EXPERTISE-FEDOM : Financement du Logement social dans les territoires du Pacifique

Des logements en Nouvelle-Calédonie © SIC Nouvelle-Calédonie

EXPERTISE-FEDOM : Financement du Logement social dans les territoires du Pacifique

L’incitation fiscale à l’investissement est un levier majeur pour le développement du logement social dans les COM où la LBU (ligne budgétaire unique) ne s’applique pas. Comment les territoires du Pacifique comme la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie répondent à cet impératif de développement ? Eclairage sur les mécanismes mis en œuvre dans ces territoires avec cette expertise de la FEDOM.

 

Depuis de nombreuses années, les rapports sur le logement social se succèdent et malheureusement se ressemblent : « La question du logement présente une gravité et une acuité particulière Outre-mer », et les collectivités du Pacifique n’échappent pas à la règle.

Cette situation s’explique par le dynamisme de la demande d’une part (croissance démographique importante sur certains territoires, forte proportion de ménages à faibles ressources, etc.), et par une offre trop réduite d’autre part (coûts importants des constructions du fait de l’insularité et rareté de la ressource foncière notamment). En Polynésie française par exemple, alors que 25% des logements situés dans la zone urbaine de Tahiti et Moorea relèvent de l’habitat indigne et que plus de 2 500 familles sont en attente d’un logement social, le faible parc de l’Office polynésien de l’habitat (OPH), principal bailleur social de la collectivité, ne permet pas de répondre à la demande.
Du côté de la Nouvelle-Calédonie où la construction de logements sociaux neufs a très bien fonctionné sur la dernière décennie, l’enjeu se situe aujourd’hui en grande partie sur la rénovation et la réhabilitation de l’existant. Des problématiques certes différentes mais qui font toutes deux appels
à des besoins de financement importants.

C’est précisément dans l’optique de répondre à ces besoins que le législateur a voté depuis plusieurs années des dispositifs spécifiques d’incitation fiscale à l’investissement en faveur du logement social Outre-mer, aujourd’hui connus sous les termes « LODEOM » ou « Girardin ». Ces dispositifs ont pris une importance toute particulière dans les Collectivités d’Outre-Mer (COM) du Pacifique du fait de l’absence de ligne budgétaire unique (LBU) qui demeure dans les DROM le principal outil d’intervention budgétaire de l’Etat en faveur du financement du logement social. Voici donc un focus sur l’aide fiscale en matière de logement social dans les territoires du Pacifique (I) et sur les axes d’amélioration pour une meilleure adaptation aux réalités locales, notamment au regard des enjeux relatifs à la rénovation et la réhabilitation de l’existant (II) (2) .

I. Des dispositifs d'aides fiscales attractifs en matière de logement social dans les COM

Deux types d’aide fiscale en matière de logement social dans les COM cohabitent : une déduction d’impôt sur les sociétés pour les entreprises, et une réduction d’impôt sur le revenu pour les particuliers dont il a été fait mention en introduction. L’aide fiscale assise sur l’impôt sur les sociétés (articles 217 undecies d et 217 duodecies du CGI) a permis jusqu’à très récemment de faire financer des logements Outre-mer par des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés qui défiscalisent cet investissement. Bien que ce dispositif ne soit pas exclusivement réservé au secteur du logement social, il a souvent été utilisé à cette fin.

Toutefois, avec ce dispositif, l’aide fiscale rétrocédée à l’exploitant est directement proportionnelle au taux d’impôt sur les sociétés en vigueur l’année du fait générateur de l’investissement, l’achèvement des travaux en l’espèce. Or, la baisse progressive de l’impôt sur les sociétés à horizon 2022, dont la trajectoire en vigueur résulte de la loi de finances pour 2020, diminue, pour les entreprises fiscalement domiciliées dans l’hexagone, l’attractivité fiscale de ces investissements ou souscriptions dans les collectivités d’Outre-mer et en Nouvelle-Calédonie, qui bénéficient par ailleurs de l’autonomie fiscale et qui ne se voient pas appliquer cette baisse nationale. Par conséquent, cette trajectoire de baisse a pour corollaire la baisse du niveau d’avantage fiscal rétrocédé au bailleur ultramarin.

C’est la raison pour laquelle, sur proposition de la FEDOM, l’article 108 de la loi de finances pour 2021 vient corriger le problème en créant un nouveau dispositif de réduction d’impôt codifié au nouvel article 244 quater Y du CGI en substitution du mécanisme de déduction fiscale à compter du 1er janvier 2022. Cette modification permet de maintenir le niveau de l’incitation fiscale aux investissements réalisés dans ces territoires indépendamment de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés.

© Office Polynésien de l'Habitat 

Par ailleurs, l’article 199 undecies C du CGI, spécifiquement dédié au secteur du logement social prévoit que les investissements réalisés par des personnes physiques en Outre-mer dans la construction ou l’acquisition de logements neufs ouvrent droit à une réduction d’impôt sur le revenu.
Le dispositif s’applique également pour l’acquisition et / ou la rénovation et la réhabilitation de logements achevés depuis plus de vingt ans, leur permettant « d’acquérir des performances techniques voisines de celles des logements neufs ». Dans ce cas, les logements doivent être détenus par les OLS et être situés dans les communes de Nouméa, Dumbéa, Païta, Le Mont-Dore, Voh, Koné, Pouembout en Nouvelle-Calédonie, sur l’île de Tahiti et à Saint-Martin.
Concrètement, les contribuables domiciliés en France peuvent bénéficier de ce dispositif soit en investissant directement, soit au moyen d’une société dédiée qui sert de « véhicule fiscal » (SPV) pour l’investissement.

