Née à Mayotte, révélée en Guyane où elle a passé plus d’une décennie à développer ses premières marques, et désormais ancrée au Bénin, l’entrepreneure culturelle Zoulfati Derby ne cesse de tisser des passerelles entre les territoires. Après une expérience fondatrice au Sénégal, la Mahoraise a bâti un parcours qui conjugue mode, transmission et solidarité. C’est désormais depuis Cotonou, où elle réside avec son mari, partenaire de la première heure, qu’elle se lance dans de nouveaux projets. Guidée par la conviction qu’on peut entreprendre autrement, Zoulfati Derby s’apprête à écrire un nouveau chapitre de son aventure professionnelle.
C’est l’histoire d’une passionnée des cultures qui a toujours rêvé d’ailleurs. Celle que l’on connaît alors sous le nom de Zoulfati Hassan grandit à Mayotte et y fait toute sa scolarité jusqu’au baccalauréat. Dans l’Hexagone, où elle poursuit ses études, elle se tourne d’abord vers la psychologie, avant de choisir l’économie sociale et solidaire. « J’ai obtenu un master dans ce domaine, rien à voir avec ce que je fais aujourd’hui, mais c’est ce diplôme qui m’a permis de travailler dans l’insertion. »
De retour à Mayotte, elle fait ses premiers pas professionnels dans ce secteur. C’est aussi là qu’elle rencontre celui qui deviendra son mari : Melvin Derby, un jeune Guyanais déjà très impliqué dans la formation. « On s’est connus dans le cadre professionnel. On avait le même diplôme, le même langage, les mêmes valeurs. Très vite, on s’est compris et on a décidé qu’on avancerait ensemble. » C'est donc ensemble qu'ils quittent Mayotte pour la Guyane en 2008. Zoulfati Derby prend alors la direction d’une structure d’insertion. « Pendant huit ans, j’ai accompagné des jeunes, des familles, des personnes en difficulté. C’était une véritable école de terrain, de résilience et de sens. » Une expérience riche, mais qui la confronte aussi à ses limites. « À un moment, j’ai eu besoin de faire autre chose. J’avais envie de créer, d’innover, de rêver différemment. »

C’est ce besoin qui conduit la famille, en 2016 au Sénégal. « Nous avons quitté la sécurité de l’emploi pour l’inconnu. Ce n’était pas un choix facile, mais nous avions besoin de ce saut. » Là-bas, la jeune maman lance sa première franchise, Expat City Services, pour accompagner les expatriés francophones dans leurs démarches du quotidien. « Nous n’avions rien de concret au départ, pas de capital, aucune garantie. Mais nous avons osé. Et ce moment a tout changé : j’ai compris que je pouvais créer à partir de rien, avec mon mari à mes côtés. Le Sénégal a bouleversé ma trajectoire. J’y ai découvert une autre manière d’entreprendre : plus humaine, plus intuitive. Et surtout, ça m’a donné le courage d’oser. »
Un an plus tard, la famille Derby est de retour en Guyane. Guyawax, une marque de vêtements et d’accessoires en wax, voit le jour. « Je n’avais pas de boutique, juste mes créations et beaucoup d’énergie. Mes premières clientes se souviennent encore des ventes chez moi, à la maison. » La marque est aujourd’hui une institution sur le territoire.
La Guyane, terre des possibles
C’est en Guyane que Zoulfati Derby déploie son potentiel entrepreneurial. Aux côtés de son mari, elle se lance dans ses premiers projets, convaincue que l’entrepreneuriat peut être un levier de transmission et de transformation. « Mon mari a toujours été mon partenaire de la première heure. On a grandi ensemble dans l’entrepreneuriat. Il y a des projets qu’il porte plus, d’autres que je mène, mais toujours avec le soutien de l’autre. Même nos enfants y participent. Nous sommes une famille d’entrepreneurs. »
Très vite, Guyawax s’impose. De fil en aiguille, l’entrepreneure ouvre plusieurs boutiques et élargit ses gammes : vêtements, chaussures, parapluies. « Au départ, c’était de l’artisanat pur. Puis, à partir de 2019, nous avons basculé vers un modèle combinant artisanat et production industrielle. Cela nous a permis d’aller plus loin, sans perdre l’âme du projet. » Parallèlement, avec son mari, elle crée le concept-store Dida Store. « L’idée était simple : donner une chance aux créateurs qui n’avaient pas les moyens d’avoir leur propre boutique. Ils pouvaient exposer temporairement ou durablement. Mais ce n’était pas limité à la Guyane : nous avons accueilli des créateurs du Sénégal, du Bénin... Dida Store, c’est un voyage en soi. »
Pour les Derby, la Guyane est également un lieu de développement d’expertise en faveur d’une coopération internationale. C’est ainsi qu’est né Innovation Conseil Ouest Guyane, un cabinet de conseil spécialisé dans l’accompagnement des collectivités. « Nous travaillons sur des projets structurants, notamment de coopération décentralisée. Nous avons monté des jumelages entre communes mais aussi accompagné des échanges de jeunes entre la Guyane et le Bénin. » Et c’est désormais depuis le Bénin, où Zoulfati Derby et sa famille ont choisi de poser leurs valises, qu’une nouvelle page s’ouvre.
