Portrait :  Erika Velio, l'ingénieure aérospatiale chez Airbus Pays Bas qui veut mettre La Réunion « en orbite »

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Portrait :  Erika Velio, l'ingénieure aérospatiale chez Airbus Pays Bas qui veut mettre La Réunion « en orbite »

Férue de sciences depuis son plus jeune âge, la Réunionnaise Erika Velio est aujourd'hui ingénieure dans l’aérospatial aux Pays-Bas. Sa mission : élaborer les panneaux solaires capables de fournir en énergie la capsule Orion, qui transportera la première femme sur la Lune à l'horizon 2024.  Elle ambitionne également dans un avenir proche de développer un centre consacré aux activités spatiales à La Réunion.

 

 Ayant grandi à Saint-Paul auprès d'un père garagiste, Erika Velio, animée par une soif d'apprendre et de savoirs, se passionne pour la mécanique. De nature curieuse, elle sait qu'elle veut entreprendre de longues études, une manière de prouver que les femmes peuvent accomplir de grandes choses au même titre que les hommes.  « Dans le foyer famillial où mon père est chef de famille et ma mère, femme au foyer,  j'avais déjà un regard critique sur la place de la femme dans un foyer. Je ne comprenais pas pourquoi on n'avait pas donné la chance à ma mère d'aller à l'école ou pourquoi les femmes n'avaient pas le droit d'exercer un métier ou s'épanouir dans une profession qui leur plaise». 

A 18 ans et son bac en poche, Erika Velio s'envole pour l'Hexagone pour la poursuite de ses études après une année à l'Université de La Réunion. Face à un père frileux à un tel départ loin de son domicile parental, Erika Velio a dû prouver avant son départ son autonomie, mais aussi sa détermination à poursuivre le parcours universitaire.  A Montpellier, Erika Velio obtient une licence et une maîtrise en chimie à l’Université de Montpellier suivi d'un master en physique-chimie, spécialité Ingénierie biomoléculaire, ainsi qu’un master de sciences et techniques de la matière et de l’énergie à Toulouse.  Après avoir effectué son stage de fin d'études au sein du laboratoire de réactivité de surface de l'Université de Jussieu à Paris, Erika Velio se lance sur le marché de l'emploi dans la capitale française. Même pendant la quête de son premier emploi, Erika Velio  continuer à cumuler les jobs étudiants pour être financièrement indépendante.«Sans savoir ce qu'est un entretien d'embauche, (car on ne l'apprend pas pendant les études,j'en ai passé plein en travaillant en même temps dans une agence d'événementiel pour distribuer des flyers par exemple ». Sur le conseil d'un ami, elle suit une formation dans l'informatique, secteur plébiscité à l'époque par les entreprises,  Erika Velio continue à étudier.  « Voulant mettre toutes les chances de mon côté afin de trouver un emploi, j'ai suivi le conseil de mon ami et me suis inscrite dans cette formation». 

Erika Velio avec son ami Christophe qui l’a conseillé de faire la formation logiciel © Erika Velio 

« Je n'avais pas idée que le domaine spatial pouvait être une opportunité pour moi»

Conseil gagnant pour Erika qui décroche son premier emploi à l'issue de cette formation. Elle est recrutée au sein de l'entreprise Hispano Suiza, filiale du groupe Safran. « Cette formation m'a ouvert la voie vers le spatial. Jusqu'ici, je n'avais pas idée que le domaine spatial pouvait être une opportunité pour moi». 

Erika Velio travaille durant deux ans sur la mise au point des calculateurs des avions européens comme les Airbus A380 ou d'avions russes. Forte de ses deux années d'expérience, Erika Velio reste déterminée malgré la restructuration de cette entreprise. Elle est ensuite contactée par un prestataire pour le CNES. « Mon aventure du spatial a démarré ainsi. On est venu me chercher, de par mon profil atypique. Mon profil répondait à des besoins divers dans le milieu du spatial, avec mes connaissances en matériaux, en logiciel, en sciences-physiques…Sur le conseil de mon ancien chef, j'ai mis en avant ma flexibilité, mon adaptabilité et ma soif d'apprendre lors de cet entretien pour le CNES. Ils ont misé sur moi et ils ont gagné…J'ai aussi gagné car je suis toujours dans le domaine du spatial, j'ai acquis de l'expérience depuis le développement et certification de calculateurs d'avions à l'élaboration du programme de vol de la fusée Ariane 5 à Evry»