Pour pouvoir bénéficier de ladite réduction d’impôt, les logements financés doivent être loués nus, dans les douze mois de leur achèvement ou de leur acquisition si elle est postérieure, et pour une durée au moins égale à cinq ans, à un organisme de logement social (OLS). Puis, celui-ci les sous-loue, pour une durée également au moins égale à cinq ans, à des personnes physiques qui en font leur résidence principale et dont les ressources n’excèdent pas des plafonds fixés par décret en fonction du nombre de personnes destinées à occuper à titre principal d’une part, et de la localisation d’autre part.
A l’issue de la période de location, les logements sont cédés à l’organisme de logement social – ou à une personne physique choisie par lui respectant certaines conditions de ressources – dans des conditions définies par une convention contractée entre l’OLS et le monteur du projet, au plus tard lors de la conclusion du bail. Ce dispositif est intéressant pour les bailleurs sociaux puisque 70% au moins de la réduction d’impôt acquise par le contribuable est rétrocédée à l’OLS, sous forme d’une diminution des loyers versés et du prix de cession.

Sans aller plus loin dans le détail technique, il faut préciser que le dispositif est particulièrement apprécié pour l’équilibre qu’il a su trouver dans la répartition entre la réduction d’impôt et le taux de rétrocession aux bailleurs sociaux. En effet, les différents rapports et études sur le sujet estiment que cette rentabilité est au-delà de 15% par an, net d’impôt, ce qui explique notamment le dynamisme de ce dispositif puisqu’il a bénéficié en 2020 à plus de 4 000 ménages en Outre-mer (3).

II. Des dispositifs qui peuvent être encore améliorés pour répondre à certains enjeux territoriaux

Sans entrer dans les détails juridiques et techniques, le dispositif souffre parfois de faiblesses auxquelles il doit être remédié, tout particulièrement s’agissant de l’enjeu de la rénovation et de la réhabilitation des parcs existants. Certaines évolutions techniques sont possibles et souhaitables pour rendre plus facile ce type d’opérations pour les bailleurs sociaux.

En premier lieu, plusieurs difficultés demeurent dans la prise en considération de certains éléments dans la base éligible sur laquelle est assise la réduction d’impôt. Ainsi, dès que des coûts importants, inhérents à la construction même des logements sociaux ou à leur rénovation et réhabilitation, ne sont pas pris en compte dans cette base éligible, ce sont autant de frais qui impactent directement le budget des OLS et obèrent leurs capacités financières. C’est le cas par exemple de la prise en charge dans cette base des coûts de démolition après l’achat d’un terrain préalable à la construction de nouveaux logements (a fortiori lorsque l’on connaît les difficultés d’accès au foncier dans les territoires ultramarins).
En second lieu, une difficulté majeure est celle du plafond de la base éligible dans le cadre de la rénovation ou réhabilitation des logements achevés depuis plus de vingt ans et appartenant au parc des OLS. Ledit plafond est fixé à 50 000 € par logement. Or, ce plafond est très en-deçà du véritable coût de revient des opérations concernées. Les expertises menées par la FEDOM ont en effet permis de chiffrer ces coûts à environ 162 000 € par logement. Dès lors, la rétrocession d’avantage fiscal au profit des OLS ne couvre qu’environ 15% du budget des opérations, les contraignant ainsi à financer environ 45% des opérations sur fonds propres, contre 25% à 30% pour des opérations de constructions neuves. L’effet pervers d’un tel plafond est de ne pas faire acquérir aux logements rénovés des performances techniques voisines de celles des logements neufs, mais de se limiter à des travaux de mise en conformité. Par ailleurs, alors que la loi Climat et résilience vient de fixer un cap de non-artificialisation des sols à 2050, il faut que les opérations de rénovation deviennent a minima au moins aussi attractives que les opérations de constructions neuves. Par ailleurs, étrangeté juridique, le dispositif ne prévoit pas de plafond en cas d’acquisition d’un logement en vue de le rénover, c’est-à-dire lorsque le logement n’appartient pas au parc des OLS et que ces derniers les acquièrent pour les rénover…

© Office Polynésien de l'Habitat 

En conclusion, si le dispositif est absolument nécessaire dans les COM du Pacifique en ce qu’il participe très largement au financement du logement social, et qu’il est très attractif du point de vue des investisseurs, des faiblesses perdurent du point de vue des bailleurs sociaux qui peuvent freiner ces opérations, notamment dans le cadre des rénovations et réhabilitations des logements de plus de vingt ans alors qu’il s’agit d’un enjeu majeur du logement.
 

Notes :

1 «  « La défiscalisation du logement social en outre-mer », Sénat, Rapport d’information n° 48, 2012-2013, p. 5.
2 Ce dispositif vient évidemment en complément des plans et financements mis en place par les collectivités locales elles-mêmes, mais dont il ne fera pas fait mention ici.

3 Voies et moyens (tome 2), PLF 2021, p. 63.