Portrait. Le Réunionnais Jérôme Gence, photo reporter et ambassadeur pour la marque d’appareils photo Canon

© Chi-Hui Lin

Portrait. Le Réunionnais Jérôme Gence, photo reporter et ambassadeur pour la marque d’appareils photo Canon

Originaire de l’île de la Réunion, Jérôme Gence prend ses premières photos lors d’un voyage dans l'Himalaya. Un déclic qui lui a permis de devenir récemment l’un des 9 français choisis comme ambassadeur de la marque Canon. Aujourd'hui, le photoreporter s'est spécialisé dans l'impact des nouvelles technologies dans les sociétés actuelles. Portrait d’un parcours en sens interdit.

Le parcours du Réunionnais Jérôme Gence commence par un rêve d'enfant. « A l'époque, quand j'étais à La Réunion, on n'avait pas les moyens de voyager. Un jour, des conférenciers sont venus à l'école nous présenter un documentaire sur l'Himalaya. Ce documentaire m'a fasciné. L'Himalaya est devenu mon rêve d’enfant. J’imaginais de La Réunion, à quoi ressemblait l'Himalaya». Après son bac, il s'installe à Paris où il obtient un Master en entrepreunariat et devient data-analyst. Une profession qu'il exerce toujours en parallèle de son activité de photo reporter.Un dimanche, il regarde un reportage sur le petit train de Darjeeling, une petite ville de l'Himalaya indien connu pour son thé. « Dans ce documentaire, il y avait le portrait d'une villageoise, Sita Chettri. Elle porte les bagages des passagers arrivant par ce train. C'est un métier extrêmement difficile mais elle accomplit ce travail car cette femme a un rêve : donner la meilleure éducation à ses cinq fils. Touché par son histoire, j'ai décidé de partir à sa rencontre. J’ai pris trois semaines de congés et je suis parti à sa rencontre. C'était la première fois que j'allais en Inde. De Calcutta, j'ai rejoint Darjeeling». Équipé de son appareil photo, Jérôme Gence réalise ses premiers clichés lors de ce voyage. « Quand j'étais dans l'Himalaya, j'ai commencé à faire des portraits de ces gens dont je rêvais quand j'étais enfant. La photographie a été une rencontre inattendue dans ce voyage, la plus belle peut être parce que c’est elle qui m’a permis de ne jamais oublier toutes les autres.»

« La photographie m'a permis de m’évader de l’ennui d’une vie immobile, de rencontrer des gens en route, et de m'apprendre que la complexité du Monde ne peut pas se résumer à coup de hashtags.», Jérôme Gence

Une rencontre bouleversante

Ce premier voyage et cette rencontre vont être un véritable bouleversement pour Jérôme. « Quand je suis arrivé à Paris, cette rencontre avait changé ma vie. J’ai toute ma vie à Paris et j'ai pris la décision de repartir dans l'Himalaya, cette fois-ci par la voie terrestre, en auto-stop, en train ou à vélo. J'ai traversé l'Europe, l'Asie Centrale, la Chine, l’Asie du Sud-Est puis je suis arrivé au Bhoutan et en enfin au Népal. Durant ce voyage, je ne parlais pas la langue des gens qui m'accueillaient mais grâce à mon appareil photo, j'ai pu tout de même échanger avec eux. La photographie m'a permis de m’évader de l’ennui d’une vie immobile, de rencontrer des gens en route, et de m'apprendre que la complexité du Monde ne peut pas se résumer à coup de hashtags.»

Après près de deux ans de voyage, Jérôme Gence arrive au Népal la veille du tremblement de terre en 2015. « Cet événement a eu beaucoup d'influence dans ce que je fais aujourd’hui. Au milieu de ce chaos, j'ai rencontré Eric Valli, un grand photographe, qui a dédié sa vie à l'Himalaya et publié de grands reportages dans National Geographic. Un jour il m’a dit : “Faire de belles photos ne suffit pas. Il faut qu’elles racontent une histoire. Trouve toi un sujet original, un personnage et plonge dans sa vie. En tant que photographe, il faut que l’on t’identifie pour un sujet précis.»

Fort de ce conseil, Jérôme Gence poursuit son voyage en Asie tout en cherchant des histoires à raconter à travers ses photographies. « J’ai réfléchi à un sujet qui m’intéressait et sur lequel j’avais une certaine légitimité. En tant que data-analyst, j’avais envie de mettre en image l’impact des nouvelles technologies sur les relations humaines. Alors, je me suis immergé dans ces mondes virtuels et réels sans penser à rien d’autre que de couvrir tous les aspects de mon sujet.»

Depuis, les reportages de Jérôme Gence sont publiés dans le Figaro Magazine, Le Monde, Die Zeit, Spiegel, National Geographic ou encore Polka Magazine. Ils ont également été projetés à Visa pour l’image, le plus grand festival de photojournalisme au monde. En janvier 2020, Le National Geographic l’invite en tant que speaker à présenter son parcours et ses reportages lors du National Geographic Storyteller Summit à Washington. Un événement qui accueille chaque année les éditeurs les plus prestigieux qui viennent découvrir le travail de photographes influents, d'écrivains ou encore de journalistes. Quelques mois plus tard, Google l’invite également à présenter ses reportages lors d’un “Talk at Google”.
 

