premier temps, on fait un accord de codeshare donc avec Madagascar Airlines, c'est-à-dire que nous amenons des passagers à Tamatave et la compagnie malgache va ensuite les emmener à Sainte-Marie. Voilà. Ça permet d'avoir donc au travers de ce partage de code, une liaison qui est partiellement opérée par nous et puis qui est complétée par Madagascar Airlines.
Les passagers auront donc un billet, opéré par deux compagnies. Quand on veut étendre un réseau, soit on a les moyens pour le faire, mais c'est rarement le cas parce que qui dit moyens dit avoir des avions supplémentaires, soit on le fait avec des partenariats qui permettent d'offrir un champ de destinations supérieur à ce que vous feriez en moyens propres. Donc c'est ce qu'on va faire avec Madagascar.
Je reviens sur le cyclone Chido qui a balayé Mayotte en décembre. Vous l’avez dit, vos programmes ont été bousculés mais pour autant, vous avez joué un rôle important pour l’île. Quel bilan faites-vous de cette période compliquée ?
Chido a été un événement très perturbateur d'un point de vue opérationnel. Pendant quinze jours, il n’y avait plus de vols commerciaux au départ de Mayotte, que ce soit vers La Réunion ou que ce soit vers la France hexagonale.
Il y a eu des vols qui ont été opérés mais qui étaient pour le compte du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises (COGIC). Nous nous sommes inscrits dans ce pont aérien qui a été mis en place à la fois entre Mayotte et La Réunion. On a pratiquement fourni un tiers de la capacité de transport du pont aérien, eu plus d'une soixantaine de rotations, 2 500 passagers transportés, plus de 100 tonnes de fret et on a également opéré quelques vols, en alimentation ou en connexion vers la France hexagonale, toujours pour le COGIC.

L'impact pour nous était double. D’abord commercial puisqu'on ne pouvait pas transporter de passagers. On a repris les opérations dès le 1ᵉʳ janvier et progressivement. Ça a été un peu plus compliqué pour notre petite filiale EWA qui, du fait de la mobilisation pour les opérations menées par le COGIC, ne pouvait disposer que d'un seul ATR. Elle a redémarré plus lentement.
Cette crise s’est clairement reflétée sur nos résultats. Mais nous avons tout de même réussi à limiter, notamment au travers de notre participation au pont aérien puisque nous n'avons pas arrêté de voler, ce qui nous a apporté un complément de revenus. À date, la situation est revenue à la normale en termes de trafic.Ce qui a également été compliqué pour la compagnie, c’est qu’en même temps que la reprise des vols, nos Boeing 787-8 ont été tour à tour en maintenance, et qu’il y a eu des retards dans leurs retours en opération.
D’ailleurs, l’un-deux est toujours immobilisé à l’heure où je vous parle. Par conséquent, nous n’avons plus assez d’avion pour assurer nos 5 à 9 fréquences selon les périodes. Nous avons donc dû affréter une compagnie étrangère, Hi Fly avec qui nous travaillons régulièrement et qui est une compagnie qui a l'expérience de Mayotte, c’est-à-dire d’opérer en piste courte, non seulement avec les avions adéquats mais aussi avec les équipages qui ont la qualification nécessaire.
À un moment donné, au mois de mai, on s'est retrouvé sans avion, le premier étant toujours en Espagne et le deuxième étant en retard de quatre semaines. Nous avons dû affréter en pour maintenir un lien entre Mayotte et l'Hexagone. Bien évidemment, tout ça n'était pas prévu au départ dans notre nouveau budget 2026. Nous l'avons fait parce que pour nous, le marché mahorais est extrêmement important et que nous ne pouvions pas concevoir à un moment donné, de ne pas transporter au départ de Mayotte vers l'Hexagone.
Aujourd’hui, nous avons récupéré un de nos 787-8, et nous espérons le retour du second en août. En attendant, nous opérons la ligne avec un de nos Boeing 777. Ce qui m'amène à la deuxième problématique de Chido et de Mayotte, c'est que suite au passage du cyclone et par principe de précaution, on nous a demandé de limiter très fortement le nombre de rotations faites en 777 au départ ou à l'arrivée de Mayotte. En d'autres termes, là où je n'avais pas de limitation jusqu'à présent, désormais je suis limité à six mouvements par mois ramenés à l’année, soit trois rotations.
La piste de Mayotte se dégrade progressivement, mais il semblerait que le passage du cyclone ait accéléré cette dégradation.