Sur le pas du tir d'Ariane 5 en Guyane © Erika Velio

Des calculateurs d'avions au projet de la capsule Orion

Après une année au CNES, Erika Velio devient maman. Elle exerce le métier de professeur physique-chimie pour être au plus près de ses deux enfants pendant deux ans avant de rejoindre l’équipe d’Arianespace pour le suivi de production de morceaux de fusées et l’assemblage en Guyane jusqu’au service de lancement de satellites. « A la différence de ma mission au CNES, je devais faire des déplacements professionnels en Guyane mais aussi prévoir de vivre la-bàs pour suivre les opérations». Des conditions qui ne sont pas sans conséquences sur la vie familiale d'Erika. Alors mère célibataire, elle a pu compter sur le soutien sans failles de sa mère pour l'épauler et l'accompagner dans cette nouvelle étape de sa vie. « J'ai souvent demandé à ma mère de m'aider durant les périodes de transition afin de permettre une adaptation optimale. En Guyane, Erika Velio manage une équipe de 15 personnes, chargée des contrôles qualité du lanceur et des ensembles de lancement jusqu'en 2016, où Erika Velio prend dans la foulée une période sabbatique pour s'occuper de sa mère.

Erika Velio avec les membres de son équipe sur le toit du bâtiment de contrôle de lancement de fusées à Kourou © Erika Velio
Erika Velio avec les membres de son équipe sur le toit du bâtiment de contrôle de lancement de fusées à Kourou © Erika Velio

 Au cours de cette période, Erika Velio reçoit la proposition d'une mission de 3 mois au sein du groupe Airbus Defense and Space aux Pays-Bas. « Cette expérience de trois mois s'est avérée plaisante pour moi, Airbus m'a fait la proposition de prolonger ce contrat de plusieurs mois. Ma période d'indisponibilité arrivant à terme chez Arianespace, j'ai informé ma hiérarchie de mon contrat avec Airbus et de ma volonté de rester Airbus Pays-Bas. En étant honnête et transparente, mon chef a fait le nécessaire pour créer un poste permanent aux Pays-Bas».

Dès 2017, Erika Velio travaille à Airbus Pays-Bas en tant que Product Assurance Manager, un métier du département Qualité qui permet de vérifier la conformité d'un produit commandé par un client. Spécialisée dans la fabrication des panneaux solaires des satellites, Erika Velio porte sa pierre à l'édifice sur des projets de grande envergure. « Au quotidien, mon rôle consiste à choisir la technologie adéquate qui répond aux besoins de mon client-satellite et à la spécificité de la mission qui sera opérée, soit en basse orbite, en moyenne orbite ou en mission extraordinaire proche du soleil par exemple etc. Une fois le cahier des charges établi, les matériaux sont commandés, fabriqués, puis assemblés et intégrés. On poursuit avec la phase de tests, dans les conditions semblables à celles d'une mission dans  l'espace pour s'assurer que le produit est conforme. Je dois veiller à ce que la vérification, la validation, la qualification du matériel se déroulent comme attendu… J'ai travaillé sur des produits de satellites de télécommunication (la famille des astro-bus), sur les panneaux solaires pour les satellites de Galileo. J'ai également travaillé sur le projet du rover européen Exomars, qui n'a pas encore été sur Mars à la différence du rover américain Persévérance».

Erika avec ses collègues néerlandais, l’équipe du comité d’entreprise 
L'équipe d'Airbus Pays Bas avec l'astronaute Breznik © Erika  Velio

Depuis trois ans, l'ingénieure aérospatiale est concentrée sur le programme ESM (European Service Module), qui équipera la capsule Orion. Cette capsule Orion doit notamment transporter les quatres astronautes dont la première femme qui posera son pied sur la Lune. « Ce dernier projet est pour moi, celui qui a le plus de prestige professionnel car on est sur du vol habité, avec un équipage humain à bord. Par conséquent, cela engendre un degré de sécurité encore plus élevé. On travaille avec la NASA, porteur de ce projet de capsule et d'autres équipes internationales. Ce module de service européen va fournir de l'énergie à la capsule grâce aux panneaux solaires qui convertissent l'énergie solaire en énergie électrique. Cette énergie va permettre de fournir aussi  l'eau et l'oxygène nécessaires à un environnement habitable, le module génère et stocke de l'énergie électrique et maintient la température des systèmes et composants du véhicule.C'est donc une partie essentielle de la capsule».

