En Polynésie, des cures d’un mois au fond d'une vallée pour décrocher de la méthamphétamine

En Polynésie, des cures d’un mois au fond d'une vallée pour décrocher de la méthamphétamine

C’est le projet de l’association Varuatahi Vaa Tahiti de Stanley Paie-Ellis, en partenariat avec l’association Haururu : emmener une dizaine de personnes, pendant plusieurs semaines, au fond de la vallée de la Papenoo, pour les sortir de leur addiction à la méthamphétamine. Une immersion culturelle, dans la nature, pour les « déconnecter » de leur environnement toxique. Ancien dépendant, le porteur du projet s’inspire de son parcours pour accompagner les autres. Moetai Brotherson a annoncé que le Pays financera la première session qui pourrait être lancée en septembre. Explication de notre partenaire Radio 1 Tahiti.

Aujourd’hui Stanley Paie-Ellis dit ne plus avoir peur. « Ça m’a pris un peu de temps, parce qu’il a fallu que je me reconstruise avec ma petite famille et avoir le courage d’en parler. Aujourd’hui, je vois ça comme une force. »  

Ancien dépendant à la méthamphétamine, plus connue en Polynésie sous le nom « ice », pendant une année, il a aujourd’hui monté sa propre école de va’a et il n’hésite plus à raconter son parcours. Ce sont ses proches, notamment sa femme Onaku Ellis, et aussi le va’a qui lui ont permis de sortir de la dépendance. Désormais, il témoigne et monte des projets pour aider les toxicomanes mais aussi leurs familles.

Avec l’association Varuatahi Vaa Tahiti, il mène plusieurs projets d’accompagnement au sevrage et à la reconstruction physique et psychologique. « On leur donne des challenges et des buts à atteindre dans l’année », explique Stanley Paie qui prend exemple sur ce qui a marché pour lui : la discipline et l’engagement dans une pratique sportive lui ont donné un cadre.

Mais ce n’est pas suffisant et Stanley Paie-Ellis veut maintenant proposer des cures de désintoxication. L’idée est d’emmener huit personnes, volontaires, en cure de désintoxication au fond de la Papenoo, dans un lieu appelé « Fare Hape », géré par l’association culturelle Haururu. « La particularité de ce projet est qu’il se déroule en immersion totale dans la nature. L’idée, c’est de ramener ces personnes qui ont perdu leur chemin, de se centrer sur l’identité culturelle et de se reconstruire à partir de là. » 

Une immersion nature et culture au fond de la Papenoo. Pas de va’a donc dans ce programme, car il fallait penser plus large : « Chacun a sa propre porte de sortie et on essaye de proposer d’autres choses et pas uniquement du va’a. »

Un mois d’immersion au Fare Hape pour se reconstruire

Mais ce projet de cure est particulièrement compliqué à mettre en place. Il faut répondre à des règles strictes et précises, comme avoir un médecin sur place 24h/24, un plan d’évacuation avec le Dauphin, du personnel soignant pour encadrer les patients…

L’association Varuatahi Vaa Tahiti y travaille. Elle s’est entourée de partenaires pour y arriver : l’association Haururu de la Papenoo, le Centre de prévention et de soin des addictions (CPSA) et l’hôpital où se trouvent des professionnels formés à ces problèmes. C’est un séjour d’un mois qui est en train de se mettre en place, avec une coupure totale des proches et du quotidien pendant deux semaines pour « faire le ménage dans leur vie » et aussi, très concrètement, « dans leur téléphone ».

Stanley Paie-Ellis explique que « quand tu deviens consommateur, tu as cette nouvelle identité, tu fais partie d’un groupe et c’est cool, c’est fun. Pour toi, ce sont les autres qui ne comprennent rien. Et ce sont eux le problème, pas la drogue ». Il s’agit donc de leur faire reprendre pied dans la réalité. « Le fait d’être dans la vallée de la Papenoo, c’est vraiment ça qui va faire la différence avec toutes les structures d’accueil qu’on a actuellement, comme Tokani ou le CPSA. C’est cette immersion, cette coupure avec l’environnement toxique, qui va leur faire prendre conscience de beaucoup de choses et qui, je pense, va faire la qualité de ce programme. Après un mois d’immersion à Fare Hape, tu sors de là et tu peux te reconstruire. »

Une opération qui doit être financée par le Pays

Pendant la cure, un travail sera également fait auprès des familles pour les préparer à l’après-cure et faciliter le retour de l’ancien addict. Pas question de les laisser sortir sans rien prévoir : ils seront suivis et deviendront eux-mêmes des parrains pour les suivants. Stanley Paie-Ellis explique qu’il est urgent de « redresser la barre ». C’est aussi l’avis de Moetai Brotherson.

Le président du Pays avait d’abord pensé ouvrir un centre de désintoxication sur un atoll. Il a parlé de Anuanuraro à l’antenne de Radio 1 alors qu’il était l’invité de la rédaction, tout en reconnaissant les difficultés que ce projet pose. Et donc en attendant, le Pays va soutenir des actions associatives comme celle de Stanley Paie-Ellis. Il assure que ce projet sera financé, notamment grâce aux 250 millions de francs consacrés à la lutte contre l’ice, votés lors du premier collectif budgétaire de l’année. 

« C’est un projet encore pour l’instant, qui devrait se faire normalement cette année. Ça fait partie des opérations qu’on prévoit de financer avec le budget déjà inscrit pour 2025. Ensuite il faudra tirer les leçons, c’est une première donc il faudra voir comment ça se passe et essayer ensuite d’améliorer les process. Peut-être de le répliquer ou de le faire à plus grande échelle, ça va dépendre des résultats de la première session », a-t-il expliqué.

Est-ce que cela suffira à la procureure de la République ? Solène Belaouar avait répondu au président du Pays sur la « défaillance » de l’État concernant la lutte contre les trafiquants. Elle estimait que le Pays devait aussi se montrer à la hauteur en renforçant la prévention et en mettant en place un centre de désintoxication.

Lucie Rabreaud pour Radio 1 Tahiti