Regards scientifiques sur le Covid-19 : « Un emballement populaire, scientifique et sociétal, à hauteur de l’impact de la pandémie », par Yohann Corvis, Docteur Ingénieur en Physico-chimie

Regards scientifiques sur le Covid-19 : « Un emballement populaire, scientifique et sociétal, à hauteur de l’impact de la pandémie », par Yohann Corvis, Docteur Ingénieur en Physico-chimie

Réalisées dans le cadre de la revue « Les Cahiers des Talents de l'Outre-Mer » de Yola Minatchy, présidente du Réseau des Talents de l'Outre-Mer, Outremers360 vous propose cette semaine les expertises de scientifiques ultramarins, livrant leurs regards et analyses sur la pandémie du Covid-19. Yohann Corvis, Docteur Ingénieur en Physico-chimie et originaire de Guadeloupe, explique le principe du vaccin par ARN messager, « bien connu des scientifiques depuis les années 60 » et qui se révèle être une « technologie à la fois efficiente et prometteuse ».

L’émergence de la Covid-19 fin 2019 et la pandémie qui s’en est suivie ont, non seulement complètement bouleversé nos modes de vie, mais ont également révolutionné la recherche dans le domaine de la santé avec, en sus, une visibilité populaire sans précédent. Comme un rapport de cause à effet, la science n’a jamais autant passionné les foules qu’en ce début de deuxième décennie du XXIè siècle et pour cause : aucune contrée, aucun humain, aucune économie, aucun art de vivre quel qu’il soit, n’a été épargné par la Covid-19 qui a déferlé sur le Monde.

Dans l’urgence sanitaire, il a fallu réagir avec comme seul objectif, sauver des vies. Ainsi, les pays dits développés, comme ceux qui le sont moins, se sont donné les moyens financiers, scientifiques, médicaux et humains pour soigner, protéger et prévenir l’émergence de nouveaux variants qui pourraient rendre encore plus difficile la lutte contre ce nouveau virus. Après de multiples essais cliniques au moyen des médicaments existants et des vaccins spécifiques, les résultats ont été sans appel. Le meilleur rapport Bénéfice / Risque, c’est-à-dire le rapport justifiant de l’intérêt d’un médicament à laisser plus de chance à un patient gravement malade de vivre que de décéder, s’est révélé être en faveur du vaccin notamment, ceux préparés à partir d’ARN messager.

L’Acide RiboNucléique (ARN) messager est bien connu des scientifiques depuis les années 60 grâce aux travaux des prix Nobel de médecine français, Jacques Monod, François Jacob et André Lwoff. Cette bio-molécule est d’ailleurs étudiée dès le milieu des années 80 à des fins thérapeutiques par certains chercheurs dont la pionnière dans le domaine, la biochimiste Katalin KARIKO. L’ARN messager est en fait une copie de l’Acide DésoxyriboNucléique (ADN). La nature étant bien faite, notre précieux code génétique, l’ADN, ne peut sortir du noyau des cellules.

Ainsi, pour exprimer une protéine à partir de l’ADN, ce dernier est copié en ARN et c’est l’ARN qui est exportée du noyau, ce qui permet la production de protéines dans le cytoplasme grâce à une organelle appelée le ribosome. Des propriétés particulières de l’ARN sont celles qui lui permettent d’être envisagé très tôt comme potentiel vaccin à savoir : i/ son incapacité à pénétrer dans le noyau de la cellule et donc à modifier l’ADN, et ii/ sa courte durée de vie, quelques heures tout au plus, le temps de pouvoir produire les protéines nécessaires au bon fonctionnement de l’organisme.

Campagne de vaccination en Polynésie française, à l'aide notamment du vaccin à ARn messager Pfizer

C’est ainsi que bien avant la crise de la Covid-19, l’ARN était testé en laboratoire pour le traitement de cancers ou de certaines pathologies rares. Cependant, le principal frein de l’époque était en fait lié à son avantage qui va se révéler être très intéressant dans le cadre d’une campagne vaccinale : sa courte durée de vie. Les chercheurs ont alors continuellement travaillé, dès les années 90, sur la stabilisation de l’ARN avant injection, de même que sur la diminution du risque inflammatoire lié à l’administration de vaccins à base de la bio-molécule. Des brevets, des rapports et des autorisations des agences de santé sur la biocompatibilité ont été déposés / approuvés quelques années avant l’apparition de la Covid-19, ce qui a en fait contribué au développement en un temps record d’un vaccin à base d’ARN messager et de son autorisation de mise sur le marché. On parle alors de nanomédicament.

