En face du Venezuela, les pêcheurs de Trinité-et-Tobago pris entre deux feux

© DR

En face du Venezuela, les pêcheurs de Trinité-et-Tobago pris entre deux feux

A un jet de pierre du Venezuela, les pêcheurs du petit archipel de Trinité-et-Tobago racontent leur "peur" de sortir en mer, face à la montée des tensions entre les deux pays historiquement proches, avec pour toile de fond le déploiement militaire américain dans les Caraïbes.

 

Déjà houleuses depuis quelques mois, les relations entre Caracas et son petit voisin anglophone de 1,4 million d'habitants, autrefois neutre mais désormais aligné sur Washington, se sont encore tendues avec l'arrivée fin octobre d'un navire de guerre américain à Port-d'Espagne, la capitale trinidadienne.

Un affront pour le gouvernement de Nicolas Maduro, qui accuse les États-Unis d'avoir envoyé des navires dans la région dans le but de le renverser et non comme l'assure Washington, pour lutter contre le trafic de drogue.
A Cedros, village situé sur une péninsule à l'extrême sud-ouest de l'île de Trinité, plusieurs pêcheurs discutent installés dans des hamacs sur la plage, à l'abri du soleil mordant. En ce milieu de matinée, leurs barques chargées de filets sont également au repos.
Les côtes vénézuéliennes, à une dizaine de kilomètres à peine, sont visibles à l'oeil nu. Quinze minutes à bord d'un bateau puissant suffisent à les rejoindre.
Vêtu d'un simple short, Kendrick Moodee, 58 ans, explique que lui et ses camarades se montrent "plus prudents" car "les garde-côtes vénézuéliens sont un peu tendus".
Quand les relations entre les deux pays étaient encore cordiales, les Trinidadiens avaient pour habitude d'aller dans les eaux plus poissonneuses, côté vénézuélien.

Une habitude désormais remise en cause. Plusieurs pêcheurs racontent à l'AFP que les garde-côtes vénézuéliens repoussent violemment les embarcations dont les filets trempent côté vénézuélien. Les coups et l'extorsion pour échapper à l'interpellation se sont accentués.
En conséquence, la pêche se fait maigre et l'argent manque.

 "Tout peut arriver" 

"Les choses commencent à devenir plus difficiles", témoigne Rakesh Ramdass, un pêcheur de 42 ans.
Il admet avoir "peur de sortir" en mer mais continuer. "C'est tout ce que nous avons pour gagner un dollar" (trinidadien, la monnaie locale), explique ce père de quatre enfants. Il assume de "prendre des risques": "Quand vous sortez, tout peut arriver".
Les gardes-côtes trinidadiens aussi mènent la vie dure aux pêcheurs dans une zone connue pour son trafic de drogue, d'armes et d'êtres humains, avec notamment le passage de nombreux migrants vénézuéliens.
Rakesh Ramdass évoque la présence de "bandits" auxquels il se défend d'appartenir.

Après la première frappe américaine sur une embarcation soupçonnée de narcotrafic en septembre plus au nord dans les Caraïbes, la Première ministre trinidadienne Kamla Persad-Bissessar avait affirmé que "l'armée américaine devrait tuer violemment" tous les trafiquants.
Depuis, Washington a revendiqué de nombreuses frappes dans les Caraïbes et le Pacifique, faisant au moins 67 morts. Deux Trinidadiens auraient été abattus, selon la famille de ces derniers, des morts que le gouvernement local refuse de confirmer.

 "A cran"

Fidèle soutien de Donald Trump, Mme Persad-Bissessar, en poste depuis mai, a multiplié les déclarations hostiles au pouvoir de Nicolas Maduro ces dernières semaines.
Dans ce contexte, les deux pays sont "à cran". "Tout le monde devient suspect, même les simples pêcheurs", relève un diplomate occidental sur l'archipel, interrogé par l'AFP.
Ces derniers "se retrouvent sous le feu croisé des marines venant des deux côtés" et "la vie économique normale se trouve perturbée".
A Icacos, village près de Cedros, Alexsi Soomai, 63 ans, assure que les pêcheurs comme lui prennent moins la mer.
"Avant, des bateaux sortaient la nuit, 20, 30 bateaux pour pêcher le maquereau", contre à peine cinq maintenant, décrit ce Vénézuélien, installé depuis plus de 40 ans sur l'archipel trinidadien.
Seules quelques embarcations "sortent en journée". "Mieux vaut prévenir que guérir", conclut-il.
Icacos est le point d'arrivée de nombreux Vénézuéliens sans papiers fuyant la misère dans leur pays.
A deux pas de la plage, un hameau aux maisons faites de bois récupéré abrite plusieurs familles, dont celle de Yacelis Garcia. Cette Vénézuélienne indigène de la communauté warao, mère de cinq enfants, y vit depuis six ans.
Dans son pays, "parfois nous mangions, parfois pas", raconte-t-elle.
Son beau-frère Juan Salazar, également autochtone, les a rejoint il y a deux ans. Plusieurs de leurs proches vivent avec eux dans une bicoque sommaire d'une seule pièce, sous une chaleur étouffante.
Juan affirme vivre "uniquement de la pêche" et ne pas s'aventurer loin du rivage, de "peur" que les autorités vénézuéliennes lui mettent la main dessus et le ramènent dans son pays.

 

Avec AFP