Capsule Orion

Aujourd'hui, Erika Velio souhaite transmettre sa soif d'apprendre mais également l'amour des sciences à la jeune génération, plus particulièrement à la jeunesse réunionnaise. C'est de façon naturelle et sans hésitation qu'elle adhère à l'opération «1000 Possibles» du Ministère en faveur de l’égalité des chances des droits des femmes. Elle fait partie des 100 femmes choisies pour leur parcours inspirant, pour écrire une lettre à une fille née le 8 mars 2021. « Etant une femme évoluant dans un milieu industriel et à dominance masculine, je me suis toujours interrogée sur cette inégalité de traitement entre les hommes et femmes. Il y pleins de femmes à l'instar de Simone de Beauvoir qui ont bâti un chemin pour que nous puissions avoir le droit de travailler, de voter, s'exprimer sans avoir peur. Mon propre parcours me donne cette légitimité de pouvoir dire que cela n'est pas facile mais qu'on doit avoir les mêmes droits et ne pas subir de discriminations en raison de notre statut de femme. C'est pour cela que j'utilise cette posture pour pouvoir communiquer auprès des jeunes et moins jeunes filles mais aussi auprès des garçons. »

Erika Velio dans la salle blanche d’Airbus avec sa fille  © Erika Velio 

Développer un incubateur lié aux activités spatiales à La Réunion

Erika Velio mène depuis plusieurs années des interventions autour de la découverte de la filière du spatial dans les écoles, collèges et lycées de son île natale, La Réunion.  A travers sa jeune société VELIO Space Consulting & Engineering, créée cette année, elle nourrit le rêve d'installer un incubateur favorisant la culture des sciences spatiales dès le plus jeune âge. « Ma grande ambition est de créer un centre spatial à La Réunion- qui serait la reproduction de la station spatiale internationale- au sein duquel on pourrait développer des programmes éducatifs, des salles d'expérimentation, des éléments qui permettent d'accompagner un enfant depuis son jeune âge, à la création de son métier de demain. Ce serait un incubateur, en partenariat avec des structures associatives comme les Petits Débrouillards, Sciences Sainte-Rose, Reunion Island Space Initiative (RiSi) etc , qui apportera de l'information, de l'éducation et de l'instruction des sciences et techniques et associées à l'art, la danse, le dessin etc. »

Erika Velio au milieu des élèves du collège de Texeira de la Possession Réunion © Erika Velio

Il s'agit aussi de faire prendre conscience que le « spatial est utile pour de nombreuses activités terrestres ». « A travers ce centre, les enfants découvriront ce qu'est un satellite, une fusée mais ils seront aussi sensibilisés à la collecte des données apportées par les satellites. On a des satellites qui apportent des choses sur Terre : des données qui peuvent déterminer la fertilité du sol pour améliorer le rendement en  agriculture, la composition de l'air pour diminuer la pollution, mais aussi des données qui permettent la surveillance et la télédétection en mer. Avec ces données issues du spatial, ce jeune pourra à l'avenir créer son entreprise et pourra être, par exemple, expert en télécommunications, en radars, ou encore expert en prévention des risques climatiques».

Avec la maquette du centre spatial reunionnais 

Erika Velio rappelle que cette initiative de développer le spatial à La Réunion n'est pas nouvelle et est portée par Guy Pignolet.« Il est un retraité du CNES avec une connaissance extraordinaire du spatial. Je l'ai rencontré il y a dix ans et il m'a fait prendre conscience du potentiel de La Réunion pour développer le spatial. Cette rencontre m'a mise sur des initiatives qui avaient déjà été proposées comme l'idée il y a 25 ans d'un centre spatial. Guy est pour moi mon mentor».

Les enfants d'Erika Velio avec son mentor Guy Pignolet © Erika Velio 

Ce parcours exceptionnel dans le spatial ne s'est pas uniquement construit avec ma seule détermination. « Je ne me suis pas construite toute seule, j'ai été entourée par ma famille et mes amis.Tous les chemins par lesquels je suis passée sont souvent sur les conseils des personnes qui m'entourent. C'est pour cette raison que je rends à ma communauté ce que l'on m'a donné. Sur mon chemin de vie, il y a de belles rencontres et des personnes qui m'accompagnent, me soutiennent à devenir la femme que je suis ».