Face à l'unilatéralisme et à l'absence de cadre légal aux bombardements américains contre le narcotrafic au large du Venezuela, leurs alliés européens ont fait savoir qu'ils filtraient désormais certains renseignements transmis à Washington, une mesure surtout symbolique.
Depuis le 3 septembre, les Etats-Unis coulent des embarcations qu'ils accusent de transporter de la drogue et ont déployé massivement leurs forces en mer des Caraïbes, faisant planer la menace d'une intervention contre le régime vénézuélien de Nicolas Maduro, qualifié de dictature et d'acteur du narcotrafic.
"C'est vraiment le retour de la doctrine Monroe 2.0", explique un haut gradé français sous couvert d'anonymat, en référence à l'injonction faite aux Européens au XIXe siècle de ne pas se mêler du continent américain et qui a justifié ensuite l'interventionnisme de Washington en Amérique latine au XXe siècle.
Les pays européens ayant des territoires d'outre-mer dans les Caraïbes (Néerlandais, Britanniques, Français) assistent pour l'instant en spectateurs au déploiement américain mais craignent d'en faire les frais, selon plusieurs sources interrogées par l'AFP.
Îles ABC
"Les Néerlandais sont préoccupés pour leurs îles ABC, Aruba, Bonaire, Curaçao, à environ 50 kilomètres des côtes du Venezuela", rappelle le militaire français. Ils "se retrouveraient en première ligne" en cas de guerre, abonde une source militaire européenne. Les territoires ultramarins britanniques et françaises sont elles plus éloignés du Venezuela.
Avec peu d'options face à la détermination de Donald Trump, ces trois pays ont décidé de ne plus partager certains renseignements avec Washington sur cette zone si cela peut entraîner des frappes, à la légalité contestée, en mer.
"Nous sommes particulièrement vigilants face à la politisation de nos services et aux violations des droits de l'Homme", a déclaré Erik Akerboom, directeur du service de renseignement et de contre-espionnage civil des Pays-Bas dans le journal De Volkskrant.
"Aucun pays européen et la France non plus, n'enverra, dans la situation présente, des renseignements opérationnels aux Américains s'ils pouvaient fonder une frappe militaire sur un bateau", a déclaré à Radio Caraïbes (RCI) un haut responsable de la police française, Dimitri Zoulas, chef du service de lutte antidrogue OFAST.
Cette position n'a pas été confirmée publiquement par les autorités françaises ou les sources interrogées par l'AFP dans la communauté du renseignement, mais "il est clair à 100% que les Européens ne donnent pas aujourd'hui en conscience un renseignement aux Etats-Unis qui pourrait aboutir à une frappe", explique une source sécuritaire.
Les restrictions sont de mise aussi côté britannique, selon la presse.
Complicité de meurtre ?
"Cela n'affecte pas l'échange global de renseignements, c'est un problème local et spécifique. Et cela s'est déjà produit" par le passé, explique Sir Richard Dearlove, ancien chef du service britannique MI6, qui explique que la position de Londres est avant tout juridique. "Si vous fournissez des informations pour appuyer une exécution extrajudiciaire — disons des informations de ciblage —, selon certaines interprétations du droit international, vous devenez complice de ce meurtre", justifie-t-il.
Mais comment ne pas froisser l'allié américain ? "Avant de dire non aux Etats-Unis et de le faire savoir, on doit réfléchir à deux fois, car ils apportent beaucoup" d'informations à leurs alliés, explique une source d'un service de renseignement européen. Néanmoins, "la CIA comprend parfaitement le problème", tempère Sir Richard.
Concrètement, les Européens ne font plus remonter leurs éventuelles informations au JIATFS, la task force américaine inter-agences pour le Sud, qui alimente en renseignements le commandement américain pour l'Amérique centrale et du Sud (SouthCom). L'apport des Européens dans le travail du JIATFS est très limité, relativise une ancienne militaire américaine qui a travaillé dans la lutte antidrogue dans cette zone.
La retenue des Européens a un effet "théorique car les Etats-Unis n'ont pas besoin de nos informations", abonde la source sécuritaire française. "L'idée que les Etats-Unis ont besoin de nous pour savoir ce qu'il se passe dans les Caraïbes n'a pas de sens", selon la même source, même si les Européens mobilisent des moyens notables pour lutter contre la drogue partant vers l'Atlantique et le Vieux continent.
Comme le résume la source militaire européenne: rendre publique cette décision de filtrer le renseignement, "c'est de la communication stratégique".
Avec AFP























