« La Menace 732 » de Frédéric Potier : Un thriller politique puissant de réalisme

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« La Menace 732 » de Frédéric Potier : Un thriller politique puissant de réalisme

Ancien conseiller outre-mer de Manuel Valls puis de Bernard Cazeneuve à Matignon, Frédéric Potier, s’est fait connaître comme préfet, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH). Il est actuellement délégué général en charge des questions d’éthique, de laïcité, de discriminations et de conformité à la RATP. Après avoir consacré un essai à Pierre Mendès France, il publie aux éditions de l’Aube un thriller politique captivant intitulé « La menace 732 ». Un ouvrage en résonance avec son
combat et ses engagements .-Entretien -

 

On vous connaît en tant qu'auteur surtout pour vos essais "La matrice de la haine" et "Pierre Mendès France, la foi démocratique". Qu'est-ce qui a motivé l'écriture de ce roman, en l'occurrence ce thriller politique, qui traite des thèmes aussi actuels que le complotisme, le racisme, l'antisémitisme, les discriminations.... Est-ce une façon de toucher un public plus large ou s'agit-il tout simplement d'une respiration artistique ?

J’avais depuis longtemps la volonté d’écrire une œuvre de fiction pour évoquer des problèmes très contemporains. Pour alerter sur les tentations autoritaires ou sur la dangerosité des groupuscules extrémistes, il m’a semblé que le polar était bien plus efficace qu’un nouvel essai. Je veux toucher un public plus large, plus populaire, que celui des spécialistes ou des initiés. Je crois beaucoup au pouvoir de la fiction. Par exemple, les séries télévisées ont joué un rôle majeur pour briser un certain nombre de tabous. Je rappelle par exemple que la série « 24 heures chrono » mettait en scène un président américain noir quelques années avant l’élection d’Obama. Je suis aussi un grand fan des séries politiques comme « Baron Noir » ou « Le bureau des légendes ». Mon écriture, très rythmée, en est le reflet il me semble. Néanmoins, ce roman noir est directement inspiré de faits réels que j’ai vécu en tant que conseiller à Matignon ou délégué interministériel chargé de la lutte contre le racisme.

D'où vient le titre de votre ouvrage "La menace 732 " ? 

732 est évidemment une date, celle de la bataille de Poitiers où le roi Charles Martel a repoussé les Arabes ! Il s’agit d’une référence qu’on retrouve largement chez les groupuscules d’extrême-droite avec l’idée qu’il faudrait aujourd’hui lutter contre une forme d’envahissement. J’observe d’ailleurs que la théorie dite du grand remplacement, popularisée par Eric Zemmour, n’est pas si loin. Il y a un véritable délire autour de cette idée des nouvelles invasions barbares qui menaceraient l’Occident. Le problème est que ces gens sont dangereux. Ces fantasmes alimentent des représentations du monde fondées sur la haine ou la guerre et peuvent provoquer des passages à l’acte, comme l’attentat de Christchurch en Nouvelle-Zélande. Sur les menaces et les appels à la haine, je n’ai rien inventé. Tout est dans la presse. J’ai aussi transposé des menaces que j’avais reçues lorsque j’étais en fonction.

Pourquoi avoir choisi un métis réunionnais de surcroit homosexuel et juif comme chef de gouvernement dans « La Menace 732 ». Est-ce pour forcer le trait dans l'incarnation de la confrontation avec les idées d'extrême droite ? Un clin d'oeil à votre passage à la DILCRAH ?

Je vais peut-être vous surprendre, mais je me suis surtout inspiré d’un de mes amis réunionnais qui cumule toutes ces spécificités personnelles et familiales ! D’ailleurs, j’ai à peine modifié son nom... J’en fais évidemment un symbole politique fort contre lequel se déchaînent des forces obscures. J’espère qu’il me pardonnera de l’avoir transformé en personnage de fiction. Mais, c’est pour la bonne cause, on peine à imaginer à quel point les extrémistes identitaires détestent les mélanges, la mixité, le métissage, la complexité... Ils voudraient tous nous renvoyer à une vision triste et figée de ce que serait l’identité de la France. Ma réponse c’est que la France c’est d’abord des valeurs, des principes, un attachement résolu à la fraternité et à l’humanisme... Ce personnage réunionnais, c’est Marianne, le symbole de la République en quelque sorte.

Cet ouvrage séduit autant par son réalisme puissant que par son écriture acérée et diablement documentée. De plus, vous semblez manier les codes du thriller politique avec une certaine efficacité. Peut-on expliquer cela par votre expérience de haut fonctionnaire et les différentes fonctions que vous avez occupé au sein de l'administration ?

Oui, j’ai voulu clairement raconter l’exercice du pouvoir, sa grandeur mais aussi sa difficulté et sa cruauté. Beaucoup de chapitres ont été inspirés par mon vécu à Matignon, à Beauvau ou à l’Assemblée nationale. On oublie souvent que les institutions sont occupées par des hommes et des femmes qui ne sont pas des super héros. Ils ont tous leurs ambitions mais aussi leurs moments de doute et leurs faiblesses... J’ai essayé de restituer avec exactitude et justesse cette atmosphère très particulière qui règne dans les coulisses du pouvoir. Un cortège de voitures qui file vers l’Elysée, une promenade dans les jardins de Matignon, une nuit de permanence, l’écriture en urgence d’un discours, une réunion de ministres en cellule de crise, la lecture d’une note des services de renseignement, pour moi il ne s’agit pas de décors de fiction ou de trame romanesque mais bien de souvenirs personnels très précis.

Peut-on dire également que vous avez déplacé votre combat politique contre le racisme, l'antisémitisme et le complotisme sur un autre terrain ? Et lequel ?

Oui, je poursuis un combat politique engagé il y a maintenant de nombreuses années contre le racisme, l’antisémitisme, et plus largement toutes les formes de haine ou d’obscurantisme. J’essaye de mener une bataille culturelle contre tous ceux qui rêvent de dresser les Français les uns contre les autres, en raison de leurs origines, de leur épiderme, de leur religion ou de leur orientation sexuelle. Pour cela faire appel à la raison ne suffit pas, il faut réinvestir les imaginaires et proposer de nouveaux modèles à la jeunesse qui est très tenté par les extrêmes.

Vous avez dédié cet ouvrage au regretté Luc Laventure, que signifie pour vous cet
hommage ?

Luc Laventure était pour moi tout à la fois un ami, un conseiller et un frère. Un homme honnête et fidèle à ses convictions, terriblement attachant... Il m’appelait souvent pour préparer une chronique en me disant « Alors Monsieur le Ministre, qu’est-ce que tu penses
de la situation ? ». Il me manque tout simplement. Par cet hommage, j’ai voulu lui rendre
un peu de l’amour que nous avions tous pour lui. J’ai la faiblesse de croire qu’il aurait apprécié ce thriller politique sur les menaces qui guettent notre démocratie.
 

Propos recueillis par E. B.

« La Menace 732 »
De Frédéric Potier
Editions de l’Aube
A paraître le 19 mai 2022