Jérome Gence durant son “Talk at Google” © Mickal Taylor

Grand-angle sur le monde ultra-connecté

A travers ses publications et ses reportages, le photoreporter réunionnais livre un regard sur l'impact des nouvelles technologies sur les sociétés actuelles et en Asie particulièrement. « Quand je parle de l'Asie, c'est surtout de la Corée, la Chine, le Japon et Taïwan. Ce sont des pays assez innovateurs en matière de nouvelles technologies et plus particulièrement la Corée du Sud. C'est là que les nouvelles tendances émergent avec un contraste fort entre les traditions que cultivent ces pays et une société ultra connectée à laquelle ils aspirent».

«Je ne photographie pas des gens parce qu’ils sont beaux, mais parce qu’ils ont quelque chose à me dire», Jérôme Gence 

Un monde ultra-connecté auquel Jérôme Gence préfère rester éloigné. « Je n’aime pas les réseaux sociaux. Je fuis le plus possible ces espaces où tout tend à se ressembler, ou chacun à un avis sur tout, tout le temps et où la crédibilité d’un propos ne se mesure qu'en visibilité. Mais à travers mes reportages, je comprends aussi ce qui ne peuvent plus s’en passer. On vous sert le Monde, sur un clavier tout en restant chez vous sans prendre de risque. Cela peut être tentant. Ce que l’on dit moins, c’est que cela se fait au détriment de vos données personnelles et de votre vie privée. Le succès de ces mondes virtuels s’explique souvent par l’échec des piliers de nos sociétés dans le monde réel».

Le photographe a ainsi exploré plusieurs facettes de ce monde des nouvelles technologies. En 2018, il publie un reportage « SelfieCulture : The new promised land of farmers» racontant l'histoire des fermes à selfies, ces fermes d'un nouveau genre dans la ville de Dali en Chine où des agriculteurs ont transformé leurs lieux de culture en véritable décor de selfie grandeur nature, très prisés des influenceurs et des instagrameurs chinois. Dans « Livestreamers: Geishas of Internet», Jérôme Gence s'est plongé dans l'univers des nouvelles «Geishas » en Asie, des livestreameuses suivies par des millions de fans en quête d'une relation amicale ou amoureuse.

Pour découvrir les reportages de Jérôme Gence, cliquez sur ce lien 

Au monde virtuel, Jérôme Gence oppose les interactions, le contact. Une philosophie qui se retrouve dans sa méthodologie de travail. « Pour moi, l’approche des personnes dont je souhaite raconter l'histoire est vraiment fondamentale. Je ne photographie pas des gens parce qu’ils sont beaux, mais parce qu’ils ont quelque chose à me dire. Dès le départ, je précise que je ne suis pas là pour quelques heures,  je reste plusieurs semaines». Dans le monde de l'instantanéité, de l'immédiat, Jérôme aime prendre le temps de découvrir. « Dès que j'ai une nouvelle idée, je deviens obsédé par cette idée, j'y pense jour et nuit. Cela me trotte dans la tête. Je voyage, je rencontre. J'ai la chance d'être entouré d'assistants qui connaissent mon travail mais surtout qui connaissent mieux que la culture de leur propre pays. Pour savoir si une idée est bonne ou pas, je m'interroge aussi sur la place de ce sujet dans l’actualité et sur la pertinence des questions de société qu’il aborde. Dans un certain sens, ce travail de recherche rejoint mon travail de data-analyst : Récolter des informations, les vérifier, les trier, les mettre en perspective et en résumer l’histoire en un texte et quelques photos. Cela demande du temps de rencontrer des gens, de prendre du recul. Je veux être certain d'être incollable sur mes sujets, mes sources, les données que je vais présenter aux éditeurs, sur la vie des personnes que j'ai suivies.».

«On peut réussir dans d'autres voies, il suffit de provoquer la chance, rencontrer des gens, et ne pas hésiter à prendre parfois la vie en sens interdit…», Jérôme Gence

La consécration

Un travail minutieux aujourd’hui récompensé. En septembre 2020, il a été lauréat du Prix Pierre et Alexandra Boulat pour son projet sur le Télétravail : le nouveau code du travail. Depuis décembre 2020, Jérôme compte parmi les 9 français ambassadeurs de la marque Canon dans plus de 120 pays. « J’en suis très fier, car c'est une marque très convoitée dans le monde de la photographie, mais au delà de cela, c’est avant tout pour moi une grande preuve de confiance de la part des personnes qui chez Canon m’accompagne depuis le début de mon voyage». Le programme Ambassadeur Canon se renouvelle tous les deux ans après un processus très long et très sélectif. « Je suis d'autant plus touché car venant de LaRéunion, les voies de réussite qu’on nous propose sont souvent limitées. Mon parcours parmi d'autres, montre que les chemins sont plus nombreux que l’on croit. On peut réussir dans d'autres voies, il suffit de provoquer la chance, rencontrer des gens, et ne pas hésiter à prendre parfois la vie en sens interdit…».

© Jérôme Gence