EXPERTISE. Octroi de mer dans les DROM et Taxe générale sur la consommation en Nouvelle-Calédonie : Des réformes fiscales attendues pour moins de complexité et plus d’efficacité, par Leilla Lecusson

EXPERTISE. Octroi de mer dans les DROM et Taxe générale sur la consommation en Nouvelle-Calédonie : Des réformes fiscales attendues pour moins de complexité et plus d’efficacité, par Leilla Lecusson

Les Départements et Régions d’Outre-Mer (DROM), constitués des territoires de Guadeloupe, Martinique, Guyane, La Réunion et Mayotte, ne disposent pas d’une autonomie fiscale comme celle de la Nouvelle-Calédonie, qui permet à ce territoire de bénéficier d’un régime fiscal à part entière. Pourtant, les DROM et le Caillou partagent des régimes fiscaux similaires qui justifient l’intérêt d’y porter un regard croisé. Une expertise de l’avocate fiscaliste Me Leilla Lecusson.

Ce regard est d’autant plus instructif que le régime de l’octroi de mer en vigueur dans les DROM et celui de la TGC applicable en Nouvelle-Calédonie, sont sur le point de connaître des modifications.

En effet, alors que le régime de l’octroi de mer arrivait à son terme, la décision du Conseil du 7 juin 2021 relative à l’octroi de mer, reconduit ce régime pour une durée supplémentaire de cinq années à compter du 1er janvier 2022. Outre la reconduction de cet impôt hybride qui frappe à la fois les importations de marchandises et les livraisons de biens issues d’activités locales de production, le Conseil procède à des modifications de fond en relevant notamment le seuil d’assujettissement à l’octroi de mer.

Dans l’Océan Pacifique, la Taxe générale sur la consommation (TGC) s’apprête elle aussi à connaître des modifications destinées à améliorer son efficacité et son rendement pour le budget de la Collectivité. Introduite en 2016 en Nouvelle-Calédonie, la TGC est un impôt indirect fortement inspiré de la TVA. Elle s’applique aux importations de marchandises ainsi qu’aux livraisons de biens et prestations de services, et comporte, à l’instar de l’octroi de mer, certains écueils qu’il conviendrait de corriger.

L’octroi de mer et la TGC présentent alors plusieurs similitudes, tant dans leur régime que dans les objectifs poursuivis et les contraintes rencontrées. Outre l’imposition des importations de marchandises, il est intéressant de relever que ces deux dispositifs prévoient également des exonérations similaires à l’importation, applicables à certaines marchandises destinées à des secteurs précisément identifiés, tels que celui de la santé par exemple.

De plus, l’octroi de mer et de la TGC disposent d’un régime spécifique pour les activités locales de production, qui s’explique par une volonté commune de protéger la production locale fortement concurrencée par les importations, tout en favorisant son développement.

Pourtant, l’octroi de mer et la TGC sont l’un et l’autre critiqués pour leur complexité et une efficacité perfectible, qui tiennent souvent à des causes communes.

C’est donc au regard des enjeux communs et de l’actualité de ces réformes, qu’il est intéressant de comprendre les principales critiques admises à leur encontre et les solutions proposées, afin d’identifier les sources d’inspirations réciproques qui pourraient en résulter.

Ecueil n° 1 : l’utilisation de la nomenclature douanière

La nomenclature douanière constitue une succession de 4 à 10 chiffres permettant aux acteurs du commerce international d’identifier une marchandise lors des opérations d’importations et d’exportations.

En ce qui concerne précisément l’octroi de mer et la TGC, la nomenclature douanière est utilisée pour déterminer leurs modalités d’application et plus particulièrement, les taux applicables et les éventuelles exonérations.

En pratique cependant, l’usage de cette nomenclature apparaît inadapté aux besoins de la fiscalité, principalement en raison des difficultés éprouvées par plus de 70 % des importateurs (1) pour déterminer la nomenclature idoine de leur marchandise. Ensuite, les positions tarifaires ne sont pas immuables et peuvent être modifiées voire supprimées au fil du temps. Enfin, les innovations technologiques peuvent aboutir à la création de produits nouveaux pour lesquels aucune position tarifaire ne correspond réellement.

Dès lors, on comprend pourquoi conditionner les modalités d’application de la TGC et de l’octroi de mer à la position tarifaire des marchandises, génère nécessairement de la complexité et de l’insécurité juridique. Ces dernières sont évidemment supportées par les opérateurs économiques, mais aussi par les administrations chargées de contrôler et de recouvrer l’impôt, ainsi que par les exécutifs locaux lors des délibérations relatives aux taux applicables et aux exonérations.

Solutions proposées

Pour répondre à cette première difficulté, l’utilisation d’une classification fiscale à définir, en lieu et place de la classification douanière actuelle, a été évoquée en Commission plénière du Congrès de Nouvelle-Calédonie de janvier dernier (2).