À ce sujet, dans la loi-programme pour la refondation de Mayotte, adoptée au Sénat et qui passe à l'Assemblée nationale, y a cette question d'un nouvel aéroport à Mayotte, sur Grande terre. C'est quelque chose que vous suivez de près ?
C'est quelque chose qu'on suit de près en effet. Et c'est suite d'ailleurs au passage du président de la République. L'orientation est de construire un nouvel aéroport sur Grande terre, sur le site de Bouyoumi. Ce qui est important pour nous, c'est d'avoir une piste d'une longueur suffisante pour opérer finalement tout type avion et d'avoir les capacités aéroportuaires pour pouvoir parquer les avions, et traiter nos clients dans les meilleures conditions possibles. C'est ça, vraiment notre cahier des charges.
La problématique, c'est que fait-on pendant ce temps-là ? Parce qu'un nouvel aéroport, c'est entre dix et quinze ans pour la construction, le développement. En admettant que l'enquête publique se termine en 2026 ou 2027, je ne maîtrise pas les délais, nous aurons à peu près entre huit et dix ans de construction derrière, donc on est plutôt rendu aux alentours de 2035, voire au-delà.
Or, pendant ce temps, il va bien falloir continuer à desservir Mayotte, que ça soit en régional, au départ de La Réunion, mais aussi au niveau de la France hexagonale. On ne peut pas couper ce lien qui est vital pour les Mahorais. Nous avons une question très simple : c'est qu'est ce qui va se passer en termes de politique d'investissement sur les infrastructures existantes ? Parce qu'on ne voudrait pas qu'à un moment donné, tous les moyens soient mis sur le nouvel aéroport et que l'on assiste à un lent délitement de l'aéroport actuel, vital pour Mayotte.
Et vous, ça vous pose aussi une autre problématique, c'est qu'on évoquait aussi en décembre dernier : une réflexion à long terme sur le renouvellement de la flotte. L’aéroport de Mayotte, c’est un paramètre important sur ces réflexions…
Vous avez totalement raison. C'est même une complexité assez exceptionnelle. Quand on fait un choix de flotte, on essaye d'avoir un avion qui vous permet de desservir un maximum de destinations. Air Austral a un petit réseau long-courrier, avec deux marchés qui sont très particuliers, qui sont La Réunion et Mayotte.
L'association des deux fait quand même 80 % de notre activité. Donc évidemment, c'est névralgique pour nous d'avoir le bon avion au bon endroit. Si je vous résume la situation à Mayotte aujourd'hui, il faut un avion qui nous permette, au moins dans les dix ans à venir, en attendant une piste longue, de pouvoir traiter dans les meilleures conditions possibles avec les infrastructures existantes. Par conséquent, avoir le maximum de capacité d'emport passagers et cargo sur une piste courte et en tenant compte de la taille du marché mahorais qui n'est pas la taille du marché réunionnais. Donc un module de 250 à 300 places et bien designé.
Pour La Réunion, c'est totalement différent. Il n'y a pas de contraintes particulières en termes d'opérations. Par contre on est sur une ligne millionnaire (dont les fréquences s’élèvent au million de passagers par an, ndlr). C'est la troisième ligne long-courrier au départ de Paris après New York et Montréal. C'est une ligne qui est dynamique et sur laquelle il y a une compétition féroce entre quatre compagnies. Contrairement aux Antilles, La Réunion continue à se développer et on est largement au-dessus des niveaux de 2019.

Et il est clair que pour pouvoir rester dans la compétition, il faut essayer d'avoir les avions les plus performants, pas simplement en termes de consommation de carburant, mais aussi en termes de capacité d'emport. En d'autres termes, mettre un avion de 200-250 places sur La Réunion, c'est trop petit. Il vaut mieux opter pour des avions de plus de 400 places.
Quand vous faites l'association des deux, entre la spécificité de Mayotte et celle de La Réunion, je n'ai pas trouvé l'avion idoine. Or, si la compagnie veut faire des économies, éviter de reproduire des erreurs par le passé, c'est-à-dire de multiplier les types de flottes, l'intérêt, c'est d'avoir un module long-courrier et un module moyen-courrier. Ça, c'est le schéma idéal.
Mais encore faut-il que le module long-courrier vous permette de desservir les deux marchés. Je n'ai pas de doute qu'au-delà des années 2035, quand il y aura le nouvel aéroport, cette problématique n'existera plus puisque là on aura plus de limitations liées à la piste longue. Par contre, elle existe aujourd'hui et il faut que je vive avec pendant une dizaine d'années.
