PORTRAIT. Heimiri, doctorante en neurosciences et première Polynésienne à toucher du doigt les étoiles

©Novespace

PORTRAIT. Heimiri, doctorante en neurosciences et première Polynésienne à toucher du doigt les étoiles

Heimiri Monnier Buchin, 28 ans, vient de réaliser une première pour une Polynésienne : flotter en apesanteur à bord d’un appareil de Novespace, une filiale du Centre national d'Études spatiales (CNES). Cette doctorante en neurosciences a donc touché du doigt les étoiles à l’occasion d’une étude destinée à mieux comprendre les raisons pour lesquelles les astronautes rencontrent des difficultés de vision à leur retour sur la Planète bleue. « C’était au-delà de mes espérances. C'est indescriptible comme sensation. Tu n'as plus du tout de poids et tu flottes au gré de tes mouvements. C’est quelque chose que j'avais toujours rêvé de faire », confie la jeune femme à la tête bien faite et au caractère bien trempé. Portrait de notre partenaire TNTV.

Des étoiles plein les yeux. Ce mercredi, Heimiri Monnier Buchin a vécu une expérience à nulle autre pareille. Un vol parabolique à bord d’un « Airbus A310 Zéro G » de Novespace, une société rattachée au Centre National d’Etudes Spatiales (CNES), qui permet de reproduire les effets de l’apesanteur tels que ceux que rencontrent les astronautes dans l’espace. « C’est la plus belle expérience de ma vie. Je suis très, très, très contente d’avoir pu la faire. Ce sont des images et une sensation inoubliables », confie-t-elle à TNTV encore sous le coup de l’émotion.

Native de Tahiti, Heimiri Monnier Buchin a passé la majeure partie de son enfance dans l’Hexagone où son père était employé chez Air France. Mais son attachement à la Polynésie l’a conduit à y revenir pour obtenir, à l’UPF, une licence en sciences de la vie. Elle a ensuite enchaîné avec un Master en neurosciences à l’université d’Amiens et, il y a trois ans, elle s’est lancée dans une thèse de doctorat qu’elle s’apprête à achever.

Dans ce cadre, elle a été repérée par le laboratoire CHIMERE où elle mène actuellement ses travaux de recherches. « Je m’intéresse au système crânio-spinal. Chez l’homme, cela concerne le cerveau, la moelle épinière et tous les flux qui sont apparentés aux deux. Je regarde la dynamique dans ce compartiment. (…) Je suis capable de pouvoir voir tout ça grâce aux IRM – les Imageries par résonance magnétique, ndlr- », explique la jeune chercheuse. Un domaine « encore peu maîtrisé », qui la « fascine ».

« On ne connaît pas encore très bien tout le système, comment il fonctionne. Il y a des pathologies qu’on a du mal à diagnostiquer et à soigner. C’est tout l’intérêt de ma thèse : pouvoir mieux comprendre le système pour améliorer les diagnostics et la prise en charge des malades », ajoute-t-elle en citant, à titre d’exemple, la maladie d’Alzheimer dont les symptômes sont souvent confondus avec ceux d’autres pathologies.

Cette spécialisation dans l’étude des flux cérébraux a attiré l’attention d’un ingénieur s’intéressant à un mal dont souffrent les astronautes de retour de longues missions dans l’espace : un défaut de vision. « Il fallait apporter des connaissances en neurophysiologie que cette personne n’a pas. En faisant quelques recherches, elle a découvert notre laboratoire. Elle a donc contacté mon directeur pour que l’on puisse mettre en place une collaboration. On a formé un groupe de quatre étudiants et on a monté le projet de A à Z en levant des fonds », précise Heimiri.

Et pour réaliser ses expériences dans des conditions proches de celles rencontrées dans l’espace, elle a donc embarqué à bord d’un avion de Novespace dont Thomas Pesquet, également directeur général de la société, est régulièrement aux commandes. Un vol loin d’être de tout repos puisqu’elle a enchaîné 31 paraboles avec, à chaque fois, 22 secondes d’apesanteur. Mais elle a aussi subi les affres de la gravité, son corps encaissant 2G (soit deux fois son poids) avant et après chacune d’elles.

