À 16 ans et demi, Magali Jobert quitte La Réunion pour entrer dans un monde où elle n’a, a priori, pas sa place. Dans les hangars d’Air France, elle est la seule fille d’une promotion de mécaniciens aéronautiques. Trente ans plus tard, celle qui a gravi tous les échelons de l’industrie aéronautique encadre aujourd’hui la cohérence industrielle des équipements et des aérostructures au sein du groupe Air France-KLM Engineering & Maintenance. Engagée de longue date pour la féminisation des métiers techniques, Magali Jobert a vu son parcours et son combat récemment salués par sa nomination au grade de chevalier de la Légion d’honneur. Un itinéraire forgé par le travail, la transmission et la conviction profonde que l’industrie doit s’ouvrir à toutes et tous.
Dans la famille Jobert, je demande la sœur ! À La Réunion, Magali Jobert grandit dans les années 1990 au rythme des avions. « Mon frère est pilote. Mon père est mécanicien aéronautique. Petite, il nous emmenait souvent au travail. On allait dans les hangars, on regardait les deux petits avions qui faisaient la liaison entre Mayotte et La Réunion. Parler avion, c’était normal pour nous. »
Cette immersion précoce éveille très tôt sa curiosité. Aussi, lorsqu’une annonce indique que l’école technique d’Air France recherche des jeunes de 16 à 17 ans pour intégrer son centre de formation de Massy-Palaiseau, non seulement elle postule, mais elle réussit les tests haut la main ! « Je me rappelle très bien ces messieurs me disant : “Vous avez compris que ce n’est pas pour être hôtesse de l’air ?” » Malgré ses bons résultats, l’adolescente ne peut finalement pas partir. « L’internat était réservé aux garçons, et ils m’ont expliqué qu’ils ne pouvaient pas gérer la mixité. »
Magali Jobert poursuit alors sa scolarité à La Réunion. L’année suivante, l’école la recontacte. Cette fois, tout s’organise : ses parents trouvent une chambre à louer depuis l’île. En septembre 1994, à 16 ans et demi, elle quitte, seule, La Réunion, pour intégrer l’école technique d’Air France. Commence un parcours jalonné d’épreuves et de réussites.

Une ascension, échelon par échelon
L’arrivée dans l’Hexagone est brutale à plus d’un titre. « On était 42 dans la classe et j’étais la seule fille. Je n’avais pas compris qu’il n’y aurait pas d’autres filles. Je ne m’étais même pas posé la question. Et puis, j’étais loin. Il faisait froid…» Pendant trois ans, elle apprend le métier de mécanicienne aéronautique. À 19 ans, diplôme en poche, elle est embauchée par Air France Industries à Orly. « Là encore, rien n’avait été anticipé : pas de vestiaires, pas de toilettes pour les femmes. Quand je suis arrivée, aucun chef d’équipe ne voulait de moi. On a dû imposer ma présence et, là encore, on me reprochait d’avoir pris la place d’un garçon ou on me prêtait des intentions douteuses. » La jeune diplômée tient bon. Elle travaille, apprend, prouve sa valeur.

Pendant six ans, elle exerce comme mécanicienne, avant de décider de passer un BTS d’assistante technique ingénieur pour pouvoir évoluer au sein de sa structure.
« Je l’ai fait en parallèle de mon travail, parce que je ne pouvais pas me passer de mon salaire. » Après avoir validé son diplôme, elle intègre le bureau d’études, à l’engineering, toujours chez Air France. « Je m’occupais de la documentation et des instructions pour mes anciens collègues. J’étais le lien entre Boeing, Airbus et les équipes de production. »
Grâce à son expérience terrain, sa crédibilité est renforcée. Après deux ans, elle découvre la dimension client d’Air France Industries, qui assure la maintenance d’avions pour des compagnies tierces. Pendant six ans, elle devient support client, à la croisée de la technique, du contractuel et du commercial. Elle poursuit ensuite sa montée en compétences en intégrant une formation d’ingénieure en alternance avec le CESI (anciennement Centre des études supérieures industrielles). À l’issue de cette formation, elle obtient ses premiers galons de management : une équipe de 50 personnes dédiée à la maintenance de l’avion militaire AWACS. Dès lors, les responsabilités s’enchaînent : responsable de la Line Maintenance à Orly avec 150 mécaniciens, directrice du support client pour French Bee, puis présidente de iGO Solutions, spécialisée dans la maintenance. En 2021, dans un contexte post-Covid particulièrement tendu, Magali Jobert prend la tête du centre de formation qu’elle avait elle-même intégré vingt-cinq ans plus tôt.

Féminiser les métiers
En prenant la direction de l’AFMAÉ (Association pour la Formation des Métiers de l’Aérien), Magali Jobert contribue à relancer la dynamique de la structure, redonne de la lisibilité aux parcours de formation et repositionne le centre comme un acteur clé de la filière aéronautique.
« Il fallait retravailler la désirabilité des métiers, la féminisation des filières. C’était incroyable de revenir tant de temps après. » En quelques années, le nombre d’apprenants progresse fortement, passant d’environ 400 après le Covid à près de 1 500 personnes formées chaque année, entre apprentissage et reconversion professionnelle.
Elle y fait de la féminisation des métiers industriels un axe structurant, tout en développant des passerelles avec les territoires ultramarins, notamment La Réunion. « Dès que j’ai pu travailler sur l’orientation des jeunes, je suis allée voir la Région Réunion pour leur proposer des parcours, pour leur offrir différents métiers dans les compagnies aériennes ou les centres de maintenance. » Elle a notamment travaillé avec le centre de formation Aéro Run Training et la compagnie Air Austral, entreprise où son père a passé sa carrière. « Je suis restée très attachée à l’idée de monter ces ponts entre les jeunes de l’île et les structures qui peuvent les accompagner. »
Aujourd’hui, à la tête de la stratégie mondiale de maintenance des composants et des aérostructures du groupe Air France-KLM, Magali Jobert travaille à l’échelle internationale.
« Mon objectif est de fournir, au meilleur prix, des éléments extrêmement fiables pour garantir la sécurité des vols, et de développer des partenariats partout dans le monde. »
Malgré tout ce chemin parcouru, Magali Jobert n’oublie pas les obstacles qu’elle a dû franchir. « Moi, j’ai découvert ces métiers parce que mon père était mécanicien aéronautique. Mais comment les faire découvrir à des jeunes filles dont les parents sont totalement extérieurs au milieu ? Il faut vraiment plus de femmes dans ce secteur. » Pour elle, la féminisation ne concerne pas seulement les métiers d’ingénieure. « On oublie souvent les métiers manuels. Aujourd’hui, on est autour de 7 % de femmes dans les métiers ouvriers. C’est encore trop bas. » Salons, tables rondes, journées portes ouvertes, réseaux sociaux : Magali Jobert multiplie les prises de parole pour encourager les vocations. Marraine du dernier Salon du Bourget, décorée de la Légion d’honneur et de la médaille de l’aéronautique, elle poursuit son engagement avec la même humilité. « Je ne me considère pas féministe. Je veux simplement dégenrer, créer de l’équité, offrir les mêmes possibilités.»
Pour 2026, plusieurs rendez-vous internationaux l’attendent à Dubaï, Singapour et aux États-Unis mais son ambition reste inchangée : « Donner envie aux plus jeunes de se lancer. »