Nouvel ancrage au Bénin
Bien que voyageant régulièrement en Europe, dans l’océan Indien et du côté de l’Amérique du Sud, c’est bien depuis le Bénin que Zoulfati Derby pilote désormais ses futurs projets. Ce choix n’est pas le fruit du hasard : déjà, ses activités de créatrice l’avaient amenée à travailler avec des artisans béninois. « J’ai toujours voulu savoir ce que chaque pays pouvait offrir de mieux en termes d’artisanat. J’avais déjà produit au Sénégal, en Côte d’Ivoire, et souvent au Bénin. Avec le temps, c’est devenu une évidence : ici, nous pouvions construire quelque chose de durable. »

C’est dans ce contexte que naît Dahomey Discovery, son 'nouveau bébé', comme elle aime à l’appeler, une agence de voyages à impact, pensée pour la diaspora et les publics ultramarins. « Plus qu’un séjour, c’est une expérience. Une reconnexion à soi, à l’Afrique, à l’Histoire et au patrimoine. » Les circuits qu’elle propose mêlent tourisme, immersion culturelle et soutien à des initiatives locales. « Par exemple, nous travaillons avec un jeune photographe béninois, dont les portraits font partie de nos circuits. Et à chaque voyage, une partie des revenus sert à soutenir des orphelinats ou des projets solidaires. »
L’engagement est concret : depuis plusieurs années, les Derby soutiennent des écoles et des structures locales. «Aujourd’hui, nous accompagnons environ 350 enfants, entre les orphelinats et les familles, pour qu’ils puissent aller à l’école et bénéficier d’un minimum de stabilité », raconte-t-elle. « Avec mon mari, nous finançons régulièrement la scolarité, les fournitures, mais aussi les repas. Parfois, c’est aussi simple que d’acheter du riz, de l’huile, du savon. Nous ne communiquons pas beaucoup dessus, parce que pour nous ce n’est pas une stratégie de marque, c’est juste une question d’alignement. »
Ce nouvel ancrage lui permet d’élargir son horizon. « Le Bénin est une porte d’entrée vers l’Afrique de l’Ouest. C’est ici que je veux développer une fondation, pour donner encore plus de moyens à nos actions solidaires. Aujourd’hui, tout est financé sur fonds propres. Mais mon ambition, c’est de structurer ces initiatives pour en amplifier l’impact. »
Mayotte, entre blocages et espoir
En Guyane, Zoulfati Derby a su transformer son énergie en emplois et a offert une vitrine à des dizaines de créateurs locaux et internationaux. Au Bénin, elle emploie aujourd’hui six collaborateurs permanents. Pourtant, malgré tout cela, impossible pour l’entrepreneure de déployer ce même type d’actions sur son territoire d’origine, Mayotte.
« J’ai répondu à plusieurs appels d’offres pour la formation et l’accompagnement », explique-t-elle. « Généralement, les marchés sont attribués à des cabinets parisiens. Ça se joue à un demi-point… Pour des critères qui sont vraiment discutables… À Cayenne, à Cotonou, on me fait confiance, je crée des dynamiques et des emplois. À Mayotte, on ne me laisse pas ma chance. C’est déprimant mais on ne peut pas passer sa vie à se battre contre un mur. »
Son attachement à son territoire reste néanmoins intact. « C’est mon point d’ancrage. C’est là que j’ai grandi, que j’ai rencontré mon mari, que tout a commencé. Chaque fois que j’y retourne, je retrouve cette énergie incroyable de la jeunesse mahoraise… Mais pour le moment, je reste là où on me sollicite. » La fin d’année s’annonce en effet chargée pour l’entrepreneure. Entre le lancement de nouveaux circuits avec Dahomey Discovery, l’élargissement des projets de coopération et la structuration d’une future fondation dédiée à la jeunesse et à la transmission, Zoulfati Derby poursuit tranquillement son chemin. « Mon moteur reste le même : entreprendre avec sens et impact. Et quand Mayotte sera prête, je serai là. »