L’ARN est stabilisé grâce à une enveloppe de lipide qui le protège à basse température de sa perte de stabilité et qui lui permet de circuler dans tout l’organisme via les vaisseaux sanguins, sans être reconnu comme un corps étranger par le mécanisme de défense immunitaire. Cette dernière particularité, de même que la fragilité de l’ARN, permet d’ailleurs de réduire les effets secondaires liés à la vaccination. Une fois l’ARN internalisé au niveau du cytoplasme des cellules du corps humain, elle donne alors l’instruction aux ribosomes de produire une protéine se trouvant naturellement à la surface du coronavirus et pour laquelle l’organisme va naturellement produire des anticorps pour l’éliminer ; anticorps qui seront au mieu présents, au pire mémorisés pour une production rapide en cas d’infection ultérieure par le coronavirus.

Or la contrepartie de la surexposition médiatique du nouveau virus et d’une « nouvelle » technologie thérapeutique dans le contexte de cette pandémie, relayée par les réseaux sociaux ont fait naître les théories dépassant très rapidement le rationnel scientifique, là aussi en réponse à un phénomène d’ampleur inédite.

L’idée ici n’est pas de rentrer dans les débats en lien avec la vaccination, mais d’apporter les éléments scientifiques factuels qui rendent compte d’une technologie à la fois efficiente et prometteuse. Au-delà des avantages de la vaccination au moyen de l’ARN messager ci-dessus mentionnées, les 7,5 milliards de vaccins, principalement à base d’ARN messager, injectés dans le monde en date de novembre 2021 font de cette technologie le premier outil thérapeutique vaccinal à être administré à autant d’individus en si peu de temps. La pharmacovigilance, phase de l’essai clinique post-autorisation de mise sur le marché, est la plus importante jamais réalisée à ce jour pour un vaccin. Ceci a d’ailleurs valu aux autorités de santé américaines de valider définitivement, le 23 août dernier, l’un des vaccins à ARN messager développé pour lutter contre le coronavirus.  

L’autre avantage d’un tel vaccin est le fait qu’il faille très peu de temps pour produire de nouvelles séquences de la bio-molécule en cas d’apparition d’un nouveau variant ou d’un nouveau virus, ce qui peut s’avérer être pratique dans l’éventualité d’une nouvelle pandémie. En effet, dans l’urgence, il a fallu sauver des vies et seul le vaccin le permettait dans le contexte inédit que nous vivions. Toutefois, à l’instar du vaccin contre la grippe qui permet de protéger le public fragile mais qui n’empêche pas un individu vacciné d’être contaminé ou même de transmettre la grippe voire, un rhume, le vaccin contre la Covid-19 n’a pas vocation à nous protéger ou guérir. 

Campagne de vaccination à Wallis et Futuna, exclusivement à l'aide du vaccin à ARn messager Moderna

Il permet d’un point de vue statistique d’avoir moins de chance de développer une forme grave de la maladie et donc de limiter les hospitalisations et leurs conséquences désastreuses notamment vis-à-vis de la prise en charge des patients atteints d’autres pathologies. Mieux, être vacciné limite également l’émergence de nouvelles souches qui pourraient, comme on l’a connu avec l’apparition du variant Delta du coronavirus, faire repartir l’épidémie voire pire, remettre à plat la couverture vaccinale acquise. À cela, s'ajoute la diminution dans le temps de l’immunité acquise par le vaccin et qui implique, pour l’heure, une dose de rappel pour les personnes les plus vulnérables.

Alors oui, il se peut que des rappels soient réguliers, oui le coronavirus continuera de circuler un certain temps, oui il nous faut tout de même conserver les gestes barrières, mais la vaccination a permis de sauver de nombreuses vies. Des essais cliniques sur des traitements alternatifs et complémentaires au vaccin peuvent alors être menés sereinement afin de prévenir toute infection ou de prendre en considération les patients pour lesquels la vaccination n’est pas recommandée. D’autres vaccins élaborés à partir d’ARN messager sont actuellement en phase d’essais cliniques notamment en oncologie. L’avenir de ces nouveaux nanomédicaments gagne à être définitivement panthéonisé grâce à de nouvelles thérapies ciblées telles que celle contre le virus du sida.

Biographie :

Yohann Corvis, Docteur Ingénieur en Physico-chimie, Matériaux et Procédés d’intérêt pharmaceutique, titulaire de l’Habilitation à Diriger des Recherche, est maître de conférences à la Faculté de Santé de l’Université de Paris. Au sein de l’Unité Inserm/CNRS de Technologies Chimiques et Biologiques pour la Santé, ses travaux de recherche portent principalement sur la formulation de nanomédicaments à base d’anticancéreux, d’anesthésiques locaux et d’anti-inflammatoires pour la délivrance ciblée et prolongée de la substance active. Pour ce faire, il conceptualise, développe et évalue en milieu biologique le médicament au moyen de plateformes expérimentales allant de la pré-formulation jusqu’à l’évaluation in vivo chez l’animal.

À ce jour, il est l’auteur de 47 publications, de 3 brevets internationaux, d’un chapitre et de 2 revues de livre. À ce jour, ses travaux ont fait l’objet de 19 conférences invitées à travers le monde, de 26 présentations orales et 35 communications par affiche lors de congrès internationaux ainsi que de 10 présentations orales et 24 communications par affiche lors de congrès nationaux.