« J’étais quand même stressée avant de monter dans l’avion, mais c’était du bon stress. Je voulais que l’expérience réussisse. Une fois que les paraboles commencent, on vole. Je n’ai pas été malade. C’était au-delà de mes espérances. Je ne m’attendais pas à le vivre aussi bien. C’est indescriptible comme sensation. Tu n’as plus du tout de poids et tu flottes au gré de tes mouvements. C’est quelque chose que j’avais toujours rêvé de faire. Mon rêve se réalise », s’enthousiasme la jeune femme. Elle s’est renseignée pour savoir si d’autres Polynésiennes, ou Polynésiens, avaient déjà vécu cette expérience avant elle et, « apparemment », ce n’est pas le cas : « A ma connaissance, je suis la première ».

Pour ce qui est de l’expérience réalisée en vol, grâce à « Pumpy », un cerveau artificiel conçu à l’aide d’une imprimante 3D, elle s’est avérée plus que concluante. « Ce qu’on voulait, c’était au moins avoir une différence de pression en fonction des gravités que l’on avait. Finalement, on a fait encore mieux parce qu’on a obtenu des différences de pression en fonction de la gravité, mais aussi en fonction d’autres paramètres qu’on a réglés. Il va y avoir maintenant un gros travail de post-traitement pour en tirer toutes les données. Mais ça a extrêmement bien fonctionné.  On a récolté toutes les datas dont on avait besoin. C’est assez rare que des expériences en vol parabolique fonctionnent si bien.  Quand tu n’as qu’un seul vol, soit tu réussis, soit ton expérience échoue », dit-elle.

Cet avant-goût des étoiles a donné des envies d’espace à Heimiri. Mais une carrière d’astronaute lui semble peu accessible. « Lors du dernier recrutement de l’Agence Spatiale Européenne, il y a eu entre 20 000 et 25 000 candidatures pour 3 ou 4 places seulementEt c’est quand même un environnement de grosses têtes, entre guillemets », souligne-t-elle.

Et la jeune femme de poursuivre : « Je n’ai absolument pas la prétention de vouloir devenir la nouvelle Thomas Pesquet. Être astronaute, c’est ce que les gens voient quand on parle de l’espace, mais, en fait, il y a un milliard de possibilités derrière. La recherche dans le spatial ne se résume pas qu’aux astronautes. Donc, j’ai grandement envie de poursuivre dans une branche de recherches dans ce domaine parce que c’est vraiment fascinant. Maintenant, on verra ce qui se passera, si mon futur me le permet ou pas ».

Ces travaux en neurosciences sont, en tous les cas, d’ores et déjà reconnus par la communauté scientifique. Le mois dernier, elle a ainsi participé à un congrès international portant sur l’hydrocéphalie et 4 de ses « abstracts » (un résumé d’une publication scientifique) ont été retenus par le comité. « C’est extrêmement rare », souligne celle qui a pu présenter ses recherches à « des experts internationaux dont certains qui travaillent dans le spatial » : « Et là, je viens de vivre ce vol. C’est un peu ma récompense, la cerise sur le gâteau après ces 3 années intenses ».

Pour se préparer à l’apesanteur, Heimiri a pu compter sur les conseils de l’astronaute Jean-François Clervoy qui a effectué trois missions spatiales avec la NASA, l’agence américaine. « C’est une personne qui est très accessible. Un amour. En plus, il vient sur son temps libre pour les campagnes parce que c’est un passionné. Il veut voir ce qu’on fait ». Quant à son avenir, la jeune chercheuse désire, pour l’heure, s’épanouir « professionnellement comme c’est le cas aujourd’hui ».

Un retour en Polynésie parait, en revanche, peu probable à court terme. « La recherche dans mon domaine, la neurophysiologie, est actuellement très peu développée en Polynésie. J’ai toujours Tahiti dans mon cœur.  Et ça, je ne peux pas l’oublier. Je reste rationnelle en me disant, qu’aujourd’hui, Tahiti ne peut pas m’offrir de poste. Mais si un jour cela peut se mettre en place, je serais ravie de pouvoir appliquer mes recherches à mon peuple.  On ne sait pas de quoi demain sera fait. Il faut toujours persévérer comme je le fais depuis quelques années maintenant ».

Preuve de son attachement viscéral à sa terre d’origine, Heimiri a tenu à arborer l’écusson du drapeau de la Polynésie sur sa combinaison « spatiale ». Des couleurs qui ont flotté haut, très haut, dans le ciel, mercredi.

TNTV