Alors que l'échouage des algues vertes et des sargasses persistent sur les côtes bretonnes et antillaises, les députés Mickaël Cosson (Côtes-d’Armor) et Olivier Serva (Guadeloupe) plaident dans une mission flash sur les opportunités économiques qu'offrent la valorisation de ces algues, en tant qu'approche complémentaire dans la lutte contre leur prolifération sur le littoral.
Transformer ce problème écologique et sanitaire en levier d’innovation économique, telle est l'ambition du rapport présenté ce mercredi 30 avril à la commission du développement durable de l'Assemblée nationale. D'une part, les algues vertes, poussées par les nitrates issus de l’agriculture intensive, envahissent les baies bretonnes. D'autre part, les algues brunes dites sargasses, venant de côtes d'Afrique centrale, s’échouent massivement aux Antilles, empoisonnant les plages et menaçant la santé publique. Deux pollutions qui partagent des problématiques communes : émanations de gaz dangereuses issues de leur décomposition, coût de ramassage important pour les collectivités, etc. « La volonté qu'on a eue, c'était de pouvoir confronter nos expériences, que ce soit sur les algues vertes ou les sargasses, et de ne pas se limiter à un phénomène régional, mais bien à un phénomène sur tout notre littoral français », a expliqué Mickaël Cosson.
Les députés, au cours de leurs auditions et visites de terrain, ont noté des disparités entre les collectivités subissant ces pollutions. « Pour ramasser les algues vertes, les entreprises ont à disposition un matériel pressurisé, des filtres à charbon, et un test pour s’assurer que le taux de pollution n’est pas dépassé. Pour les sargasses, rien de tout ça n’existe», relève Olivier Serva. Autre différence constatée, un soutien étatique inégal. 130 millions d’euros prévus pour la Bretagne entre 2022 et 2027, contre 36 millions d’euros pour les sargasses dans les Outre-mer.
Les rapporteurs dénoncent les freins réglementaires qui pèsent sur la gestion efficace de ces pollutions .« Il faut éviter des contraintes administratives exagérées », dit Olivier Serva, citant l'exemple précis pour la commune de Capesterre de Marie-Galante en Guadeloupe. « Nous avions toutes les autorisations pour un enrochement, sauf que changement de DEAL aidant, il y a une nouvelle demande d’étude d’impact qui a été réclamée , ce qui retarde les travaux d'enrochement qui permettraient de soulager Capesterre ».
Privilégier la récolte en mer
La mission propose un changement de paradigme. « Il ne s’agit pas de renoncer aux politiques de prévention », précise le rapport. Mais, confrontés à une pollution tenace, les élus estiment qu’il est temps d’« adopter une démarche d’économie circulaire », en transformant les algues nuisibles en ressources utiles. « Il y a un marché incroyable au niveau mondial. La France ne valorise qu'à hauteur de 0,25 % du marché mondial, 99,5 % du marché, c’est l’Asie », déplore Olivier Serva, qui appelle à une réaction rapide : « On doit les ramasser en mer, parce que lorsqu'elles s'échouent en terre, c’est que nous avons échoué. »
Les députés préconisent ainsi de récolter les algues en mer, avant décomposition, et les transformer en produits à valeur ajoutée. L’enjeu est multiple : protéger l’environnement côtier, éviter l’émission de gaz toxiques comme le sulfure d’hydrogène, et limiter l’impact économique sur le tourisme et les collectivités. Ils soulignent également la nécessité d'une harmonisation des pratiques et d'une meilleure coordination étatique, en lien avec les collectivités territoriales, les chercheurs et les industriels, déjà mobilisés. « Nous avons rencontré l’Université des Antilles, des chercheurs, des industriels. Ils ont des solutions pour dépolluer et sortir l’arsenic des sargasses », affirme le député guadeloupéen.« Il faut maintenant qu’il y ait quelqu’un qui coordonne tout ça. »,poursuit-il.
Le système actuel impose aux communes d’avancer les frais de ramassage, avant un éventuel remboursement par l’État. Une méthode financièrement étouffante : « Cela déstabilise leur budget de fonctionnement de façon incroyable, à hauteur de 20-30 % », affirme Olivier Serva. Il propose que « l'État donne une enveloppe à la commune en début d'année, ajustée ensuite en fonction des dépenses. »
Une filière française à structurer
Au-delà de l’urgence environnementale, le rapport met en lumière le potentiel économique des algues. Les pistes de valorisation des algues vertes et des sargasses sont nombreuses selon les parlementaires : alimentation humaine et animale, fertilisants pour les sols, cosmétiques, pharmaceutiques, bioplastiques, voire production de biogaz. « Si les sargasses sont stabilisées, elles pourraient couvrir une partie significative des besoins énergétiques des Caraïbes », soulignent les rapporteurs, s’appuyant sur les recherches de l’INRAE et des universités antillaises.
L’un des résultats les plus concrets de cette mission : l’émergence d’un cluster national. Jusqu’ici limité à la Bretagne, ce réseau de coopération va désormais inclure la Guadeloupe, la Martinique et d’autres collectivités littorales. « Très prochainement, ce sera un cluster qui sera élargi justement à l'échelle de notre littoral français en intégrant, bien entendu, des collectivités telles que la Guadeloupe et la Martinique. ». Ce réseau élargi ambitionne de porter une véritable industrie verte, avec l’appui de la recherche et de l’innovation. « On parle d'industrie verte, ben là c'est une industrie verte, c'est faire en sorte qu'elle se caractérise chez nous, et puis puisse non seulement apporter des solutions à nos collectivités, mais créer des emplois. »
La France produit aujourd’hui 70 000 tonnes d’algues par an, mais en importe autant d’Asie. Pourtant, avec 160 entreprises actives – d’Algaia à L’Oréal – et des centres de recherche reconnus comme le CEVA ou l’Université des Antilles, l’Hexagone a les moyens de bâtir une filière nationale compétitive, capable de créer des centaines d’emplois dans les territoires côtiers. « La valorisation des algues doit être explorée avec attention. Il n’existe pas de certitude absolue sur les résultats à court et moyen terme, mais les axes de la recherche et les initiatives des entrepreneurs confirment qu’il faut poursuivre dans cette voie, qui renforcera la filière française des algues», concluent les deux députés dans leur rapport.