EXPERTISE. Féminicides en Outre-mer : Que comprendre ? par Pierre-Yves Chicot

EXPERTISE. Féminicides en Outre-mer : Que comprendre ? par Pierre-Yves Chicot

Pierre-Yves Chicot, Maître de conférences de droit public, consultant en politiques publiques et avocat au barreau de Guadeloupe, apporte dans cette expertise ses clés de compréhension du féminicide en Outre-mer. Il met notamment en exergue la dominance matriarcales des sociétés ultramarines, l’occidentalisation de celles-ci et l’irrationnel sentiment de faiblesse du « sexe fort » qui « a peur de perdre sa place de premier ».

Il est un principe machiste sordide qui structure les collectivités ultramarines, notamment aux Antilles et en Guyane : « attachez vos poulettes, je lâche mes coqs ». Ce principe est curieusement l’œuvre de mères s’adressant à d’autres mères. Cette déclaration a pour effet d’imputer aux filles l’entière responsabilité de tous les errements du garçon, s’il agresse, s’il viole ou tout simplement s’il y a gestation.

Les hommes peuvent ainsi grandir, croyant ainsi que tout leur est permis dans la relation à la femme qu’ils entretiennent, considérée comme un faire à valoir ou un second. En tout état de cause, il établit à l’origine un rapport hiérarchique entre celui qui doit être sa compagne d’un temps court ou long. Ceci étant, dans le même temps, sa mère est institutionnalisée, voire même sacralisée.

La relation asymétrique qu’il établit avec la conjointe à son profit est une relation tout aussi asymétrique avec sa mère mais au profit de cette dernière. Cela s’explique vraisemblablement par le fait que les sociétés ultramarines sont à dominante matriarcale. Les femmes sont très fréquemment des chefs de famille jouant à la fois courageusement le rôle de père et de mère. La conjointe, l’épouse, la compagne, la copine ne reçoit pas toujours la même onction de la mère admirée alors même que ces dernières ont vocation à être mère ou le deviennent réellement.

Tout aussi paradoxal, les mères qui peuvent légitimer peu ou prou les violences conjugales perpétrées par le garçon ou alors les mères qui vont minimiser ces mêmes violences lorsque leurs filles leur confesseront pareil forfait. Il est même possible qu’une mère explique à sa fille qu’il n’est pas outrecuidant que son compagnon ou mari lui inflige ce qu’elle va qualifier de petite calotte.

Mais qu’en est-il des gifles plus imposantes ou des atteintes répétées à son intégrité physique ? Si ces mères ne vont pas dissuader à la dénonciation de ces faits délictueux, elles sont susceptibles de mettre en balance la conservation ô combien prisée du statut social de femme mariée avec le climat conflictuel familial qui fait de la femme une victime quasi-permanente.

L’Outre-mer, une société occidentalisée

Peut-on valablement établir un distinguo entre les sociétés ultramarine et la société de la France hexagonale à propos de ce sujet des violences faites femme pouvant aller jusqu’au féminicide, c’est-à-dire attenter à la vie d’une femme ? De manière fondamentale, on serait incliné à répondre par la négative car les sociétés ultramarines, singulièrement les collectivités de droit commun (Guadeloupe, Guyane, Martinique, La Réunion) arrimées à la France sont, à bien des égards également, des sociétés occidentales.

Les sociétés occidentales sont aussi marquées par le sexisme, le machisme. Qui peut nier que la revendication d’égalité est l’apanage des mouvements féministes ? L’évolution de la législation démontre que les droits accordés aux femmes sur des sujets essentiels sont très récents. Jugeons-en par le droit de vote accordé aux femmes qui date de 1945. De même qu’il conviendra d’attendre le 1er juillet 1965 pour que les femmes mariées disposent de leur argent sans assentiment du mari. L’absence d’équidistance pour ce qui concerne la place de l’homme et de la femme dans la société demeure encore, hélas, réelle.

Azadeh Kian rapporte dans son « Introduction : genre et perspectives post/dé-coloniales » que « les théories féministes postcoloniales et décoloniales ont, d’une part, racialisé la théorie féministe (blanche), et, d’autre part, intégré les préoccupations féministes dans les conceptualisations du colonialisme et du postcolonialisme ».

