Nouvellement nommée ministre des Outre-mer, Naïma Moutchou n’est pas une inconnue de la scène politique. Et elle l’a démontré dès le 16 octobre, lorsqu’elle a défendu devant les sénateurs la loi organique sur le report des élections provinciales en Nouvelle-Calédonie, adoptée à une large majorité. Avocate de formation et élue de la majorité présidentielle, la nouvelle ministre connaît bien les arcanes du Parlement, où elle s’est imposée par son sens du dialogue et sa maîtrise des dossiers. Femme de méthode et de dialogue, elle revendique une approche fondée sur l’écoute et laconcertation. Dans une interview exclusive accordée à Outremers 360, la ministre Naïma Moutchou détaille ses priorités : la vie chère, la révision de la LODEOM, la reconstruction urgente de Mayotte et la situation politique en Nouvelle-Calédonie, où elle effectuera son premier déplacement officiel dans les semaines à venir. Elle livre également ses premières impressions, avec une ambition claire : remettre la jeunesse ultramarine au cœur de l’action publique.
Vous venez d’être nommée ministre des Outre-mer. Pour les Ultramarins qui vous découvrent, pouvez-vous nous raconter votre parcours ?
Je suis avant tout une femme de terrain. Je ne suis pas née dans les cercles du pouvoir, c’est le travail et l’expérience qui m’ont forgée. Je suis devenue avocate parce que je voulais réparer le monde à mon échelle, lutter contre les injustices, contre les inégalités et les discriminations.
Ce sont des combats que j’ai parfois vécu dans ma chair et c’est ce fil conducteur de ma vie publique, celui de servir l’intérêt général, qui m’a conduite du barreau à la politique.
Comme avocate, j’ai défendu des intérêts individuels. Comme parlementaire, je défends la France les Français. C’est une suite logique pour moi. J’ai eu l’honneur d’être élue députée, puis vice-présidente de l’Assemblée nationale, avant que le Président de la République et le Premier ministre me confient la grande et belle mission des Outre-mer au Gouvernement.
Mon objectif, c’est de construire avec eux une relation nouvelle, fondée sur la confiance, la clarté et le respect.
Vous avez été vice présidente de la commission des lois et membre de la commission d'enquête sur la lutte contre l'orpaillage illégal en Guyane. Vous succédez à Manuel Valls, ancien Premier ministre et ministre d’État. Quelle sera votre méthode de travail au sein du ministère ?
Ma méthode reste la même : écouter avec humilité d’abord, puis agir avec force. Je crois profondément à la concertation, parce que ceux qui vivent les réalités du terrain savent mieux que quiconque où sont les blocages et comment les surmonter.
Mon objectif, c’est de construire avec eux une relation nouvelle, fondée sur la confiance, la clarté et le respect. J’ai besoin de savoir précisément où je vais, pour ensuite porter leurs combats au plus haut niveau de l’État.
C’est une méthode qui m’a souvent permis de convaincre et de faire bouger les lignes. Dix années passées à plaider m’ont appris à écouter, à argumenter, à ne jamais lâcher. Et mes huit années de vie politique m’ont donné la technicité et la solidité nécessaires pour agir efficacement.
Je ne crois ni aux coups de menton, ni aux revirements de circonstance. Je crois au travail, à la constance et à la cohérence. C’est cette ligne que je suivrai.

Le Premier ministre a évoqué plusieurs urgences pour les Outre-mer. Quelles seront vos priorités ?
Il y a d’abord l’urgence immédiate de la Nouvelle-Calédonie. J’y reviendrai, car c’est une priorité absolue.
Mais il y a aussi un fléau bien connu : la vie chère. Les Outre-mer ne doivent plus être les oubliés de la grande question du pouvoir d’achat. Nous savons qu’il existe des marges de manœuvre et il est temps d’en faire une réalité.
Un projet de loi est aujourd’hui sur la table. Je le dis très simplement : c’est un texte de départ, il est perfectible. Je veux qu’il évolue dans le bon sens, et je travaillerai main dans la main avec les parlementaires ultramarins pour cela.
J’ai déjà commencé ce travail : j’ai invité les élus à venir au ministère pour identifier ensemble les points d’amélioration possibles. Mon objectif est clair: que cette loi change, demain, concrètement le quotidien de nos compatriotes ultramarins. C’est la seule boussole qui vaille.
Un point suscite une forte mobilisation, non seulement parmi les parlementaires ultramarins, mais aussi au sein du parti présidentiel, des exécutifs locaux et du monde économique des Outre-mer : la baisse des aides fiscales aux entreprises ultramarines et de l’investissement productif, souvent qualifiée de « rabot destructeur». Certains députés ont déjà proposé des pistes de solution. Pensez-vous que le gouvernement pourrait limiter cette baisse, évaluée à 800millions d’euros, et travailler en concertation avec vos collègues parlementaires pour préserver ces investissements ?
Je comprends parfaitement les inquiétudes, notamment pour les petites entreprises qui font vivre le tissu économique local. J’ai déjà pris contact avec les parlementaires sur ce point mais aussi avec mes interlocuteurs de Bercy pour sonner l’alarme. Je compte bien y travailler intensément pour faire évoluer à la baisse la trajectoire budgétaire.
Avez-vous déjà chiffré la réduction du rabot de la LODEOM ?
Le Premier ministre a rappelé que la copie originale du budget n’est pas la copie finale. Ça vaut pour la LODEOM. J’ai une rencontre programmé la semaine prochaine avec ma collègue ministre des Comptes publics pour amorcer ce travail. Je continuerai à consulter les parlementaires, collectivement et individuellement, pour que nous construisions ensemble la meilleure voie possible.