A propos de l’octroi de mer, la Commission européenne propose un régime fondé sur la nomenclature des activités économiques, nomenclature d’ores et déjà utilisée par les exécutifs locaux pour déterminer les secteurs d’activités éligibles aux exonérations d’octroi de mer à l’importation (3).

Ecueil n° 2 : des taux d’impositions trop nombreux

Outre l’utilisation des positions tarifaires, la complexité de ces régimes réside également dans l’existence d’un nombre trop important de taux d’imposition en matière d’octroi de mer et de TGC.

Si l’existence de 4 taux de TGC est d’ores et déjà perçue comme une difficulté en Nouvelle-Calédonie, ce constat est encore plus manifeste pour les DROM où le nombre taux d’octroi de mer varie selon les territoires avec 8 taux à Mayotte, 32 en Guyane, 13 en Guadeloupe, 14 en Martinique et 17 à la Réunion.

La difficulté liée à un nombre important de taux s’illustre lors de la détermination du taux applicable à une opération donnée. Or plus il y a de taux, plus les possibilités de commettre des erreurs sont importantes. A ce propos, Lionel BAUVALET, chargé de mission à la Direction des Services fiscaux de Nouvelle-Calédonie, souligne que les questions relatives au périmètre des taux sont la source la plus importante de rescrits adressés à l’administration fiscale (4).

Solutions proposées

La première solution envisagée à la fois pour l’octroi de mer et la TGC est la réduction du nombre de taux. Le bénéfice lié à la réduction du nombre de taux est aisé à percevoir puisque cette solution entraînerait mécaniquement moins de difficulté à identifier le taux applicable.

Concernant plus précisément l’octroi de mer, cette solution pourrait d’ores et déjà être mise en place en supprimant la part régionale de l’octroi de mer. En effet, chaque opération soumise à l’octroi mer supporte – sauf exonération - deux taux, un octroi de mer et un octroi de mer régional, ce dernier étant exclusivement réservé au budget de l’exécutif local. Toutefois, la suppression de l’octroi de mer régional au profit d’un seul et unique octroi de mer, ne saurait avoir pour effet de priver la collectivité de cette recette indispensable à son budget. Au contraire, une nouvelle répartition de cet octroi de mer unique pourrait être envisagée afin de préserver le budget de la collectivité tout en simplifiant la mise en œuvre du régime pour les opérateurs.

En Nouvelle-Calédonie, l’objectif de simplification conduit même à évoquer la mise en place d’un taux unique de TGC en lieu et place des 4 taux existants, qui ne saurait en tout état de cause être envisagé sans une réforme globale de la fiscalité Calédonienne.

Quelle que soit la solution privilégiée, il ne faudra pas occulter que la réduction du nombre taux, voire la mise en place d’un taux unique, sont des solutions qui conduisent inévitablement à d’autres difficultés. Parmi celles-ci, on peut évoquer le niveau des nouveaux taux qui seraient choisis. En effet, selon que ces taux soient plus élevés ou moins élevés que ceux actuellement en vigueur, ils pourront impacter à la hausse ou à la baisse les recettes fiscales des collectivités. De même, on peut penser que la création de nouveaux taux plus élevés, serait répercutée sur le prix de vente des marchandises et réduirait d’autant le pouvoir d’achat des consommateurs.

Ecueil n° 3 : la détermination du seuil de franchise

L’octroi de mer et la TGC comportent tous deux un seuil de franchise, c’est-à-dire un seuil de chiffre d’affaires en dessous duquel un opérateur n’est pas soumis à la taxe. Ce point est d’autant plus intéressant que ce seuil a été de nouveau modifié par la décision du Conseil du 7 juin 2021 (5) relative à l’octroi de mer, pour être ramené à 550 000 euros en lieu et place des 300 000 euros actuellement en vigueur.

L’objectif du relèvement du seuil est surtout d’exclure de l’octroi de mer, les petits opérateurs pour lesquels l’assujettissement à la taxe représente une charge administrative et fiscale importante, pour un rendement budgétaire relativement faible pour la collectivité. En écartant les plus petites entreprises du champ d’application de l’octroi de mer, la réforme tend aussi à accroître leur compétitivité face aux produits importés en réduisant la charge fiscale et administrative supportée par les plus petites entreprises locales.

