Santé en Guyane: La prévention contre le sida relancée après deux ans de Covid

© ARS Guyane

Santé en Guyane: La prévention contre le sida relancée après deux ans de Covid

En Guyane, département français le plus touché par le VIH, "l'après Covid, c'est comme si la prévention repartait de zéro", déplore Elinda Ladeo, médiatrice à Cayenne pour l'association Entr'aides, qui lutte pour stabiliser l'épidémie.


"On ne pouvait plus recevoir de public ni faire de maraudes régulièrement", poursuit Elinda Ladeo, qui travaille depuis 2005 auprès des travailleuses du sexe. "Ça n'a pas été très bien compris, certaines filles nous en veulent encore".

Avec sa collègue Mayelin Estevez, elle sillonne une fois par mois les rues des quartiers défavorisés de Cayenne pour distribuer des kits de préservatifs et de gels lubrifiants. Une prévention basique mais nécessaire en Guyane où le mode de transmission du VIH est majoritairement hétérosexuel et la prostitution l'un des principaux moteurs de l'épidémie. Les rues sont aussi animées qu'étroites dans le quartier du Village Chinois, à Cayenne, et les filles nombreuses malgré l'heure précoce.

Assises sur des chaises en plastique, en petits groupes, les travailleuses du sexe sont abordées avec empathie par les deux médiatrices qui profitent de l'échange pour évoquer le dépistage ou la Prep, ce traitement pré-exposition qui empêche d'être infecté par le VIH. "La prévention marche mieux sur le terrain. Parfois le VIH n'est pas pris au sérieux mais si l'on nous voit tous les jours, une prise de conscience s'opère", estime Mayelin Estevez.

 L'enjeu du dépistage précoce 

Car dans ce département français d'Amérique du Sud, le taux d'incidence du sida est huit fois supérieur au taux national et touche 490 personnes sur 100.000. Une prévalence qui place la Guyane en tête, devant la Guadeloupe et l'Île de France. "Le VIH concerne autant les hommes que les femmes, souvent nés à l'étranger, précarisés et contaminés en Guyane", précise le docteur Aude Lucarelli, coordinatrice santé du Comité régional de lutte contre le virus de l'immunodéficience humaine (Corevih). "Tout le monde est à risque, mais lorsque l'on cumule grande précarité sociale et administrative, on les multiplie".

Un éloignement du système de santé accentué par deux années de pandémie. "Pendant la période Covid, aucune action ne s'est arrêtée, mais il a été difficile de se déplacer ou justifier d'aller à l'hôpital alors que les consultations s'y font sans rendez-vous", rappelle le Dr Lucarelli. D'après le Corevih, 350 patients ont été perdus de vue à compter de 2019 alors qu'ils étaient 1.451 depuis 1992.

Le Covid n'a pas uniquement compliqué la prise en charge, mais a atteint la prévention, les dépistages. En 2020, la sérologie VIH a diminué dans toute la France, passant de 6 à 5,2 millions de tests. Mais en Guyane, où 10% des malades ignorent leur statut, l'enjeu du dépistage précoce est fort, notamment dans les zones frontalières de l'Est et l'Ouest du département.
 

"La sérophobie tue en Guyane" 

Côté Brésil, les "trois quarts des personnes détectées en 2022 l'ont été au stade sida de la maladie", c'est à dire quand la maladie est déjà déclarée, d'après Céline Michaud, la référente infectiologue pour les communes isolées. À Saint-Laurent du Maroni, ville frontalière avec le Suriname, elles étaient 45% en 2021 selon l'ARS. "Avec le Covid, il a été difficile de maintenir le lien à distance dans un contexte multilinguiste et culturel comme le bassin de vie du Maroni l'est", raconte Romaric Zeriouh-Venet, le directeur régional d'Aides.

Sur le terrain, la prévention doit s'adapter à ces réalités. Le Corevih va d'ailleurs mettre en place en décembre un outil de prévention en santé sexuelle en sept langues. Une nécessité dans un département où sont parlés près de 30 dialectes.

Une ligne d'écoute a aussi été lancée par Sida info service en février, également en sept langues. "On commence doucement, ce n'est pas encore entré dans les moeurs", note Emmanuelle Bihan, sa coordinatrice qui se heurte aux tabous. "Les discriminations des personnes séropositives poussent les gens à ne pas oser se faire dépister ou se faire soigner par peur du rejet. La sérophobie tue en Guyane", ajoute Romaric Zeriouh-Venet.
 

 

Avec AFP