De Mayotte à la Guyane, de la Guadeloupe à la Polynésie, les réalités n’ont rien de comparable. Pour Renaud Camus, Directeur Général des activités de SUEZ en Outre-mer, c’est précisément là que se joue la valeur ajoutée des entreprises de l’eau et de l’assainissement : du sur-mesure technique, contractuel et financier, au plus près des collectivités et des habitants. Dans cet entretien pour Outremers360, il détaille des projets très concrets comme la lutte contre l’intrusion d’eau salée dans les nappes phréatiques en Guyane, l’optimisation des réseaux aux Antilles, le captage de lentilles d’eau douce sur les motu en Polynésie, le traitement des matières de vidange à Tahiti ou à Cayenne, et alerte sur une équation complexe où l’évolution des usages devient un levier clé face à des coûts de production plus élevés, des investissements massifs, et l’accompagnement des ménages pour une meilleure maîtrise de leur facture d’eau.
S’adapter à des territoires… et à des communes
Après 25 ans dans l’Hexagone, Renaud Camus, qui a pris ses fonctions de directeur général des activités de SUEZ en Outre-mer il y a un an, dit avoir choisi l’Outre-mer pour retrouver une forme de réalité première : « Notre mission reprend tout son sens dans les Outre-mer… on revient à la base de nos métiers. Quand on travaille en Outre-mer, on parle parfois de donner accès à l’eau pour la première fois à des habitants. »
Son quotidien : composer avec des écarts considérables entre territoires, mais aussi à l’intérieur d’un même archipel. « Même sur un même territoire ultramarin, en Polynésie par exemple, entre Bora Bora et les Tuamotu, ça n’a absolument rien à voir, ils n’ont pas les mêmes besoins », résume-t-il. Cette diversité impose d’adapter les solutions « sur la technique, sur les enjeux, mais aussi d’un point de vue contractuel et financier ». Car les investissements pour « remettre les infrastructures au niveau » se comptent, selon lui, en centaines de millions d’euros et s’inscrivent sur des décennies.
Centres de pilotage et efficacité opérationnelle
Pour améliorer la performance des services d’eau et d’assainissement au quotidien, les équipes s’appuient sur les recommandations des centres de pilotage VISIO du Groupe, « les cerveaux de l’exploitation » – qui orchestrent interventions et maintenance : « C’est eux qui ordonnancent toutes les activités, les interventions sur le terrain et dans les usines pour être le plus efficace possible. »
SUEZ revendique un ancrage fort. Alors que SUEZ compte plus de 1 300 agents en Outre-mer, « environ 99 % » sont des d’emplois locaux. Pour Renaud Camus, l’enjeu est double. Il s’agit de concevoir des installations adaptées aux besoins locaux et aux compétences disponibles sur place, tout en accompagnant la montée en compétences des équipes locales.
Aux Marquises, par exemple, de petites unités d’eau potable devront être exploitables localement, avec une maintenance ponctuelle assurée par des techniciens spécialisés formés sur place. En Polynésie, dans le cadre d'un dispositif de « plomberie solidaire », des jeunes du territoire sont formés et encadrés pour diagnostiquer les installations d’eau des foyers, réaliser au besoin de petites réparations, et accompagner les familles vers une consommation plus efficace et responsable.
Mais au-delà des outils et des compétences, l’enjeu reste d’ampleur : assurer une continuité de service malgré des infrastructures souvent vieillissantes, des contraintes géographiques fortes et des aléas climatiques de plus en plus marqués.
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En Guyane : l’intrusion saline, symptôme du dérèglement climatique
Le changement climatique se traduit déjà, sur le terrain, par des effets très concrets : « Les sécheresses de plus en plus récurrentes abaissent le niveau des nappes phréatiques sous le niveau de la mer, ce qui peut favoriser l'intrusion d'eau salée dans la nappe. » Résultat : lorsque cela se produit, l’approvisionnement en eau potable pour les habitants est compromis. SUEZ travaille avec les communes sur ce sujet, tout en citant aussi des problématiques de qualité (dont le suivi des taux de trihalométhanes (THM) et de l’aluminium) et la préparation d’un plan d’action pour début 2026.

