Sur la passerelle de son cargo roulier, le capitaine Mathieu Poulain dispose de tous les instruments de navigation classiques d'un navire de commerce. Avec, en plus, deux écrans: l'un pour régler les voiles, l'autre les mâts. Avec ses 136 mètres de long, ses deux mâts carbone autoportés de 75 m et ses 3.000 m2 de voiles rigides, le Neoliner Origin, sorti il y a tout juste une semaine de son chantier de construction turc, est le plus gros cargo à la voile du monde. Il espère concurrencer le marché des "ro-ro" (rouliers) de sa catégorie, en réduisant jusqu'à 80% des émissions de gaz à effet de serre.
S'il sent encore la peinture, le voilier a réussi cette semaine ses essais en mer, chargeant 300 voitures à Bastia, avant de rejoindre Marseille, où il a fait une escale lundi au pied de la tour de CMA-CGM, géant français du transport maritime et partenaire majeur de Neoline avec 37% de participation.
Parmi ses principales innovations, les voiles - des panneaux de carbone et fibre de verre mis au point par les Chantiers de l'Atlantique - peuvent être hissées ou affalées en 2 minutes 30 et sont orientées automatiquement pour optimiser la prise au vent. Ce navire rutilant, aux mâts rabattables, intègre également des outils de simulation numérique de routage météo pour choisir en temps réel les trajectoires les plus efficaces. "L'objectif final, c'est d'atteindre une propulsion vélique de 90-95%, les moteurs nous servant uniquement à appareiller et accoster", explique le capitaine Poulain.
Après 20 ans dans la marine marchande, le capitaine Antonin Petit, deuxième commandant, ne cache pas sa satisfaction: "j'ai quitté le transport maritime classique par conviction personnelle, avec l'envie d'agir, réellement, pour la préservation de notre planète. Plus les années passaient, plus je ressentais une angoisse entre ma pratique professionnelle et mes convictions. Là, c'était l'occasion."
Rotations transatlantiques
Après un baptême officiel à Nantes le 13 octobre, le Neoliner Origin quittera le 16 octobre son port d'attache de Saint-Nazaire pour sa première transatlantique jusqu'à Saint-Pierre-et-Miquelon, puis Baltimore (Etats-Unis) et Halifax (Canada), et assurera ensuite une rotation par mois à une vitesse commerciale de 11 noeuds, explique le président de Neoline, Jean Zanuttini.
Dans son garage principal, long de 117 m, dans lequel colis et conteneurs sont chargés par l'arrière, le Neoliner Origin pourra embarquer 5.300 tonnes de marchandises, soit nettement plus que les volumes jusqu'ici proposés par les navires à la voile. Huit chargeurs français se sont déjà engagés : Renault, Manitou, La Fournée Dorée, Hennessy, Rémy Cointreau, Longchamp, Clarins et Bénéteau.
Pour la CMA-CGM, le Neoliner Origin est "un véritable démonstrateur industriel de la transition énergétique dans le transport maritime". "Il y a déjà aujourd'hui une dizaine d'offres sur le marché de systèmes qui permettent l'assistance vélique. Mais la grande nouveauté sur ce projet, c'est qu'on ne parle plus d'assistance, on est sur un vrai voilier !", relève Xavier Leclercq, vice-président du groupe CMA CGM.
"Nous avons voulu prouver qu'il était possible de concevoir un navire performant, rentable et capable de diviser par cinq la consommation de fuel tout en rendant un service de qualité. Aujourd’hui, nous avons démontré que ce projet est finançable, constructible et désormais exploitable", se félicite Jean Zanuttini, qui prévoit déjà la construction d'un second cargo identique, dont la mise en chantier pourrait débuter mi-2026.
"C'est certainement une des solutions qui va s'imposer pour décarboner le transport maritime", estime M. Leclercq de la CMA CGM qui opère plus de 650 navires dans 160 pays.
Actuellement, le transport maritime est responsable de 3% des émissions mondiales de CO2 et près de 99% des navires dédiés au transport international utilisent du fioul lourd ou du gaz naturel liquéfié. L’Organisation maritime internationale (OMI) vise une réduction des émissions de 20 à 30% d'ici à 2030 pour atteindre le zéro émission net en 2050.
Avec AFP