Un court-métrage mahorais attire l’attention des festivals en France comme à l’international. Haraka Haraka, réalisé par Germain Le Carpentier et produit par Daniel Chebani Chamssoudine, transforme une tradition populaire en une véritable fresque cinématographique. L’œuvre sera prochainement présentée au KUGOMA – Forum de cinéma de courts-métrages, organisé du 25 au 31 août 2025 à Maputo, au Mozambique. Détails avec notre partenaire Mayotte Hebdo.
Une tradition filmée comme une oeuvre d'art
Chaque année, sur plusieurs kilomètres de la route départementale de Mamoudzou, enfants et adolescents se lancent dans la célèbre course de pneus. Bien plus qu’un simple jeu, ce rituel intergénérationnel fait partie intégrante de l’identité mahoraise. C’est ce patrimoine vivant que Germain Le Carpentier a souhaité immortaliser. "Haraka Haraka se présente comme l’esquisse en mouvement d’un tableau ou d’une photographie dans un livre d’Histoire", explique-t-il. Le titre, qui signifie "Allez, dépêche-toi !" en shimaoré, exprime à la fois l’énergie de la course et l’urgence de raconter une mémoire collective.
Un premier film documentaire
"J’ai toujours utilisé des choses et des gens de la réalité pour créer de la fiction. Le plus difficile a été de construire le récit au montage, car je voulais créer un documentaire à partir de la matière que j’avais." La prise d’image a été particulièrement courte : une seule journée pour capter la 39ᵉ édition de la course, complétée par quelques prises supplémentaires. "C’est le tournage le plus court que j’ai fait de ma vie" ironise le cinéaste. Grâce au soutien de Laurent Mounier, directeur de l’agence événementielle Angalia, il a pu filmer la totalité du parcours, accompagné de son assistant et de deux caméras, alternant entre scooter, voiture et marche à pied pour ne rien perdre de l’événement.
Des héroïnes et un pneu
Pour donner vie à son récit, le réalisateur a choisi de se concentrer sur deux jeunes femmes, Soihili et Houssounati, issues de quartiers populaires, ainsi que sur un pneu lancé à toute allure. "Avec le noir et blanc et le format académique 1:37, j’ai voulu imposer un cadre, raconter une journée ensoleillée marquée par le bitume brûlant, le caoutchouc savonné et l’effort." Le spectateur suit ainsi, en montage alterné, ces deux héroïnes et l’objet qui les relie. Soihili, amie de son assistant Kader Abdou, était déjà connue du cinéaste, tandis qu’Houssounati a attiré son regard pendant la course : "Elle courait avec sa sœur, sa grand-mère et une amie. Elle était coachée par sa sœur." Les deux femmes ont même participé activement au projet en rédigeant un texte relatant leur expérience. "Au final je les ai beaucoup impliquées dans le film, et ça m’a servi à le construire." confie-t-il. Ce choix de mettre des femmes au premier plan est assumé : "C’était une volonté politique. On oublie trop souvent que ce sont les femmes qui ont construit Mayotte, alors que les postes de pouvoir sont aujourd’hui presque exclusivement masculins." La voix off, confiée à Hafidati Combo, figure féminine influente de l’île, incarne cette démarche.
Mémoire et hommage
En optant pour la sobriété du noir et blanc, la lenteur des plans et la puissance des visages féminins, le film transforme une scène familière de l’enfance mahoraise en récit universel. Haraka Haraka est aussi un hommage discret à Jack Pass, créateur de la course à pneus et du festival de l’image sous-marine, décrit comme "un fédérateur d’une jeunesse active et passionnée". En filmant cette course, le réalisateur dit vouloir "immortaliser une journée inscrite dans la mémoire des Mahorais", et offrir au cinéma un fragment de patrimoine ancré dans l’océan Indien : "Ce grand évènement est un symbole historique de notre petit archipel. Une expérience unique qui a traversé des générations de candidats et candidates à la compétition". La bande sonore, composée de bruits de la radio, de chants de coqs et enrichie par la participation d’artistes locaux comme Zily et Démo, parachève cette déclaration d’amour à Mayotte.
Un parcours international remarqué
Sélectionné pour la première fois au Champs-Élysées Film Festival en 2024, le court-métrage a rapidement conquis le public. Il a remporté le Grand Prix du meilleur documentaire court au FEMI de Guadeloupe, avant d’être présenté au Festival du film court en plein air de Grenoble, au St Louis’Docs au Sénégal et au Accra Indie Film Fest au Ghana. Cette année, il poursuit son voyage jusqu’au Mozambique, preuve que "le cinéma est fait pour voyager", comme le souligne Germain Le Carpentier. Lors des rencontres avec le public, les échanges ont beaucoup porté sur la place de cet événement sportif dans la société mahoraise, mais aussi sur les choix esthétiques du film. "On ne connaît pas assez la société mahoraise, qui est pourtant un pan de la société française, un bout de la France." Son précédent film, Laka, portait sur la pêche. "Les deux se complètent : Mayotte, c’est la terre et la mer." "Mon combat c’est de dire que les mahorais peuvent et savent faire des films."
Un engagement pour le cinéma mahorais
Le jeune réalisateur qui vit sur le territoire depuis 2020 et s’est entouré d’acteurs locaux, milite pour que le cinéma mahorais se structure, bénéficie de financements et s’impose sur la scène internationale. "Je suis fier d’avoir contribué à faire bouger les lignes", dit-il avant de poursuivre : "Il faut laisser les gens de l’extérieur venir tourner des films pour que les techniciens puissent travailler et faire marcher l’économie locale, une société de production capable d’aller chercher des fonds au CNC etc... ça me désole que pour les élus le cinéma ne soit pas une priorité." Germain Le Carpentier prépare déjà son prochain projet : un documentaire hybride tourné dans son quartier pendant le cyclone Chido, prévu pour fin 2025 ou début 2026.
Par Mayotte Hebdo