Cinquante détenus du Camp-Est ont saisi le tribunal administratif de Nouméa pour dénoncer des conditions de détention jugées indignes. Surpopulation, insalubrité, manque d’eau et d’activités : les requérants décrivent un quotidien éprouvant. Face à eux, la direction de l’établissement assure que des travaux sont en cours et conteste toute négligence. La décision du juge des référés est attendue lundi. Détails avec notre partenaire Les Nouvelles Calédoniennes.
Le problème est connu. Les conditions de détention au Camp-Est ont été à de nombreuses reprises pointées du doigt depuis plusieurs années par l’Observatoire des prisons, les élus et même le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti lors de sa venue en 2024. Qualifié de "honte de la République", le Camp-Est est de nouveau attaqué devant le tribunal administratif, cette fois par un collectif de cinquante détenus.
Ils ont engagé une procédure collective contre l’administration pénitentiaire pour dénoncer des conditions de vie qu’ils jugent "indignes". Une audience inédite s’est tenue à Nouméa ce mercredi 22 octobre, au cours de laquelle le juge des référés, Hubert Delesalle, a pris connaissance des arguments de Diane Chevreau, la directrice de l’établissement, et de Charly Salkazanov, l’avocat des requérants.
"Indigne à tous les niveaux"
Ce dernier a décrit "l’indignité de toutes les conditions de détention, quasiment à tous les niveaux". Des cellules surpeuplées, parfois occupées par six personnes pour deux lits, "avec des matelas au sol, des draps tendus pour séparer les toilettes du reste de la pièce" et "une obstruction complète de la lumière du jour". Les requérants dénoncent également des problèmes d’hygiène persistants et un accès limité à l’eau. De nombreux détenus vivent dans des "conteneurs maritimes" – des "bâtiments modulaires", se défend la direction – provisoires mais qui, faute de place, sont devenus définitifs.
Si la directrice du Camp-Est a bien reconnu les difficultés liées à la surpopulation carcérale, elle a défendu les efforts entrepris pour améliorer la situation. Diane Chevreau a notamment évoqué un programme de travaux "en cours" jusqu’en 2026 : réfection des blocs sanitaires, remplacement des fenêtres, mise aux normes électriques… Concernant les douches et les latrines, qui sont dans la cellule et qui obligent les détenus à faire leur toilette et leurs besoins sans aucune intimité, elle a indiqué que "des rideaux avaient été installés mais ils sont régulièrement arrachés", et que l’administration procédait à leur remplacement, imputant ainsi implicitement une partie des mauvaises conditions de vie au comportement des détenus eux-mêmes.
Une bouteille d’eau pour quinze jours
La distribution des "cantines" qui permettent aux détenus d’acheter des denrées constitue un autre point de tension. Plus particulièrement en ce qui concerne la quantité de bouteilles d’eau autorisées. Selon les documents fournis à l’audience par l’avocat, les détenus n’auraient droit qu’à une bouteille de 1,5 litre toutes les deux semaines. Insuffisant selon les détenus pour supporter la chaleur, surtout en période chaude.
L’administration s’est dite également attentive aux prescriptions médicales : un seul médecin généraliste est présent du lundi au vendredi, pour 552 détenus (pour 397 places) appuyé par six infirmiers et le service SOS Médecins les nuits et week-ends. Depuis 2024, un travail de "rationalisation" des prescriptions de psychotropes a été engagé, après qu’un trafic interne de médicaments a été décelé. Une problématique qui met en lumière la prescription massive de ces médicaments, souvent "sans examen préalable", selon l’avocat.
Rien pour la formation et la réinsertion
Les détenus dénoncent également l’absence quasi-totale de programmes de formation et de réinsertion. Selon leurs témoignages, les activités éducatives ou professionnelles sont limitées, faute de personnel et de moyens. Une situation qui réduit considérablement leurs perspectives d’insertion une fois libérés et contribue à l’isolement et à la frustration au sein de l’établissement. La directrice du Camp-Est a reconnu des lacunes sur ce sujet, mais a rappelé que la formation des détenus "relève de la compétence du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie. Depuis plusieurs années maintenant, aucun budget n’est attribué pour la formation des personnes détenues", déplore la directrice. "Pour autant, l’administration pénitentiaire a fait le choix de renouveler des actions de formation" pour les prisonniers.
Des détenus "obligés de se mutiler pour être entendus"
"On vivait à six dans une cellule prévue pour deux, sans aération, avec les toilettes à côté de la table. Il n’y avait pas de draps, pas de séparation. L’odeur restait enfermée", témoigne Brice, ancien détenu à la sortie de l’audience. Il décrit également des conditions sanitaires précaires, des insectes dans les cellules et des détenus "obligés de se mutiler pour sortir, pour être entendus".
Pour Maître Salkazanov, cette action collective est "inédite par son ampleur et la solidité du dossier". "Nous avons collecté des preuves, des photos, des témoignages. Les détenus se sont mobilisés ensemble et c’est ce qui a permis de saisir le juge à bref délai", explique-t-il. Il espère des injonctions rapides : "Cela pourrait passer par des mesures concrètes, comme la possibilité de commander plus d’une bouteille d’eau par quinzaine."
Le tribunal administratif doit rendre sa décision le lundi 27 octobre. Elle pourrait prendre la forme d’une ordonnance susceptible d’imposer à l’administration des mesures urgentes, sous astreinte financière en cas de retard (24 000 francs par jour de retard).
Par Les Nouvelles Calédoniennes