Grandes figures des Outre-mer : Cyrille Bissette, l’abolitionniste méconnu de la Martinique

Cyrille Bissette (1795 - 1858) ©Musée des Beaux-Arts de Chartres (gravure)

Grandes figures des Outre-mer : Cyrille Bissette, l’abolitionniste méconnu de la Martinique

Ce mois-ci, Outremers 360 inaugure une série bimensuelle sur les personnalités emblématiques qui ont marqué l’histoire des Outre-mer. Nous commençons aujourd’hui par le portrait du Martiniquais Cyrille Bissette, né il y a 230 ans exactement le 9 juillet, que l’on peut considérer comme l’un des précurseurs du courant abolitionniste en France, bien avant Victor Schœlcher dont il fut le rival.

Né le 9 juillet 1795 à Fort-Royal de l’époque (devenu Fort-de-France), Cyrille Charles Auguste Bissette, à l’état civil, est le fils de deux mulâtres libres, Charles Borromée Bissette et Élisabeth Mélanie Bellaine, fille non reconnue d’un béké, Joseph-Gaspard de Tascher de La Pagerie, le père de Joséphine de Beauharnais, future impératrice sous le règne de son mari Napoléon. Bissette fut donc le neveu, évidemment délaissé, de cette dernière.

 À l’âge de 25 ans, homme « libre de couleur », Cyrille Bissette est un commerçant prospère de Fort-Royal. Mais la question de la discrimination raciale le taraude, lui qui avait pourtant participé à la répression d’une révolte d’esclaves (noirs il est vrai, ce qui a son importance dans la hiérarchie « coloriste » martiniquaise) dans la commune du Carbet en 1822 (Bissette fera néanmoins son mea culpa plus tard). Au début du mois de décembre 1823, un document anonyme et publié à Paris intitulé « De la situation des gens de couleur libres aux Antilles françaises » est diffusé dans l’île. Le texte demande notamment  pour ces derniers les mêmes droits que les Blancs, préconise l’émancipation progressive des esclaves par le rachat, la suppression des châtiments corporels et des écoles gratuites pour les nouveaux affranchis.

 Marqué au fer rouge

L’ouvrage suscite l’ire du procureur du roi et bien entendu des békés qui ne veulent pas toucher au statu quo. Considéré comme l’un des auteurs du livre, Bissette fait l’objet à la fin décembre d’une descente de la police royale qui découvre dans sa maison plusieurs exemplaires ainsi que des projets de pétitions. Il est immédiatement arrêté ainsi que deux autres personnes. En janvier 1824, en dépit de ses dénégations concernant la rédaction du document, il est condamné avec ses deux co-accusés à être marqué au fer rouge et aux galères à perpétuité. L’arrêt est annulé en 1826 mais Cyrille Bissette est banni pour dix ans des colonies françaises en 1827. 

Exilé à Paris en 1828, il fourbit ses armes en faveur de l’abolition de l’esclavage. Il crée successivement la « Société des hommes de couleur » et la « Revue des Colonies » en 1834. Dans cette dernière, dont il est le directeur, il fustige l’administration coloniale et exige la libération immédiate des esclaves. Sur le plan idéologique, Bissette est alors bien en avance sur Victor Schœlcher qui juge l’émancipation prématurée « parce que les esclaves ne sont pas préparés à la recevoir », écrit-il dans son ouvrage « De l’esclavage des Noirs et de la législation coloniale ». Schœlcher ne changera d’opinion qu’au début des années 1840 pour se rallier finalement aux thèses du Martiniquais.

 En juillet 1835, Cyrille Bissette propose dans sa revue un projet de législation sur l’abolition inspiré par la loi d’émancipation ratifiée par la Grande-Bretagne en 1833. Il préconise notamment la liberté et l’égalité en droit sans distinction de couleur pour tous les habitants des colonies, les mêmes droits civils et politiques que les autres citoyens français, des écoles gratuites et obligatoires, et la non indemnisation des anciens propriétaires d’esclaves. De nombreux abolitionnistes français se rallient à ses idées, comme Lamartine et Tocqueville. Bissette continue son combat et fonde en 1847 « La Revue abolitionniste ».

Élu député

Au début de 1848, Victor Schœlcher est sous-secrétaire d’État à la Marine et aux Colonies et crée une « Commission d’émancipation ». En dépit de son aura politique et de la popularité croissante de ses recommandations, le Martiniquais se heurte au refus de Schœlcher d’en faire partie. Et c’est à ce dernier que reviendra le prestige d’avoir fait supprimer l’esclavage lorsque le décret d’abolition est signé le 27 avril 1848 par le gouvernement provisoire de la Deuxième République.

Bissette va cependant poursuivre sa lutte politique sur le thème du rassemblement. Il est candidat aux élections législatives de juin 1849 en Martinique avec un colistier béké (ce qui lui vaut le profond ressentiment des mulâtres) et aisément élu député. Il le restera jusqu’en décembre 1851, date du coup d'État de Louis Napoléon Bonaparte. Cyrille Bissette se retire alors complètement de la politique et tombe dans l’oubli. Il décède à Paris le 22 janvier 1858. Triste destin pour l’un des plus fervents précurseurs de l’abolitionnisme qui demeure encore aujourd’hui quasiment inconnu dans son pays natal, alors que le patronyme de Schœlcher s’étale sur les rues et bâtiments publics, donnant même son nom à une commune de l’île.

PM