Parlons un peu de géopolitique avec ce qui se passe en ce moment au Proche et Moyen-Orient. Cette guerre entre Israël et l’Iran, est-ce qu’elle vous inquiète, notamment sur ce passage au-dessus de la Mer Rouge ?
Effectivement, on a une trajectoire qui survole des zones qui pour certaines sont un peu compliquées. Et cette trajectoire est déjà optimisée, on ne vole pas droit. Par rapport à la trajectoire idéale, on a déjà à peu près 40 ou 45 minutes de temps de vol supplémentaire.
Nous sommes en relation étroite avec le Quai d'Orsay et la DGSI. Nous surveillons ça avec attention. Pour l'instant, il n'y a pas de mesures particulières à prendre, mais on regarde quand même des routes alternatives au cas où. Cela implique du temps de vol supplémentaire, et un temps de service de vol pour les équipages qui s’allonge. Il y a vraiment toute une étude à faire.
Ça fait partie évidemment de nos responsabilités de s'assurer qu'on peut transporter nos clients en toute sécurité. Si demain il y a des mesures qui doivent être prises, nous les prendrons. Il n'y a pas de débat à avoir sur le sujet.
Il y a un autre sujet sur ce conflit, c'est le prix des carburants…
Là aussi on regarde ça avec attention. Le prix du carburant a fait un yoyo : Il était descendu à 64 $ du baril, il est remonté à pratiquement 74. Là, il s'est un peu stabilisé à 73.
Dans la construction de notre budget, nous nous sommes basés sur un prix du carburant que je qualifierais d'assez « conservateur ». C’est-à-dire que nous avons été prudents parce que justement l'expérience montre que c'est un paramètre qui est assez difficile à maîtriser, même si, à l'instar d'autres compagnies, on achète des couvertures. Le problème des couvertures, c'est qu’à un moment donné, si ça baisse beaucoup, c’est de notre poche. On ne peut pas gagner à tous les coups. Pour l'instant, nous sommes couverts aux alentours de 40 % sur notre politique carburant avec des variations d'un mois sur l'autre. On regarde avec attention ce qui est en train de se passer sur le carburant parce qu'un coût de 10 $ sur le baril, ça a un impact très, très fort.
Nous regardons aussi de près la parité euro-dollar. C'est le deuxième vecteur à surveiller, puisque nous avons une partie importante de nos achats, notamment dans la partie technique, qui se font qui se font en dollars. En ce moment, ça va plutôt à notre avantage : le dollar est aux alentours de 1,14 / 1,15, déjouant d'ailleurs toutes les prédictions puisqu'on disait qu'avec l'arrivée de la nouvelle administration à la Maison-Blanche, le dollar allait s'apprécier, qu'on allait vers une parité d’un pour un. Pour l'instant, on constate un phénomène inverse.
Ceci dit, je me garderai bien de jeter la pierre aux prévisionnistes parce que je pense qu'aujourd'hui, faire des prévisions, que ce soit au niveau du carburant ou que ce soit de la parité euro-dollar, d'un côté pour les problèmes géopolitiques, de l'autre côté pour les problèmes économiques ou les nouvelles politiques, c'est compliqué. Par conséquent, nous prenons le parti de rester sur des hypothèses qui sont, somme toute, conservatrices.
Dans tout ce contexte sensible, l’année 2025 est importante pour la compagnie, puisqu’elle marque les 50 ans de la création de « Réunion Air Services » et les 35 ans de sa transformation en Air Austral. Avez-vous prévu quelque chose pour marquer l’événement ?
On prépare plein de choses. On va avoir une communication bien évidemment à ce sujet. Pour nous, les deux événements sont très importants.
Le premier, parce qu'il y a 50 ans, Gérard Éthève a déposé les statuts de Réunion Air Services en décembre 1974, et la compagnie opérait ses premiers vols en 1975. C'est une belle image de la continuité du transport commercial à La Réunion. C'est un demi-siècle et on veut capitaliser dessus parce qu’Air Austral est né quinze ans après, en 1990.
Air Austral n'est que la conséquence logique de Réunion Air Service, et ça marque une belle continuité du transport aérien à La Réunion. Et malgré les difficultés des dernières années, les salariés de la compagnie sont motivés, ont envie de continuer cette aventure et pour certains d’entre eux, je l’espère, fêter les 70 ans voire les 80 ans de la compagnie.