Après « Fin mal barrés ! » et « Fin mal géré ! », Jenny Briffa revient avec « Fin bien ensemble ! », une pièce que le ministre Jean-François Carenco verra dès son arrivée en Nouvelle-Calédonie ce dimanche. Rencontre avec l’auteure de ce troisième volet plus engagé, qui invite au vivre ensemble, avec notre partenaire Actu.nc.
« Fin bien ensemble ! », c’est l’histoire de Marguerite, indépendantiste, et Kévin, loyaliste, qui vivent une histoire d’amour malgré leurs divergences politiques. Au fil de leurs mots, on s’esclaffe des blagues sur nos élus, on s’étonne de leurs imitations plutôt réalistes et on verse notre larme face à leurs prises de conscience. Notamment quand Kévin refuse de continuer à jouer ce « rôle » dans lequel il est enfermé : « Ne joue-t-on pas le même scénario depuis trop longtemps ? », puis quand Marguerite le convainc de rester : « Mais on aime ne pas être d’accord, non ? ».
La pièce de Jenny Briffa, tout comme les deux premières, se veut un miroir de la situation actuelle. Sommes-nous condamnés à jouer la même pièce, Loyalistes d’un côté, Indépendantistes de l’autre, sans espoir de voir émerger un jour un projet commun de société – un vrai, pas une instrumentalisation ratée. Entre colère, nostalgie, joie et tristesse, Kévin et Marguerite inspirent l’amour. Doit-on vraiment se détester juste parce que la politique nous oppose, alors quel amour de notre pays nous unit ?
Depuis son arrivée aux Outre-mer, le ministre Jean-François Carenco a répété son attachement au monde culturel, lui réservant notamment un temps dans ses précédents déplacements, aux Antilles, à Mayotte et à La Réunion. À son arrivée ce dimanche soir en Nouvelle-Calédonie, Jean-François Carenco assistera à une représentation de cette pièce.
Actu.nc : Qu’aviez-vous envie de dire à travers « Fin bien ensemble ! » ?
Jenny Briffa : Dans la période actuelle où le dialogue politique est au point mort, je voulais impérativement rappeler que nous sommes beaucoup plus proches les uns des autres que ce que les discours actuels laissent penser... Comme dans mes pièces précédentes, j’utilise l’humour pour faire passer l’essentiel : ce n’est pas compliqué de faire rire en parlant de nos élus ! Mais le propos n’est pas là. Aujourd’hui, il y a beaucoup de lassitude face à la situation politique. On est fatigués et lassés de 40 ans de lutte, de faux espoir et de trahison.
Les négociations politiques souffrent d’un cadre idéologique trop restrictif et antagoniste. Nous sommes enfermés dans un mode de pensée binaire, une logique bloc contre bloc, indépendantistes contre loyalistes, qui ne permettra pas de trouver une solution pérenne. Le spectacle insiste sur la nécessité de changer notre regard et de « décoloniser » nos mentalités dans les deux blocs. Je donne des pistes de réflexion en m’appuyant sur la pensée de Frantz Fanon par exemple.
Les Calédoniens sont prêts à dépasser cette logique binaire. Le succès de mes pièces le prouve. Mais nous sommes démunis car aucune solution à ce jour ne permet de concilier nos convictions... Je pense qu’il y a un préalable à l’émergence d’une solution commune : il nous faut aussi examiner avec profondeur et lucidité ce que signifie la décolonisation aujourd’hui pour nous, en Nouvelle-Calédonie. Cette question, sous-jacente dans tous nos débats politiques, est pour moi au cœur de la réussite ou de l’échec d’un futur statut.
Le message le plus important de la pièce, c’est le fait qu’on peut vivre ensemble sans pour autant être d’accord sur tout, comme dans un couple ! C’est d’ailleurs pour cela que j’ai choisi un couple pour incarner la Calédonie dans ma pièce... Nous sommes, indépendantistes et loyalistes, comme un couple usé, notamment par les 40 dernières années de vie commune... Aujourd’hui, on a l’impression que tant qu’on n’est pas d’accord sur la France ou la Kanaky, on ne peut pas vivre ensemble, c’est totalement faux ! Alors, des deux côtés, les élus adoptent des postures qui compliquent le dialogue, voire qui le rendent impossible ! On finit par se demander si l’autre veut vraiment vivre avec nous, ce qui affaiblit le désir de vivre ensemble.