En Nouvelle-Calédonie où les seuils sont beaucoup plus élevés que ceux de l’octroi de mer, la question de l’abaissement du seuil apparait au contraire comme une solution pouvant générer un gain financier pour le budget de la collectivité. Outre cet aspect budgétaire, l’abaissement du seuil est aussi un moyen de garantir la neutralité de la TGC en élargissant de facto le nombre d’entreprises susceptibles d’exercer le droit à déduction au titre de la TGC supportée en amont. Néanmoins, l’élargissement de l’assiette de la TGC par l’abaissement du seuil de franchise, ne doit pas faire occulter la complexité administrative qui en résulterait pour les nouveaux assujettis, comme cela a été le cas lors de l’abaissement du seuil d’assujettissement à l’octroi de mer.

Solution proposée

En matière de seuil, la solution reste encore de déterminer celui qui saura concilier l’objectif budgétaire avec la simplification pour les opérateurs économiques et la protection des entreprises locales.

Ecueil n° 4 : la protection et le développement des activités locales de production

Enfin, il est encore intéressant d’évoquer l’objectif commun de l’octroi de mer et de la TGC, en ce qu’ils tendent à protéger les activités dites de « production locale », fortement concurrencées par les importations.

En effet, qu’il s’agisse de l’octroi de mer ou de la TGC, chacun de ces régimes comportent des dispositions spécifiques en faveur des activités de production locale, afin de compenser les surcoûts auxquels celles-ci sont confrontées, et qui affectent leur compétitivité vis-à-vis des produits importés.

Ces régimes se traduisent de part et d'autre par des exonérations spécifiques aux activités de production locale, de même que par une plus forte taxation des produits importés qui trouvent leur équivalent dans des produits locaux qui seront dès lors moins imposés voire exonérés.

En pratique, l’efficacité de ces dispositifs s’apprécie différemment selon les produits et les secteurs d’activités concernés. Qu’il s’agisse de la Nouvelle-Calédonie ou des DROM, l’analyse des régimes met en exergue une protection inégale de la production locale selon le secteur d’activité observé, et parfois même entre les entreprises d’un même secteur d’activité. En effet, lorsque l’on s’intéresse aux exonérations sectorielles d’octroi de mer à l’importation, il est possible de constater que certaines exonérations peuvent être accordées à une entreprise et refusées à une autre qui appartient pourtant au même secteur d’activité que la première.

Néanmoins, un constat unanime réside de part et d’autre dans le fait que la suppression pure et simple des différentiels de taxation en matière d’octroi de mer et de TGC, entre les produits importés et ceux issus des activités locales de production, aurait un impact négatif certain sur la compétitivité des opérateurs économiques locaux.

Enfin, outre les interrogations liées à l’efficacité de ces dispositifs, il est intéressant de constater que l’octroi de mer et la TGC sont également confrontés à une autre difficulté commune, liée cette fois à la définition même d’activité de « production », activité qu’il s’agit précisément de protéger. Pourtant, en dépit de l’insécurité juridique et des charges administratives engendrées par la sémantique, les deux régimes persistent à conserver la notion d’activité de « production locale » pour construire un dispositif à même de protéger les secteurs les plus exposés à la concurrence extérieure.

Solutions proposées

La principale difficulté des producteurs locaux étant leur compétitivité vis-à-vis des marchandises importées, la Nouvelle-Calédonie pourrait envisager une réforme globale de la fiscalité au-delà de la seule TGC, afin d’influer sur les différents leviers à l’origine du manque de compétitivité.

Concernant la définition des activités de production, on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité d’abandonner la notion d’activité locale de production, au profit d’un paradigme différent. Ainsi, à l’instar de la solution consistant à remplacer les codes douaniers par des codes d’activité économique, la notion d’activité de production pourrait elle aussi être abandonnée au profit des codes d’activités économiques. Cette solution aurait le double avantage de la lisibilité pour les opérateurs et du ciblage de la politique de développement économique souhaitée pour le territoire.

Ainsi, quelles que soient les solutions envisagées lors de la réforme de la TGC ou de la transposition de la décision du Conseil dans la prochaine loi relative à l’octroi de mer, il apparaît inévitablement que ces deux réformes gagneraient fortement à s’inspirer l’une de l’autre.

Par Me Leilla LECUSSON

Avocat fiscaliste – Barreau de Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy

lecussonavocat.com 

Annotations :

(1)   Document de travail des services de la Commission accompagnant le document : Proposition de décision du Conseil relative au régime de l’octroi de mer dans les régions ultrapériphériques françaises et modifiant la décision n° 940/2014/UE – Journal officiel du 3 mars 2021.

(2)   Compte rendu intégral des débats de la Commission plénière – XIVème séance du Jeudi 7 janvier 2021.

(3)   Document de travail de la Commission précitée, note n° 2.

(4)   Compte rendu intégral des débats de la Commission plénière – XIVème séance du Jeudi 7 janvier 2021.

(5)   Décision (UE) 2021/991 du Conseil du 7 juin 2021 relative au régime de l’octroi de mer dans les régions ultrapériphériques françaises et modifiant la décision n° 940/2014/UE.