Nouvelle-Calédonie : Volé il y a un an, le crâne du grand chef Ataï reste introuvable

Le mausolée du grand chef Ataï, lors de sa mise en terre en 2021 ©Gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

Nouvelle-Calédonie : Volé il y a un an, le crâne du grand chef Ataï reste introuvable

Restitués à la Nouvelle-Calédonie en 2014, les crânes du guerrier Ataï et de son sorcier ont été volés durant la crise de 2024 dans le caveau où ils reposaient. L'affaire vient d'être classée, mais la famille n'entend pas abandonner.

Enfin inhumé en bonne et due forme le 1er septembre 2021, 147 ans après sa mort, le grand-chef Ataï aura reposé en paix à peine trois ans dans sa terre natale. 

Aujourd'hui, les huit poteaux de bois sculptés entourant le caveau, massifs, attirent toujours l'œil du visiteur, mais le mémorial, profané le 21 juillet 2024 alors que l'archipel était en pleine crise insurrectionnelle, n'est plus qu'une coquille vide. « Pour nous, ça restera quoi qu'il arrive un lieu de mémoire, vivant, là où on a fait un pas les uns vers les autres », veut croire Cyprien Kawa, dont le clan se revendique comme descendant du guerrier.

Cérémonie marquante

Tué en 1878, alors qu'il était entré en rébellion contre la colonisation, sa tête coupée ainsi que celle de son sorcier avaient été expédiées dans l’Hexagone, conservées dans des bocaux d'alcool.Un an plus tard, la société d'anthropologie de Paris confirme dans son bulletin « l'envoi de deux têtes de Canaques. L'un de ces sauvages était Ataï, le chef de l'insurrection néo-calédonienne ; l'autre était un sorcier ».

Le temps passe et la trace des deux dépouilles se perd. Jusqu'à ce que le père de Cyprien, Bergé Kawa, grand-chef de Sarraméa, ne décide dans les années 1990 de les retrouver et de les faire restituer. C'est chose faite en 2014, après plus de 20 ans de combat. Mais, il faudra encore attendre 2021, faute de consensus, pour trouver le lieu susceptible d'accueillir les dépouilles des deux hommes.

Le 1er septembre 2021, 138 ans après leur décapitation, c'est donc au lieu-dit Wéréha, qu'ils sont enterrés en présence de centaines de personnes, au cours d'une cérémonie qui marque les Calédoniens.La profanation et le vol des dépouilles, trois ans après ce rendez-vous historique, marque profondément la famille Kawa, qui avait décidé de faire du mausolée un lieu ouvert.

« Meurtrissure »

L'annonce jeudi du classement sans suite du dossier a ravivé la « colère et l'incompréhension », dit Cyprien Kawa, dubitatif quant aux éléments d'enquêtes dévoilés par le parquet. Selon le procureur de Nouméa, Yves Dupas, « les multiples investigations techniques n'ont pas permis d'orienter la procédure », mais « il ressort de plusieurs renseignements que les deux crânes dérobés, du grand Chef Ataï et de son Dao (sorcier) auraient été dissimulés dans une forêt dans le secteur de Canala, et serviraient lors de rites occultes ».

Une version que ne veut pas croire Cyprien Kawa. « Pour moi, le vol est lié à la crise de l'an dernier », qui a fait 14 morts et ravivé les tensions entre indépendantistes et non-indépendantistes, assure-t-il. « Moi aussi, des gens sont venus me raconter une histoire de sorcellerie, mais on a eu beau enquêter de notre côté par les chemins coutumiers, on est arrivés à rien de ce côté-là », raconte Cyprien Kawa. 

« En disant cela, c'est un peu comme si le procureur accusait les gens de Canala d'avoir tué Ataï une deuxième fois ». Ce sont en effet des supplétifs originaires de cette commune de la côte Est, combattant auprès des soldats français, qui ont décapité Ataï et son sorcier.

A Canala, les gendarmes sont bien venus interroger Gaétan Dohouade, le chef du conseil de district, mais le responsable coutumier, contacté par l'AFP, a bien été en peine de les aider : « On n'a jamais entendu parler d'une histoire de rites occultes par ici », assure-t-il. La famille Kawa souhaite que la justice mène des investigations complémentaires. « On ne peut pas baisser les bras après tout ce qui a été fait pour le retour d'Ataï », explique Cyprien Kawa.

« Cette affaire de vol, c'est une meurtrissure pour la communauté Kanak », estime Jerry Delathière, spécialiste de la révolte de 1878. « En raison de l'histoire d'Ataï, du long combat pour son retour, mais aussi du caractère éminemment sacré des dépouilles et des rites mortuaires ». Dans la culture kanak, les morts sans sépulture hantent en effet les montagnes, les rivières et les forêts, perturbant à jamais la tranquillité des vivants.

Avec AFP