C’est une vision des choses qui rejoint la vision des Calédoniens ?
Beaucoup de Calédoniens – de toutes origines - me remercient de mettre des mots sur ce qu’ils ressentent sans pouvoir l’exprimer. La politique nous fait douter de notre capacité à construire notre destin commun, pourtant, nous le faisons chaque jour, dans des gestes aussi anodins que de jouer au loup quand on est enfant entre Kanak et Caldoches, comme le font Marguerite et Kévin dans la pièce. Ce troisième volet nous permet d’aborder les vraies questions : après cet ultime vote, quelle solution ? Quel modèle de vivre-ensemble va émerger de tout cela ?
Pourra-t-on un jour sortir du schéma indépendantistes vs anti-indépendantistes ?
On ne s’en sortira pas sans un effort intellectuel. Il faut réfléchir à quelle base théorique peut soutenir un nouveau projet, un nouveau paradigme politique qui nous permettrait de refonder la question de la décolonisation en la plaçant dans notre réalité actuelle. En effet, le cadre théorique qui nous est offert sur cette question est devenu inopérant puisqu’il s’appuie sur des penseurs des années 60. Nous ne pouvons pas faire l’économie de cet effort intellectuel si nous voulons réconcilier nos visions de l’avenir ! Imaginons : si je me mets à la place d’un indépendantiste, a fortiori kanak, je comprends la difficulté d’abandonner l’idée de l’indépendance. C’est avoir l’impression de trahir sa propre histoire. Mais de l’autre côté, si je me mets dans la peau d’un loyaliste, ce n’est pas plus simple : si on trouve une solution qui nous éloigne de la France, est-ce que les loyalistes vont l’accepter ?
C’est du théâtre militant ?
Oui ! Je suis une militante du vivre-ensemble... C’est mon seul parti. Cette trilogie est un acte politique total pour le vivre-ensemble : le propos de la trilogie est politique, le fait de rassembler un public idéologiquement opposé est un acte politique, porter la pièce dans des endroits reculés est encore un acte politique, résister aux pressions de certains élus ou au sous financement est un acte politique. Cette trilogie est un combat.
Avez-vous rencontré des difficultés pour monter la pièce ?
La première difficulté a été financière. Les subventions se sont écroulées ici. A une semaine de la première, nous n’avions qu’une seule subvention confirmée, par l’État à hauteur de 20%. Localement, une seule institution subventionne notre création, la province Sud, à hauteur de 6% du budget. Notre compagnie de théâtre a apporté 10% du budget. J’ai donc dû trouver le reste grâce à une grande campagne de mécénat. La mobilisation du public a été extraordinaire. Nous avons bouclé le budget la veille de la première ! La pièce a donc été financée à plus de 60% par le mécénat et les partenariats conclus avec les Calédoniens !
Nous sommes confrontés aux mêmes difficultés pour la diffusion. Alors, de la même façon, nous allons pallier certaines insuffisances. Ainsi, nous offrons une date en tribu à Tiwaka, j’utilise des bénéfices pour aider des diffusions, je cherche des sponsors pour financer des dates en brousse... C’est un travail épuisant. Mais c’est une nécessité pour créer du lien par nous-mêmes puisque la puissance publique est défaillante.
Aujourd’hui, les choses bougent un peu. Face à la demande du public, certaines communes sollicitées depuis des mois reviennent vers nous. Mais maintenant nos techniciens ne sont plus forcément disponibles car ils ont pris d’autres engagements... Encore une fois, c’est épuisant ! Je ne trouve pas d’excuses à nos élus. Ils devraient se saisir de cette opportunité : avoir un spectacle qui rassemble tout le monde, qui favorise l’esprit critique ! Malheureusement, la culture n’est pas une priorité pour nos élus. Ils la résument à du divertissement. Ils oublient que la culture est l’expression de qui nous sommes. Il est fondamental de soutenir ce travail de définition de notre identité dans un pays en construction. Je suis épuisée par le manque de soutien alors j’ai pris la décision de ne plus produire de pièce de théâtre, du moins en Nouvelle-Calédonie. Je veux me concentrer sur l’écriture.
Propos recueillis par Kim Jandot pour Actu.nc























