Cédric Bernia : « Au SMA, on apprend à marcher au rythme de ceux qu’on accompagne ». Du SMA à Alstom, itinéraire d’un ancien officier martiniquais au parcours hors du commun

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Cédric Bernia : « Au SMA, on apprend à marcher au rythme de ceux qu’on accompagne ». Du SMA à Alstom, itinéraire d’un ancien officier martiniquais au parcours hors du commun

Comment passe-t-on des quartiers de l’Essonne aux zones sensibles d’Afrique centrale ? De la discipline militaire à la sûreté d’un grand groupe industriel ? Rien, ou presque, ne prédisposait Cédric Bernia à un tel parcours. Et pourtant. De Saint-Cyr aux théâtres d’opérations extérieures, de la formation de jeunes ultramarins au sein du SMA à la direction régionale de la sûreté et de la gestion des risques pour la zone Afrique-Moyen-Orient-Asie centrale chez Alstom, cet ancien officier incarne une ascension rare, forgée par le travail, l’audace et une profonde volonté de transmettre. 

 

Cédric Bernia grandit dans les années 1990 entre Maisons-Alfort et Crosne deux banlieues populaires, au cœur d’un environnement où l’on apprend très tôt que pour s’en sortir, il faut faire mieux avec moins. Son père, employé aux impôts, et sa mère, aide-soignante, tous deux martiniquais, lui transmettent le goût de l’effort et de la rigueur. Élève sérieux mais sans réseau, sans capital économique, il ne se projette pas dans les grandes écoles. Alors il cherche une autre route. Ce sera l’armée.

Saint-Cyr, la première marche vers l’excellence

A 17 ans, Cédric Bernia quitte son quartier pour intégrer le lycée militaire d’Aix-en-Provence, qui propose une classe préparatoire intégrée, gratuite et rémunérée. Un univers radicalement nouveau, peuplé d’enfants d’officiers et structuré par des codes stricts. Il y découvre un monde où l’histoire de France s’écrit autrement : celle de la guerre d’Algérie. C’est un choc, mais aussi une révélation : « Là, je me retrouvais avec des fils de militaires pour qui cette guerre représentait un traumatisme familial, une blessure identitaire. Certains vivaient encore avec ce sentiment de déchirement, comme s’ils avaient perdu une part de leur France. Ça m’a fait prendre conscience de tout un pan d’histoire qu’on ne m’avait jamais transmis. Alors ils m’ont prêté des livres – Pierre Sergent, Schoendoerffer… Et j’ai commencé à comprendre. »

En 2002, il est admis à Saint-Cyr, la prestigieuse école des officiers. Premier Antillais à y entrer depuis plus de dix ans, il s’impose dans un monde qui n’était pas conçu pour lui : « J’étais le seul Noir non étranger de ma promotion », raconte-t-il.  Il apprend l’escrime, l’équitation, le commandement. Il encaisse les tensions, affronte les préjugés, mais avance. Parce que l’armée, pour lui, n’était pas un rêve, mais une stratégie. Et ce pari, il l’a gagné.

« Au SMA on sert la France non pas avec les armes mais par la formation »

Pendant vingt ans, il sert. À la tête d’unités de l’infanterie de marine au Mans, à Montpellier, en Nouvelle-Calédonie, en Côte d’Ivoire. Il encadre des hommes, prend des décisions en zones sensibles, représente la France dans des contextes instables. « Il faut voir le monde pour le comprendre », répète-t-il. Mais c’est à La Réunion, en 2009, que son engagement prend une autre dimension. Affecté au Service Militaire Adapté (SMA) à La Réunion, il est d’abord déçu : « Je voulais continuer à faire la guerre. On m’a dit : tu vas t’occuper des jeunes. » Mais ce qu’il découvre dans le cirque de Salazie le transforme : « On récupérait des jeunes parfois totalement perdus, et en quelques mois, on assistait à des transformations spectaculaires. On a un véritable impact sur eux. On les remet en marche. Et là on sert la France d'une autre manière, pas par les armes, mais par la formation et l'apprentissage. Et c'est tout aussi noble. »

Durant ces deux années, il accompagne plus de 300 jeunes, dont une grande majorité poursuit ensuite une formation ou entre directement sur le marché du travail. « Certains m’écrivent encore, quinze ans plus tard, pour me dire où ils en sont. C’est extrêmement gratifiant. » Au-delà de l’impact sur les jeunes, c’est une expérience qui le transforme lui aussi : plus d’écoute, plus d’empathie, une autre manière de conduire l’humain. Ces qualités lui seront précieuses par la suite, notamment en Afrique, dans ses fonctions de coopération militaire. Pour lui, le SMA est un outil exceptionnel, à la fois social et républicain, mais sous-dimensionné face aux besoins. Il déplore aussi un manque d’investissement durable dans les territoires d’outre-mer : « Il y a une richesse incroyable dans ces territoires qu’on n’exploite pas assez. Il faut des repères, des figures inspirantes. Si tu ne vois personne qui te ressemble, tu n’oses pas emprunter certains chemins. » Un constat qu’il incarne à rebours, lui qui fut l’un des premiers ultramarins à accéder à certains postes de commandement dans l’armée.

Deux ans plus tard, il rejoint l’administration centrale du SMA au ministère des Outre-mer. Il conçoit des formations professionnalisantes pour les jeunes ultramarins, de six à douze mois, avec un taux de réussite impressionnant : près de 70 % de réinsertion durable. Il devient aussi chef de projet sur des dispositifs cruciaux, comme le maintien du diplôme de secourisme SST dans tous les régiments ultramarins où plus de 4 000 jeunes sont formés chaque année.

Cette capacité à « marcher au rythme de ceux qu’on accompagne », comme il le dit lui-même, deviendra un atout décisif lorsqu’il est nommé, en 2017, chef des partenariats militaires au Sénégal. Il y supervise la formation des armées africaines, notamment pour la lutte contre le terrorisme au Sahel. Et c’est son passage par le SMA qui lui donne cette aptitude à savoir former des personnes en difficultés.

Un formateur au Régiment du SMA de La Réunion © SMA

Changer de front, sans changer de cap

À Paris, en 2020, son retour est plus brutal. Son expérience est mal valorisée. Il décide alors de quitter l’uniforme. Mais pas les responsabilités. Pour préparer sa reconversion dans le secteur privé, il intègre l’Executive MBA de KEDGE Business School. Deux années intenses, entre cours, missions militaires résiduelles, et vie de famille. En 2022, il saisit une opportunité chez Alstom et décroche le poste de directeur de la sûreté pour la région Afrique, Moyen-Orient et Asie centrale. Il y dirige une équipe internationale chargée de la protection du personnel dans plus de 20 pays : « Ce n’est plus la guerre, mais c’est un autre front : la sûreté, la stabilité, la gestion de l’humain dans un monde instable. »

Oser prendre des risques

Derrière cette trajectoire hors norme, Cédric Bernia délivre un message sans détour à la jeunesse ultramarine : oser, prendre des risques, quitter sa zone de confort : « Soyez audacieux. Vous êtes capables, vous avez tout ce qu’il faut. Les jeunes d’Outre-mer ont autant de potentiel que les autres, ils ont les compétences, l’intelligence, l’énergie pour réussir. Alors qu’ils n’hésitent pas, qu’ils se lancent. » À celles et ceux qui hésitent, il tend une main bienveillante portée par la conviction qu’avec exigence et discipline chacun peut réussir.

 

EG