Mayotte reste un autre dossier brûlant. Les engagements financiers du gouvernement seront-ils tenus ?
Les choses doivent être claires : nous sommes très attendus sur ce sujet. Le Premier ministre a rappelé que l’engagement financier de la reconstruction de Mayotte sera tenu, à hauteur de 4 milliards d’euros. Trois chiffres à retenir: le cyclone a provoqué 3,5Mds € de dégâts et la loi de programmation prévoit 4Mds € d’ici à 2031. 500M€ ont été dépensés dans la gestion de crise pour rétablir les services et un premier versement de 80 millions d’euros a déjà été effectué. Je travaille à ce qu’une ligne budgétaire spécifique soit précisée à l’occasion des débats parlementaires, qui fixera les engagements financiers de la France l’année prochaine.
La situation des Mahorais est aujourd’hui profondément dégradée. Notre rôle, notre devoir même, c’est de leur venir en aide. Quoiquil en coûte cet engagement sera tenu. Nous y reviendrons d’ailleurs dans le cadre des débats budgétaires.
Mais la refondation ne peut pas se limiter aux infrastructures. Elle doit s’accompagner d’un développement économique stable, durable, et solide dans le temps, pour que les services essentiels (l’eau, l’école, la santé, la sécurité) puissent enfin fonctionner correctement.
À cela s’ajoute un autre impératif : assurer la sécurité et lutter contre l’immigration irrégulière, qui sont au cœur des préoccupations des Mahorais. Nous devons être présents, constants et déterminés sur tous ces fronts. C’est une question de justice et de dignité républicaine.
Le ministère des Outre-mer est par nature transversal, mais cette transversalité est une force quand on sait s’en servir.
Le ministère des Outre-mer dépend beaucoup des budgets d’autres ministères.Comment allez-vous travailler avec vos collègues ?
Je connais bien mes collègues et tout aussi bien le fonctionnement interministériel. J’ai déjà participé à de nombreuses réunions entre services des ministères, je sais comment faire avancer les dossier et j’ai d’ores et déjà identifié les bons interlocuteurs. Mon expérience parlementaire est très utile de ce point de vue.
Le ministère des Outre-mer est par nature transversal, mais cette transversalité est une force quand on sait s’en servir.

Votre premier grand dossier sera la Nouvelle-Calédonie. Dans quel état d’esprit abordez-vous ce sujet ?
Je crois profondément qu’un chemin vers le destin commun est encore possible. Je ne veux rien brusquer. Sur le plan de la méthode, j’ouvre la porte et je tends la main pour que tout le monde revienne à la table des discussions. Je ne souhaite pas faire sans le FLNKS notamment.
Il s’agit maintenant de préparer la suite. Un texte de report des élections vient d’être adopté au Sénat et sera examiné à l’Assemblée nationale la semaine prochaine. C’est ce qui viendra après dont il importe désormais de se parler: le projet de loi constitutionnelle et surtout la loi organique qui auront un impact majeur sur la vie des Calédoniens.
Mais je veux aussi associer à cette discussion le volet économique et social de l’île et la question des identités, entre autres. Autant de thèmes qui n’ont pas encore été suffisamment explorés et que je veux remettre sur le dessus de la pile.
Vous êtes proche du Premier ministre, qui connaît bien la Nouvelle-Calédonie. Travaillez-vous ensemble sur ce dossier ?
Le Premier ministre a un attachement profond aux Outre-mer. Il m’a confié cette mission avec exigence et avec bienveillance. Il souhaite que j’accorde le plus grand soin a chaque dossier pour les faire utilement avancer. En tout cas, ce n'est pas l'énergie qui manque ni la motivation.
Vous vous rendrez prochainement en Nouvelle-Calédonie ?
Ce sera en effet mon premier déplacement, dans les prochaines semaines. Pour l’heure, je suis pleinement à la tâche, concentrée sur deux textes inscrits les 15 prochains jours à l’agenda du Parlement : le report des élections provinciales en Nouvelle-Caledonie et la lutte contre la vie chère.
Une fois ces étapes franchies, je me rendrai sur place pour rencontrer les élus, les acteurs économiques, la société civile et le monde coutumier. Parce qu’avant de décider, je veux d’abord écouter, continuer à comprendre les réalités du terrain et bâtir, avec eux, une trajectoire de confiance et de reconstruction durable.
Je plaiderai la voix des Outre-mer partout où je le pourrai.
Enfin, au-delà des urgences, sur quel grand thème souhaitez-vous marquer votre empreinte ?
La jeunesse. J’aimerais qu’on en parle davantage, qu’on lui redonne de l’espoir et surtout des perspectives concrètes.
Je veux renforcer un certain nombre de dispositifs qui fonctionnent: je pense notamment au Service Militaire Adapté, qui est une réussite exemplaire. Et en imaginer d’autres, plus souples, plus adaptés à la réalité de chaque territoire.
Mais je ne le ferai pas depuis Paris. Je veux agir en bonne intelligence avec ceux qui sont directement concernés, les jeunes eux-mêmes, les associations, les élus, les acteurs de terrain. C’est ensemble que nous construirons des solutions crédibles et durables.
Un dernier mot ?
Ma fonction, c’est de plaider. C’est ce que je sais faire de mieux. Je plaiderai la voix des Outre-mer partout où je le pourrai.