Les politiques antiracistes féministes sont nées de la reconnaissance de la diversité des femmes et de leurs campagnes anti-impérialistes. Dévoilant la puissance d’agir (agency) des femmes noires dans les luttes contre l’esclavage et l’oppression, les théoriciennes féministes noires parmi lesquelles Hazel Carby pour qui « la théorie féministe soutient et reproduit une hiérarchisation desraces », ont exigé que la théorie féministe blanche occidentale affronte son racisme et son stéréotype racial. 

Les féministes post/dé-coloniales invitent ainsi les femmes à se voir et à voir leurs expériences et leur savoir comme situés, socialement construits, marqués par la race, la classe, le genre, la sexualité ou l’ethnicité. Azadeh Kianintroduit ainsi la proximité entre les deux sociétés, celle de la « métropole » et celle de la « périphérie » faisant de la femme un acteur social en quête de sa souveraineté. 

Les meurtres de femmes : l’expression de la faiblesse masculine

Dans les Outre-mer les meurtres de femmes par leur conjoint, mari ou compagnon n’a pas un autre sens que la révélation de la faiblesse masculine. Ce sens-là, peut être indubitablement saisi par l’universel. Dans bien des endroits sur la planète, au-delà des différences des cultures et des confessions religieuses l’homme est présenté comme le sexe fort et la femme le sexe faible. Cet exposé particulièrement simpliste laisse penser que la force en tant que telle est exclusivement physique. Ce qui est bien entendu un leurre. 

Lorsqu’un individu mâle attente à la vie d’une femme, il exerce une force physique pour exprimer son désarroi, sa jalousie, sa prétendue toute puissance, son besoin d’exclusivité. Il sombre dans une irrationalité (ce qui est contraire à la raison) car précisément il est mu par l’énergie unique de son physique pour convaincre, pour soumettre, pour dominer.

Or, il existe bien une différence entre force, énergie et puissance. Si l’homme a tendance, en particulier dans la relation sentimentale biaisée à avoir recours uniquement à la force et la revendiquera, la femme convoquera davantage l’énergie et la puissance en faisant reposer sa stratégie de vie principalement sur le mental. Il n’est donc pas surprenant aujourd’hui dans une société qui accorde le primat au prestige et au matériel d’assister à une forme de généralisation progressive de la féminisation du pouvoir. 

L’homme est non seulement déstabilisé dans son univers micro-social (le foyer) mais aussi dans son univers macro-social (la société, bref hors de chez lui). Les hommes ont peine, voire souffrent d’assister à l’inversion voire le délitement des schémas traditionnels. 

Dans l’espace micro-social, la revendication, par la femme, d’équidistance à défaut d’égalité, peut-être génératrice de conflit car l’homme reste arc-bouté sur des représentations anciennes. La proclamation de la femme comme son bien. Et, le droit canonique n’y est pas étranger : « femmes soyez soumises à vos maris » ; « l’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils ne formeront qu’une seule chaire ». Dans cet esprit, c’est sempiternellement la femme qui doit obtempérer aux prescriptions du pater familias. Dans le cas contraire, la coercition pouvant confiner à l’atteinte à l’intégrité physique qui peut engendrer la mort.

Dans tous les cas de figure, les coups portés aux femmes entraînant leur mort ou pas procède d’une démarche de chosification qui en philosophie signifie : « fait de rendre semblable aux choses ; de réduire l’autre à l'état d'objet ». Les féminicides ne sont pas bien entendu une pratique ultramarine. C’est malheureusement un fait universel car l’homme a peur de perdre sa place de premier, alors qu’il n’en est rien. Il n’existe pas de premier ou de second mais des individus qui sont désireux de construire ensemble avec le merveilleux acte qui consiste, en confondant leurs corps à engendrer une progéniture.

La société paisible et harmonieuse est forcément une société mixte où les femmes et les hommes n’entretiennent pas un rapport belliqueux de conservation de position de pouvoirs ou de recherche de conquêtes de pouvoirs. 

Pierre-Yves Chicot

Maître de conférences de droit public – Habilité à Diriger les Recherches

Consultant en politiques publiques

Avocat au Barreau de la Guadeloupe, Saint-Martin et Saint-Barthélemy