Pallier la vétusté des réseaux aux Antilles
En Guadeloupe et en Martinique, Renaud Camus insiste : « On n’a pas de problème de ressource… en Guadeloupe, on a à peu près deux fois plus d’eau disponible qu’en Hexagone, ramené au nombre d’habitants. » Le nœud, ce sont les réseaux : vétusté, rendements, investissements lourds à étaler dans le temps. « Ça ne se réglera pas en un an, ni en dix ans, mais en plusieurs décennies. »

En Polynésie : rareté locale et assainissement, derrière la carte postale
En Polynésie, les réponses varient selon les îles. À Bora Bora, SUEZ dimensionne des ouvrages pour capter des « lentilles d’eau douce » en surface de certains motu, afin de « limiter la pression sur la ressource ». Mais c’est surtout sur l’assainissement que le diagnostic devient probant. À Tahiti, les fosses septiques dominent largement par rapport au réseau collectif, et les vidanges insuffisamment maîtrisées engendrent une pollution diffuse qui atteint le littoral.
Aujourd’hui, ces volumes « finissent dans le milieu naturel », faute de solution de traitement, pour une quantité annoncée de 15 000 m³ par an. Un projet de création d’une aire de traitement soutenu par l’ADEME devrait permettre de changer la donne en collaboration avec la Communauté de Communes Terehēamanu.

Mieux consommer : la pédagogie et les outils, du compteur aux alertes
Autre sujet, souvent sous-estimé : la consommation de l’eau. « Les quantités d’eau consommées par les usagers sont plus importantes que dans l’Hexagone », explique Renaud Camus. A Nuku Hiva, où l’eau potable n’existe pas encore à l’échelle du réseau, « un foyer consomme 40 fois ce que consomme un foyer dans l’Hexagone » faute de comptage.
Plusieurs raisons sont avancées, le climat bien sûr, mais également un « retard très important d’accompagnement des foyers ». Pour y remédier, Renaud Camus avance plusieurs solutions éprouvées : compteurs intelligents, alertes de surconsommation, applications de suivi, dispositifs d’accompagnement. Autant de moyens permettant une maîtrise des usages et d’éviter de surdimensionner l’outil et la facture.
Le mur financier de 2,3 Mds € d’investissements… et une facture déjà lourde
Renaud Camus s’appuie sur une estimation du Plan Eau DOM qui évalue à 2,3 milliards d’euros les investissements nécessaires pour assurer des services d’eau et d’assainissement durables et performants à l’échelle des Outre-mer. Qu’il soit porté par la collectivité ou par l’opérateur, l’amortissement de ces investissements se répercutent sur la facture des usagers, rappelle-t-il.
Or, l’équation sociale complique tout. L’eau « coûte plus cher à produire et à distribuer » en Outre-mer pour des raisons liées à l’insularité, la topographie, les conditions climatiques et le coût des approvisionnements Le poids de la facture d’eau dans le revenu des ménages pour les foyers précaires, est un indicateur clé pour SUEZ. Il représente environ 1,4 % en Hexagone, contre 3 % à La Réunion et 6 % en Guyane. Il faut donc résoudre pour l’avenir une équation complexe, concilier des besoins en investissements massifs avec une facture acceptable pour les foyers.
Le modèle « l’eau paye l’eau » à bout de souffle ?
Renaud Camus pointe une limite structurelle, le principe « l’eau paie l’eau », où les recettes du service constituées des factures aux consommateurs doivent équilibrer les charges d’exploitation et d’investissement, sans possibilité de financement croisé avec d’autres budgets. « En Outre-mer, [le modèle l’eau paye l’eau] ne marche déjà plus. On est arrivé au bout d’un cycle… il va falloir trouver des solutions. » souligne-t-il.
Des pistes émergent notamment les aides ciblées comme les « chèques eau » en Guyane, ou des tarifications plus incitatives et plus protectrices pour les ménages vulnérables. Dans ce contexte, la transition ne repose plus uniquement sur l’infrastructure, mais sur une gestion plus fine des usages. La consommation maîtrisée de l’eau n’est plus une option mais une nécessité.























